Voilà déjà deux ans que Vanessa Springora a signé son entrée fracassante en littérature avec Le Consentement. Deux ans que ce récit levant le voile sur les violences sexuelles et pédo-criminelles perpétrées au nom de l’art, et sur l’impunité d’écrivains prédateurs, a jeté un pavé dans la marre des lettres françaises. Porté à la scène par Sébastien Davis, ce texte âpre et troublant trouve en Ludivine Sagnier une interprète idéale. Car si la comédienne est aujourd’hui quadragénaire, elle convoque sans peine, par sa blondeur, son grain de voix et sa sensibilité, la puberté et ses tourments. Le portrait-robot esquissé par l’autrice de sa propre jeunesse était implacable : « Un père aux abonnés absents qui a laissé dans mon existence un vide insondable. Un goût prononcé pour la lecture. Une certaine précocité sexuelle. Et, surtout, un immense besoin d’être regardée. Toutes les conditions sont maintenant réunies. »
Enjouée et poignante
Tour à tour enjouée et poignante, la comédienne donne du corps et de la voix à cette adolescente flétrie, dont elle célèbre avant tout l’appétit de vivre et l’intelligence. Face au Gabriel Matzneff qu’elle incarne parfois, au détour d’une réplique, d’un ton doucereux assez pétrifiant, Ludivine Sagnier campe une Vanessa Springora moins dupe de ses stratagèmes que complètement inapte, émotionnellement et psychologiquement parlant, à se défaire d’un des rares amours qu’on lui destine. De temps à autre, au détour d’un regard, d’une inflexion, d’un silence, le masque se fissure et ne laisse émerger qu’une tristesse insondable. Qui se métamorphose, au contact de la musique conçue par Dan Lévy et interprétée en live par Pierre Belleville, en une boule de rage salutaire et contagieuse. Plus encore que bouleversant : le spectacle se révèle nécessaire.
SUZANNE CANESSA
Le Consentement a été joué du 3 au 8 octobre au Liberté, scène nationale de Toulon