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AccueilSociétéÉditoLa beauté de tuer des fascistes ? 

La beauté de tuer des fascistes ? 

« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie », écrivait Lévi-Strauss en exergue de Race et Histoire en 1952. Même si le pionnier de l’anthropologie n’a pas échappé à une représentation ethnocentrée et genrée des sociétés humaines, sa phrase continue d’interroger notre présent. 

Il l’a écrite après la Shoah à laquelle il n’avait échappé qu’en s’exilant hors d’Europe. Et Race et Histoire précède les décolonisations qui pourfendront l’idée d’une entreprise civilisatrice de l’Europe, et montreront comment la France en particulier a commis, au nom de l’universalisme, d’innommables exactions. 

Deux ans plus tard, alors que la Guerre d’Indochine fait rage, Aimé Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal précise : 

« une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment ». 

La phrase paradoxale de Lévi-Strauss, la phrase choc de Césaire,  peuvent aujourd’hui rétablir, au-devant de nous, un horizon désirable. Le seul possible, pour peu qu’on les écoute jusqu’au bout, jusqu’à la Crimée annexée, jusqu’à la Palestine occupée et menacée de disparaître.

Tuer est laid

Croire en la barbarie contamine nos âmes, et ne pas y croire est une entreprise persistante et obstinée contre les courants dominants. Elle nécessite d’admettre, comme l’écrivait Térence il y a 22 siècles, que « rien de ce qui est humain ne [nous] est étranger ». C’est-à-dire, concrètement, que Poutine qui envahit l’Ukraine, Musk qui fait un salut nazi, Trump et Netanyahou qui veulent exterminer un peuple, les terroristes qui violent et décapitent, qui foncent en camion sur les foules, mais aussi, les pédophiles qui attouchent les petits garçons dans leurs chambres et ceux qui s’acharnent sur une femme endormie, aucun d’entre eux, Hitler lui-même, n’est un barbare. 

Aucun n’est étranger à nous-mêmes, aucun n’est relégué hors de notre commune humanité. 

Leur cruauté, leurs exactions, leur stupidité, leur suprémacisme, ne nous sont pas étrangers, et appeler à leur assassinat nous transforme en barbares, en une spirale où la violence ne peut que succéder à la mort, le viol au viol et le génocide au massacre. 

Il nous faut les combattre, les armes ou la plume à la main, les chants et les poèmes aux lèvres. Mais nous ne pouvons détruire les sociétés qui les soutiennent, les ont élu parfois, ou placés à leur tête : ils nous faut les convaincre. Répéter, chanter, écrire, qu’aucun peuple n’est plus grand qu’un autre, qu’aucune loi ne peut demander la destruction ou l’infériorisation de l’autre, et qu’on ne peut annexer un territoire souverain, massacrer l’autre, sans massacrer en nous-mêmes notre propre humanité, et tourner le dos à la civilisation que nous disions défendre et promouvoir. 

L’art de l’interrelation

Avec Babel Music XP et Mus’iterranée qui font entendre la diversité et l’interrelation des musiques du monde, avec Bright generations qui parie sur la sensibilisation et l’intelligence du jeune public, avec Transgaze qui confirme que nous devons transformer nos regards, avec les films qui bouleversent nos écrans de leurs réalités particulières, avec les expositions qui disent la joie universelle des couleurs, des matières et des formes, nous nous préservons de la barbarie. Avec les livres qui cherchent de nouveaux équilibres, avec les spectacles qui rappellent l’abjection de Vichy, avec Catarina ou la beauté de tuer des fascistes qui interroge le meurtre politique, avec tout ce qui fait art et commun, nous occupons un champ de bataille sur lequel il n’y a ni défaite et ni vainqueur : celui de la pensée et de la relation, de l’empathie et du partage. 

Loin de la barbarie imaginaire du monde, au cœur du combat contre la cruauté.  

AgnÈs Freschel


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