vendredi 19 avril 2024
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L’Insula Orchestra pointe un flagrant déni

L’Insula Orchestra a mis en lumière deux grands compositeurs de la période romantique. Le bien connu Beethoven et une oubliée de l’histoire : Louise Farrenc

Le premier concert de la saison au Grand Théâtre de Provence (GTP) est dirigé par une femme et consacré à une autre femme. Signe fort de l’évolution des temps ! Laurence Equilbey à la tête de l’ensemble qu’elle a constitué, Insula Orchestra, conjuguait sa direction précise et nuancée à la verve des musiciens pour une soirée qui rassemblait deux grands musiciens de la période romantique, Ludwig van Beethoven et Louise Farrenc. Le Concerto pour piano n° 2 en si bémol majeur op. 19 de Beethoven, encore tout imprégné des influences de Mozart, Haydn ou Clementi. Le compositeur écrit alors pour piano-forte mais déjà lutte avec les limites de l’instrument, livrant une partition riche et inventive aux interprètes. Lucas Debargue, sur le Pleyel de l’ensemble Insula (dont l’une des particularités est de ne se servir que d’instruments d’époque), apportait la finesse et l’élégance de son jeu, dialoguant avec aisance avec un orchestre aux équilibres parfaits, s’adonnant brillamment à l’art de la cadence dont la pièce regorge.

La volonté de liberté du compositeur s’exprime ici puissamment, préfigurant ses amples envols romantiques. Le jeune pianiste offrait en bis l’une de ses compositions, « une Mazurka toute fraîche, écrite dans la foulée des répétitions de ce concerto dont elle a la tonalité, si bémol majeur et dont elle reprend les notes pointées, sinon, ce n’est pas la même musique », sourit Lucas Debargue. Le public est à la fois ému de l’offrande de cette œuvre si neuve et séduit par sa variété et sa force onirique.

Un malheureux oubli ?

Encadrant ces instants dominés par le piano, l’orchestre interprétait deux œuvres de Louise Farrenc, dont Laurence Equilbey esquissa le portrait. Fille du sculpteur Jacques-Edme Dumont et de Marie-Elisabeth-Louise Curton (qui n’étaient pas mariés, chose rare à cette époque !), brillante, elle sera professeur de piano au Conservatoire de Paris et se battra pour obtenir le même salaire que ses collègues masculins. Son époux, flutiste, encouragera Louise Farrenc dans la voie de la composition. Fait non anodin, si les dictionnaires de la moitié du XIXe la qualifiaient professeur et compositrice, ceux de la fin du XIXe ne retenaient que le terme professeur. L’effacement commençait !

Et pourtant, les œuvres interprétées au GTP n’avaient pas à rougir au regard du concerto beethovenien. On reste étonnés de l’oubli dans lequel ont pu plonger son Ouverture n° 1 opus 24 emplie d’un bouillonnement où l’énergie et le discours s’emparent des remuements de l’âme, ou sa Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 35, qui fait converser les instruments avec une intense poésie, mariant douceur éloquente et emportements passionnés. Les phrases orchestrales restent parfois en suspens tandis qu’un pupitre reprend le thème. La partition des bois (l’écriture témoigne de l’amour pour un mari flutiste !) est particulièrement subtile et accorde à ce pupitre une voix rarement aussi affirmée. L’ensemble tient l’auditoire en haleine, pétillant d’intelligence.

En bis, un extrait de l’Ouverture n° 1 de Louise Farrenc achevait de convaincre l’assistance du génie de la compositrice et remerciait par ses applaudissements Laurence Equilbey de remédier à son indigne effacement.

MARYVONNE COLOMBANI

Insula Orchestra était sur la scène du Grand Théâtre de Provence le 28 septembre à Aix-en-Provence.

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