Qu’on la découvre ou qu’on la revoit, Romances Inciertos – Un autre Orlando procure la même sensation de rêve éveillé. Un rêve dont les personnages sortiraient d’une toile de maitre espagnol, pour nous séduire, nous troubler, nous entraînant dans une quête perpétuelle, de renaissance en métamorphose. A la fois ballet, opéra et concert, la pièce imaginée par Nino Laisné (mise en scène et direction musicale) et François Chaignaud (chorégraphie) est une ode délicate et sensuelle à l’ambiguïté, à un entre-deux genres précurseur. Enchaînant trois solos, trois actes aussi bien dansés que chantés, Chaignaud émerveille par son incarnation successive de figures mythiques de la culture espagnole. D’abord, Doncella Guerrera, jeune fille partie à la guerre travestie en homme, dans un costume de soldat donquichottesque. Puis, de réapparaître, chaussé de pointes et perché sur des mini-échasses, en archange San Miguel, mis en vers par Garcia Lorca. Enfin, sous les traits de la Tarara, gitane aguicheuse et androgyne, pour un tableau d’influence flamenca. Les musiques savantes ou populaires, héritées des XVIe et XVIIe siècles, elles aussi en mutation, sont sublimement jouées par quatre musiciens (bandonéon, violes de gambe, théorbe, guitare baroque et percussions), témoins complices des transfigurations du danseur. En décor, quatre reproductions de tapisseries dévoileront, au fil de la performance, une nature en proie aux rapports de domination… Que la créature hybride aux costumes dignes d’un cabaret queer fait voler en – et avec – éclats. Baroques dans tous les sens du terme, ces « Romances incertaines » n’offrent qu’une seule certitude : celle d’une beauté frôlant la perfection.
LUDOVIC TOMAS
Romances Inciertos – Un autre Orlando a été donné les 13 et 14 décembre au Zef, Marseille.