Réalisé en 1995 par Marcel Meili et Christoph Schaub, le premier court de 17 mn, Il Girasole, présente, par la voix de sa fille Lidia, une maison moderniste que le père, Angelo Invernizzi, célèbre ingénieur Génois de l’époque, voulut aussi collective, et à la construction de laquelle participèrent donc, architectes, artistes, designers, styliste de mode ou de jardin.
Pure folie rationaliste fort peu rationnelle, la maison, conçue à l’aube des années 30 dans la banlieue de Vérone, carbure au diesel, non seulement pour se chauffer, mais surtout pour se mouvoir, sans aller, heureusement, jusqu’à se déplacer.
Montée sur un socle circulaire, la maison entière tourne sur elle-même, à l’allure exacte de la course du soleil. Le mouvement est invisible mais réel et les points de vue, les expositions varient tout au long de la journée. La folie est parfaitement assumée puisque le mouvement n’a de sens que pour lui-même : il n’est pas question d’associer les espaces de la maison à des expositions particulières, il suffit que sa rotation complète dure 24 h.
Il est en revanche délicat d’établir une corrélation fonctionnelle inébranlable entre le rayonnement solaire et les espaces qui y sont soumis : la maison tourne quand on actionne le dispositif et le « reset » n’est pas au programme.
La question technique est très vaguement évoquée dans le film, et les furtives images d’engrenages cyclopéens ne nous disent rien d’autre que la démesure de cette réalisation .
La technicité un peu vaine et de toutes façons obsolète du projet n’est d’ailleurs pas le sujet du film, qui met l’accent sur la beauté du site, la délicatesse des détails et l’émotion palpable de la fille du concepteur de la maison à l’évocation de la genèse de l’œuvre. Dans la lumière somptueuse du 35 mm, les silhouettes élégantes d’un couple de figurants traversent les terrasses, incarnant et soulignant les mouvements de la caméra, plus amples et plus oniriques que la giration horlogère et imperceptible de la maison.
La voix d’Ivry
Bruno Jourdan, fondateur du festival en 2003, y propose dans cette session, en première projection publique, son court de 25 mn : Visage d’architecte-Ivry Serres, en présence de l’intéressé
Comment devient-on Architecte ? Que sont la pratique quotidienne de l’Architecture et sa transmission ? Comment les rêves, les analyses, les concepts architecturaux se frottent au réel, se matérialisent. Une personne, donc, architecte de métier, son visage, ses mots son histoire qui se raconte et se module. Le parti du cinéaste est de laisser la parole à cette seule personne. Qu’il s’agisse de convoquer le souvenir et les lieux de l’enfance, de préciser les obsessions méthodologiques ou de simplement décrire et littéralement développer la fonctionnalité ou les caractéristiques d’une œuvre construite, c’est toujours la voix de l’Architecte, tantôt hésitante et sourde, tantôt forte et assurée, qui scande et déroule le récit. Le visage de l’Architecte en question et en réponses ici est celui d’Ivry Serres, dont le projet de Médiathèque de Grasse reçut le prix de l’Équerre d’Argent en 2022. Avant de commenter la présentation en images de son œuvre, ses structures internes comme son rapport à la ville, il nous aura parlé de son goût pour la marche et pour les pierres, les cailloux même, et on l’aura plus tard suivi parmi ses maquettes et ses idéogrammes dans ses échanges avec ses étudiants.
La composition du film-pourquoi, comment, quoi- ainsi que le parti-pris singulier de la seule voix off du narrateur protagoniste et sujet principal, installent une structure qu’on peut imaginer à l’œuvre dans la production d’une série de portraits d’Architectes vivants.
MAURICE PADOVANI