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« Je suis le vent » fait-il Fosse route ?

Même si les apparitions de TG Stan soulèvent toujours l’intérêt, on peut regretter le manque de puissance théâtrale que l’œuvre de Jon Fosse demandait

Au Bois de l’Aune, les TG Stan, acronyme de Stop Thinking About Names, sont un peu comme à la maison. Invités réguliers, ils reviennent quasiment chaque année avec des propositions différentes mais toujours intéressantes, unissant propos et forme en spectacles d’une belle intensité. Parfois se font jour des projets annexes, demandant une configuration moins importante, c’est le cas de Je suis le vent de l’auteur norvégien Jon Fosse que Matthias de Koning et Damiaan De Schrijver ont traduit avec Maaike van Rijn et ont porté à la scène.

Sur le plateau, ils sont deux, pendant des clochards de la pièce de Beckett En attendant Godot, eux aussi discourent, sans doute avec moins de subtilité que Vladimir et Estragon, mais avec une dimension tragique supplémentaire, l’un des protagonistes a choisi de mourir. L’Un et l’Autre, ils n’ont pas d’autres noms, sont déjà installés sur deux chaises lorsque le public entre. L’Autre fume un cigare, et humecte sa longue barbe de parfum tandis que l’Un caresse son crâne chauve et boit avec une maladresse étudiée une canette de Coca, dans un décor dépouillé jonché de quelques bouteilles plastique et de canettes. Le texte en néerlandais est traduit en larges caractères sur la toile tendue derrière les protagonistes. « Ik » (« je » en français) est le premier mot de la pièce. Les deux compères se retournent pour vérifier la traduction affichée jouant avec le public en une connivence rapidement nouée.

Des trouvailles ingénieuses

Sans doute, la relation brillante avec les spectateurs qui se laissent mener par la fantaisie des mimiques, des intonations et des silences, nuit à la tension dramatique et au contenu tragique de la pièce. La lourdeur ressentie par l’Un qui est désespéré de sa relation au monde, – il se sent devenir aussi lourd si ce n’est davantage que les rochers gris émergeant des eaux (les deux personnages voguent sur un bateau à la voile déchirée, du moins on le devine) -, s’oppose à la légèreté à laquelle il aspire. La profondeur du propos est gommée par les clowneries et perd sa puissance existentielle. Certes, selon les instructions de l’auteur, « l’action aussi est inventée, imaginée, elle ne doit pas être accomplie, mais rester imaginaire », cependant la teneur tragique de la mort choisie n’est pas anodine, pas plus que le mal-être de l’Un qui le pousse à se jeter à l’eau, refuser la gaffe que lui tend désespérément l’Autre.

Le français est employé lorsque l’Autre se retrouve seul et raconte, désemparé, la disparition de l’Un, abandonnant le langage qui les reliait pour celui, plus intime, qu’il est le seul à manier correctement et à comprendre. Cette volte fait partie des trouvailles ingénieuses de la mise en scène. Le suicide apparaît ici héritier de la pensée d’un Cioran, vécu comme une délivrance, une conquête de la légèreté, bref, l’expression de l’ultime liberté humaine. Entourés de néant avec le brouillard qui peu à peu envahit leurs descriptions, les deux hommes évoquent les plaisirs de la vie, « c’est quand même bien de vivre non ? », la vacuité du vocabulaire dont ils usent, « ce ne sont que des mots des choses que l’on dit », mais ce que recouvrent ces mots est dépourvu d’existence…

Si le clown est le symbole du tragique, les allusions à Francis Blanche (« je peux le faire ») ou à Laurel et Hardy dont un extrait de film est passé à la fin, après la mort de l’Un, tandis que l’on voit les pieds des acteurs danser des claquettes, sont alors intéressants, mais la distanciation qui aurait dû s’établir entre poésie, humour et désespoir, n’y est pas et c’est dommage, car les comédiens sont excellents. « Maintenant je suis parti. Je suis parti avec le vent. Je suis le vent. » (Jon Fosse). Malgré le charme indéniable de ce moment de théâtre, on aurait aimé garder en mémoire la puissante tension dramatique que l’œuvre réclamait…

MARYVONNE COLOMBANI

Je suis le vent a été donné les 26 et 27 janvier au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.

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