mercredi 24 avril 2024
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AccueilScènesLudivine Sagnier : « J’ai été foudroyée par cette parole »

Ludivine Sagnier : « J’ai été foudroyée par cette parole »

Le Consentement révélait l’emprise d’un homme célèbre, Gabriel Matzneff, sur Vanessa Springora, alors adolescente et victime de la manipulation psychologique de l’écrivain. Ce témoignage est porté sur la scène du Liberté, à Toulon, du 3 au 8 octobre, par Ludivine Sagnier. Entretien.

Zébuline. Comment vous est venue l’idée, l’envie, d’adapter le texte de Vanessa Springora pour la scène ?

Ludivine Sagnier. J’ai découvert Le Consentement, sur conseil du metteur en scène Sébastien Davis, en janvier 2020. Tout comme lui, j’ai été foudroyée par cette parole. Par le courage qu’il a fallu à Vanessa Springora pour écrire ce texte. Mais aussi et surtout par son talent d’autrice, sa capacité à transformer ce témoignage personnel en œuvre artistique et littéraire.

Avez-vous eu l’occasion de la rencontrer ? D’échanger avec elle autour du projet ?

Bien sûr ! Elle est évidemment très enthousiaste. Elle a cependant mis du temps à céder ses droits à la fiction, ce que je peux aisément comprendre. La sortie du livre a été un véritable choc. Et je crois que nous n’avons pas mesuré à quel point elle a pu être douloureuse, plus douloureuse que ce qu’on avait imaginé, pour Vanessa Springora en premier lieu.

Comment s’y prend-on pour rendre justice à un tel témoignage ? Pour l’adapter sans le dénaturer ?

Nous avons décidé dès les débuts du projet que nous ne voulions ajouter aucune parole supplémentaire, aucun regard autre que celui de l’autrice sur le texte, sur les événements qu’il décrit. Sébastien s’est attelé à cet exercice avec beaucoup de délicatesse. Nous avons gardé l’essentiel, et pris soin de conserver une galerie de personnages qui interviennent au fil du récit : Gabriel Matzneff, donc, mais aussi la mère de Vanessa, son père… 

Le Consentement relate des faits d’une rare violence tout en recourant à une écriture délicate, à un style épuré. Comment s’empare-t-on d’un tel mode de narration ?

Avec difficulté (rires) ! J’ai eu beaucoup de mal à m’emparer de cette rage contenue, de cette horreur tenue à distance. Il m’était difficile, presque impossible, de me séparer de l’empathie que je ressentais pour ce personnage. Certaines paroles me bouleversaient. Pour les dire sans affect, j’ai dû me contraindre à un travail de distanciation indispensable. Car Vanessa Springora ne pose plus sur ce qu’elle a traversé un regard de colère. Elle est presque guérie de cette histoire lorsqu’elle l’écrit. 

Vous avez entamé une carrière cinématographique très prolifique dès votre plus jeune âge mais vous vous êtes faite plus rare sur les planches. Est-ce un hasard ?

Je n’ai que rarement eu l’occasion de monter sur scène : c’est un exercice qui me plaît pourtant beaucoup ! Les quelques projets qui m’ont portée ont été des expériences très fortes. Elles impliquaient un investissement total, au long cours, une écriture de plateau – c’était notamment le cas pour le Nouveau Roman de Christophe Honoré. 

© Christophe Raynaud de Lage

« Nous savions que la pièce serait très éprouvante à jouer »

Vous n’y revenez pas avec l’exercice le plus facile : un seule en scène…

En effet (rires) ! Le seule en scène est un exercice très intimidant, une montagne que je gravis peu à peu, non sans difficulté. J’ai heureusement la chance d’être merveilleusement entourée pour le faire. Par Sébastien Davis à la mise en scène mais aussi Dan Levy à la partition musicale. C’est un compositeur hors pair, qui a notamment été récompensé par le César de la meilleure musique de film, et qui avait créé le groupe The Dø. Sébastien et Dan sont également des amis de très, très longue date – on se connaît depuis l’enfance ! Il y a cette évidence entre nous : une complicité, une connaissance très instinctive de ce que l’autre a dans le ventre. Notre processus créatif est très harmonieux. Je pense que, sans cette proximité-là, il ne nous aurait pas été possible d’aborder ce texte si intime, si délicat, de cette façon. Notre implication n’a rien d’artificiel.

Votre collaboration avec Sébastien Davis est d’ailleurs antérieure à ce projet : vous êtes tous deux des membres de l’école Kourtrajmé. Quelle est votre implication au sein de cette formation ?

Le réalisateur Ladj Ly est un proche. Après le succès de son film Les Misérables, il a voulu réaliser ce rêve qu’il chérissait depuis longtemps : ouvrir une école de cinéma à côté d’où il a grandi. Une formation sérieuse, gratuite, accessible à tous sans restriction d’âge. J’ai suivi de très près la création de cette école et, une fois qu’elle a abouti, Ladj m’a proposé d’être la directrice artistique de la section « Acteur ». Sébastien s’occupe, lui, de la formation théorique. 

Avant d’être joué au théâtre de la Ville à Paris, à Annemasse puis à la Croix-Rousse, votre spectacle sera créé à Châteauvallon-Liberté. Pourquoi ce choix ?

Nous savions que la pièce serait très éprouvante à jouer, et ce d’autant plus si elle était montée directement à Paris. J’ai rencontré Charles Berling [directeur du théâtre, ndlr] il y a plus de vingt ans. J’ai énormément d’admiration pour lui, au théâtre comme au cinéma, comme comédien mais également et surtout comme directeur artistique. Il n’a toujours fait preuve que de bienveillance à mon égard. C’est lui qui m’a proposé de faire la création du spectacle à Toulon. Et j’en suis très heureuse !

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA

Le Consentement
Du 3 au 8 octobre au Liberté, scène nationale de Toulon 
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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