Dès l’apparition d’un danseur solitaire, tournoyant lentement sous une douche de lumière quasi fantomatique, La Nuée de Nacera Belaza installe son vocabulaire : celui de la répétition, de l’effacement des visages, de la fusion du corps et de l’espace. Le violon et les percussions traditionnelles se répondent, tandis que le mouvement se densifie. La lumière clignote, scande, réoriente la perception. On devine plus qu’on ne voit : l’effacement devient langage.
La deuxième partie ouvre l’espace à une dizaine de danseurs, disposés autour de la lumière, bras ouverts, semblable à une forme de procession. Le cercle s’impose comme loi organique. Par vagues, les corps s’assoient, se relèvent, se figent, dans une gravitation constante autour de ce centre incandescent. La lumière, personnage à part entière, devient totem, guide, tension dramatique.
Chaque tableau semble relancer un cycle : répétition de scènes, réapparition de motifs, crescendo sonore où tambours, cris et silences s’enchaînent sans linéarité. Un danseur saute sur place au cœur de la lumière, comme possédé. Les autres, à genoux autour de lui, incarnent une forme de communauté aux allures mystiques. La sensation est forte : d’un rituel ancestral ou à la manifestation d’une secte spectrale.
Belaza donne à voir un monde où le geste ne raconte pas, mais invoque. Le rythme, les ellipses, les ruptures plongent le spectateur dans un état de transe mimétique. Le noir, les halos faibles, les éclats aveuglants dessinent un espace mouvant, poreux, sans repère net. Les danseurs surgissent de tous les coins de la scène, parfois seuls, parfois en attroupement, comme étant des âmes errantes parfaitement coordonnées.
Dans le final les corps entrent, sortent, tournent à l’unisson, emportés par les bruits de cris et une lumière grandissante qui finit par engloutir la salle. On ne sort pas indemne de cette traversée. La Nuée n’illustre rien, mais imprime un monde. Celui d’un collectif régi par la loi du cercle, où chaque geste semble convoquer l’invisible.
MANON BRUNEL
La Nuée était donnée les 13 et 14 juin au Ballet national de Marseille, dans le cadre du Festival de Marseille.
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