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Le meilleur des pires

Premier long métrage de Lise Akoka et Romane Gueret, Les Pires bouleverse par son réalisme et la puissance d’acteurs et d’actrices que rien ne prédestinait au cinéma

Ce serait un film de banlieue. Ce serait le Nord de la France. Dans la cité Picasso, à Boulogne-sur-Mer. Ce serait un premier long métrage qui ferait suite à un court tourné dans ces mêmes territoires, creusant la même veine d’un cinéma qui pose des questions sociales en même temps que les questions de cinéma. Ce serait de jeunes acteurs non professionnels qui crèveraient l’écran. Ce serait Les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret, Grand Prix Un certain Regard 2022, Valois de Diamant au Film Francophone d’Angoulême.

Leur court métrage Chasse Royale filmait un casting, Les Pires prend en compte un tournage complet. On aura deux films pour le prix d’un, l’un emboîté dans l’autre. Et sans doute un troisième né de l’interaction des deux. Un réalisateur flamand, Gabriel, incarné par Johan Heldenbergh arrive avec son équipe dans un quartier populaire pour tourner un film social : Pisser contre le vent. Les jeunes acteurs sont repérés au collège du coin, ou au foyer de la PJJ. Les habitants, inquiets de l’image négative, misérabiliste, portée par le film, remarquent que parmi les gamins auditionnés, il a choisi les pires. Ceux dont on  a pu dire que « ce n’était pas parce qu’ils existaient qu’ils fallait les montrer ». Des gosses à la vie pas facile, violents dans le verbe et le geste. Le petit Ryan, cheveux ras blond platine, moue boudeuse, entravé par sa propre rage, sans père, soustrait à l’autorité d’une mère défaillante, confié à sa sœur. La jolie et rieuse Lily, trainant sa mauvaise réputation de « pute » à l’école comme à la ville, un trou dans le cœur depuis la mort de son petit frère. Jessy,  délinquant, fanfaronnant avec sa bande de machos en herbe. Ces personnages-là vont jouer un drame à la Dardenne. Lily sera une fille de 15 ans. Ryan, son petit frère, jaloux du bébé qu’elle porte. Jessy, le futur père incarcéré. On le voit, les deux fictions se répondent en miroir. Dans notre soif de référentiel, celle du film de Gabriel confère à celle des Pires, une réalité documentaire. Mise en abyme, emboîtement, double jeu, et « je » double des acteurs qui passent d’un film à l’autre, avec une virtuosité déconcertante. Les regards se multiplient. Celui de l’adolescente Maylis, différente,  choisie pour un rôle secondaire, qui dit le minimum pour nous faire voir et sentir au maximum les failles des autres. Celui du faux réalisateur exogène au milieu dont il s’empare sans en connaître ni les codes ni le langage, doux bobo, un peu comique capable de cruauté pour une bonne prise. Celui des réalisatrices dans une auto-réflexion permanente. Comment le cinéma s’empare-t-il de la réalité ? Comment la change-t-il ? On sort de la projection de ce film, impressionnés par l’intelligence et la maîtrise de la réalisation mais surtout bouleversés par les visages saisis en gros ou très gros plans de ces jeunes gens découverts par le casting sauvage de Marlène Serour : Mallory Wanacque (Lily), Timéo Mahaut (Ryan), Loïc Pesch (Jessy), Mélina Vanderplancke (Maylis). On va de la vie au cinéma et du cinéma à la vie. Et parfois les deux fusionnent.

ELISE PADOVANI

Les Pires, de Lise Akoka et Romane Gueret
Sorti le 30 novembre
Le film a également été présenté le 9 octobre, en avant-première au festival Nouv-o-mondo, à Rousset
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