Zébuline. Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir artiste ?
Ghada Amer. Je n’avais pas envie d’être artiste, en fait. Quand j’étais petite, en Égypte, j’adorais les cours de dessin, on nous mettait dans un coin, avec des crayons et des couleurs, et on faisait ce qu’on voulait. C’était pour les cancres en réalité, ou quand il y avait la guerre avec Israël, c’était très calmant pour les enfants. Donc à chaque fois que j’étais angoissée, j’aimais toujours dessiner. Mais je ne savais pas que quelque chose comme « artiste » existait. En classe de terminale, à Nice, je suis tombée en très grave dépression, et la seule chose que je pouvais faire c’était dessiner. Mes parents m’ont parlé des Beaux-Arts, et c’est comme ça que j’ai découvert la Villa Arson, l’art, et qu’on pouvait s’amuser toute sa vie !
Et le féminisme, c’est arrivé comment ?
C’est arrivé tout seul [rires]. Parce qu’on peint ce qui nous entoure, ce qui nous touche, que ce soit un coucher de soleil, une situation politique. Et comme femme venant d’Égypte en France, j’ai vu que les femmes n’étaient pas traitées de la même manière que les hommes, ni ici, ni là-bas. Dans la famille, on était quatre filles, je n’avais pas de frère. Les gens se moquaient beaucoup de mon père, parce qu’il voulait nous donner une bonne éducation. Ils disaient qu’il perdait son argent en nous mettant dans des écoles françaises, chères. Plus tard, j’ai lu les livres d’histoire de l’art : aucune femme, la moitié de l’humanité absente. C’est quand même bizarre, et inquiétant !
Beaucoup de vos œuvres sont tramées d’écriture, que ce soit en arabe, anglais ou français. Qu’est-ce que l’écriture représente pour vous ?
Je suis née dans la calligraphie, c’est une forme d’art, un truc d’abstraction. J’ai connu tout ce qui est art figuratif bien après avoir connu l’art calligraphique. Donc pour moi, l’écriture c’est l’art. C’est comme les femmes que je dessine : d’un côté c’est dessiné, de l’autre écrit, mais je ne vois pas de différences.
Vous dîtes, à propos de votre travail le plus récent, les sculptures, que vous présentez à la Vieille Charité, que ça vous a permis de vous débarrasser de vos propos politiques pour passer à autre chose. Vous êtes passée à quoi ?
À la joie ! J’aime le processus créatif, c’est pour ça que je change beaucoup : il y a l’écriture, après il y a les femmes, les broderies, les jardins, la céramique, les dessins et la vidéo. Un médium après l’autre, j’aime me sentir toujours dans la création. Je veux toujours explorer, être créative, libre.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARC VOIRY
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Ghada Amer, Orient-Occident Jusqu'au 16 avril Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org
Ghada Amer, Sculpteure Jusqu'au 16 avril Vieille Charité, Marseille 04 91 14 58 80 musees.marseille.fr
Ghada Amer, Witches and Bitches Jusqu'au 26 février Frac Paca, Marseille 04 91 91 27 55 fracpaca.org
À lire :
A woman's voice is Revolution, 35 €
Catalogue de la rétrospective, Éditions Dilecta (Mucem)