Implanté au cœur de la ville, Le Polaris centre d’art a été inauguré en juin 2022, délaissant ses « vieux habits » au charme ancien (petites salles en pierres voutées) pour un bâtiment ultra moderne. Un white cube propice aux installations et aux expositions de grands formats comme actuellement le face à face entre Orlan et Pilar Albarracín. Le seul hic reste l’absence de signalétique qui nous fait errer un long moment à la recherche de ses immenses façades en verre coincées entre deux enseignes commerciales du Forum des Carmes…
Une exposition, deux volets
Évoquer les femmes rebelles, inventives, aventureuses, décomplexées, libres, qui font exploser les codes sociétaux en vigueur en abordant la mort, la sexualité, le désir, la vieillesse, la virilité, nécessitait bien deux expositions ! La première est une conversation haute en couleur entre l’artiste française Orlan et la sévillane Pilar Albarracín qui luttent contre l’invisibilité des femmes dans la société, et notamment dans l’art. Orlan jette aux orties les modèles normés, imposés en manipulant son corps par un travail charnel, le modifiant et l’hybridant constamment ; Pilar Albarracín traque les contradictions des traditions cultuelles et religieuses espagnoles dans des mises en scène individuelles ou collectives. Et use de métaphores autour du corps et de la tauromachie pour dénoncer « une pensée patriarcale fondée sur la domination, la violence et la mort ». Photographies, objets et films témoignent, par-delà leurs différences formelles, de leur engagement commun. Le second volet réunira 22 artistes internationales, de Ghada Amer à Joana Vasconcelos, de Alexandra Arnaud Bestieu à Jeanne Susplugas.
Entre beauté et liberté
Pour la commissaire d’exposition Catherine Soria, « ces irréductibles font de la beauté une manière d’être et de penser librement la place des femmes dans notre société ». Une place hors norme au vu des diktats patriarcaux, et c’est en cela, justement, qu’elles interpellent. Qu’elles interrogent, levées vent de bout contre le machisme, jusque dans les rangs de l’art où elles ont acquis leur notoriété.Dès les années 1960, Orlan reconsidérait le statut du corps féminin dans des happenings mémorables, des vidéos, des photos, s’opposant à toutes formes de suprématie. De domination masculine notamment. Au point de faire de son propre corps une œuvre à part entière, matière à la métamorphose : transformations, excroissances, opérations chirurgicales, mises en scène, travestissements, etc. Julie Crenn, critique d’art, souligne sa force, son humour et sa détermination à se jouer de la plasticité de son corps et de son apparence, et ce depuis son Manifeste de l’art charnel en 1975 ! Près de cinquante ans plus tard, Orlan est toujours une figure iconique de l’art contemporain qui a ouvert la voie aux artistes femmes.
De l’individuel au collectif
Dans l’œuvre protéiforme de Pilar Albarracín, l’exposition a sélectionné une série d’autoportraits photographiques de facture classique. En apparence, seulement, car la main de l’artiste espagnole a fait son œuvre patiemment, redessinant le plastron des robes traditionnelles de flamenco de tracés anatomiques (squelette, intestins) ou poétiques (racines). Le tout sur fond de papier argenté froissé. Des représentations mi-déesses mi-madones qui donnent à voir l’extérieur et l’intérieur du corps féminin… Une autre œuvre singulière, réalisée à Istres, réunit un groupe de femmes couchées au sol, imbriquées les unes dans les autres et revêtues de la robe fétiche. Clin d’œil à une performance réalisée en 2018 au musée Picasso à Paris, intitulée En la piel del otro – dans la peau de l’autre qui évoquait les femmes assassinées en temps de guerre et les féminicides. Une autre image – forte – de la sororité.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Orlan et Pilar Albarracín
Premier volet jusqu’au 30 avril
Exposition collective
Du 6 mai au 14 juin
Le Polaris centre d’art, Istres
04 42 55 17 10