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« Incendire », les maux-valise d’Hélène Cixous

La comparaison entre Shoah et incendie n’est pas à prendre comme telle. Plutôt comme un espace tendu de pensée, de ressenti et d’expression. Cela relève, pour Hélène Cixous, d’un devoir d’écriture, celui du Livre ou d’un livre, qu’elle définit de manière allusive comme la « narration », d’Homère à Wikipedia, en passant par Joyce, puis de manière plus précise et personnelle à la toute fin du livre…

Le texte oscille constamment entre descente en singularité – les ressentis intimes, saisis par les sens – et montée en généralité – l’Histoire, saisie par des références mythologiques ou bibliques. Des cinq sens, l’autrice en retient deux : l’olfaction, avec le « cramé » ; l’ouïe, avec « le monstrueux marteau du bruit ». Elle décrit, à l’aide d’une syntaxe bousculée, une anatomie de la fuite : « athlétiquement n’être que l’instrument de musique de la course, chaque souffle chaque note des quadriceps chaque tension du cœur n’être ». Référence constante est faite à l’animal, non pas à la manière d’Ovide ou de La Fontaine, mais à la manière de Cixous : en tant que sujet propre, dont la souffrance est inadmissible et la présence indispensable. Qu’est-ce qu’on emporte ? Les chats.

Une identité pêle-mêle

Le roman définit plusieurs époques, de 1942 à 2022, de 1492 à 1962… De fait, écrire permet à l’autrice de lutter contre l’ignorance et l’amnésie. Elle effectue concrètement un travail d’enquête sur sa généalogie, à partir d’archives reproduites en regard du texte. À ces époques correspondent des lieux, tout une géographie vécue, deux villes, Oran, sa ville natale versus Osnabrück, ville de ses arrière-grands-parents inconnus, déportés. Il s’agit des deux pôles de l’exode, de l’extradition : « À Oran maintenant nous sommes des nulle-part. »

Si l’ouvrage est écrit en « pêle-mêlant » histoires, géographies et expériences, une réflexion centrale tourne autour de la notion absurde et insaisissable d’identité, formulée ainsi, non sans humour : « Qu’est-ce que juiffer ? », l’autrice substituant un verbe à un nom. Les mots sont tous soigneusement choisis, assemblés, augmentés. Ils semblent se presser, se heurter, s’encastrer les uns aux autres, avec ou sans ponctuation, à la manière de la parole orale.

Le sous-titre, « Qu’est-ce qu’on emporte ? », renvoie à la fuite comme acte de survie, et pose la question, à jamais ouverte, de l’essentiel. 

FLORENCE LETHURGEZ

Incendire. Qu’est-ce qu’on emporte ?, Hélène Cixous
Gallimard, coll. blanche - 19 €
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