La situation romanesque, relatée par Nikolaas, jeune homme sud-africain venu parfaire son éducation dans une université anglaise réputée, se déroule en 1937. Le texte est comme un journal de bord, dans lequel le personnage consigne les moments les plus marquants d’un été passé dans la famille d’un camarade de promotion, vécu comme une triple expérience de déplacement : géographique, social et culturel. Le cadre en est un jardin anglais, havre de paix, rempart fragile face à une actualité brûlante, précipitant l’avènement des fascismes populistes – de Franco à Hitler – et la fin des aristocraties transnationales.
Vanité végétale
La petite histoire est ainsi finement associée à la grande, au gré des réflexions de Nikolaas, suscitées par les épreuves de l’initiation à un monde aristocratique dont il ne maîtrise ni les codes ni les rituels. Cette matière psychologique est articulée à de nombreuses descriptions du jardin, faisant de ce roman une œuvre « géo-littéraire ». Le temps est également un personnage, et son passage, le véritable sujet du roman. Le jardin céleste, jamais nommé comme tel, fonctionne comme une allégorie de la fuite du temps, des âges de la vie, une vanité végétale. Les nombreux moments de dialogue rapportent les codes conversationnels d’un huis clos, celui de l’aristocratie anglaise, à la fois fermé et cosmopolite, du fait de la colonisation. Ce qui peut ou non être dit s’avère être l’épreuve la plus délicate pour le jeune homme, auquel l’écrivain sud-africain, qui mettra des mots sur l’apartheid, peut être identifié.
FLORENCE LETHURGEZ
Le Jardin céleste de Karel Schoeman
Actes Sud, 22,50 €