samedi 27 avril 2024
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Le vieil homme dans la brume

Chronique rurale et thriller politique venu du Costa Rica, l’hybride Domingo et la brume s’appréhende comme une expérience multi sensorielle

Sélectionné au dernier Festival de Cannes, dans la Section Un Certain Regard, Domingo et la brume, deuxième long métrage d’Ariel Escalante Meza, vient nous rappeler que le cinéma costaricien existe, dynamisé par une nouvelle génération de jeunes réalisateurs qui n’hésitent pas à bousculer les codes. Domingo et la brume est ainsi un objet cinématographique non identifié, ou plutôt qui hybride genres et formes, agrège acteurs professionnels et non professionnels, et, avec des moyens limités, sans effets numériques, s’appréhende comme une expérience multi sensorielle.

Un vieil homme en ciré jaune avance sur un chemin de campagne. La caméra le suit. On saisit à son passage une conversation entre une femme et un homme qui la presse d’accepter une expropriation. On entend le cri des animaux, le chant des oiseaux, et au loin, des explosions, un ronronnement de moteurs. Le vieux débouche sur la colline déforestée, excavée, éventrée. Il se baisse, prend une pierre et la jette sur un ouvrier du chantier en l’invectivant. Ce vieil homme, c’est Domingo (Carlos Ureña). Il vit à Cascajal de Coronado, dans la province de San José, un territoire rural de pâturages et de montagnes où doit se construire une autoroute. Les développeurs urbains sont prêts à tout pour chasser les derniers récalcitrants qui ont refusé de céder leurs terrains. Malgré leur pauvreté, malgré les intimidations de plus en plus violentes, Domingo et ses copains de beuverie résistent. 

Réalisme et fantasmagories

Domingo ne peut pas quitter sa maison car c’est là que sa femme, morte depuis des années, portée par la brume, le visite régulièrement. Ni sa fille Silvia, ni ses amis ne le croient, mais lui sait. Il demande pardon au fantôme pour le mauvais mari qu’il a été, lui dit son amour, le manque douloureux. Elle ne lui répond pas mais nous entendons en off, une voix féminine – serait-ce celle de la défunte ? – qui parle de vie et de mort, d’un dieu inutile, qui conclut qu’entre paradis et enfer, il y a à peine un fossé, qu’on se trouve au milieu avec des paillettes pour suturer ses blessures….

Le film alterne scènes de jour et scènes de nuit, créant une respiration régulière. Tel un souffle, la brume envahit les chemins, la forêt, les pièces de la maison de Domingo, enveloppe son lit. Les mouvements de caméra la transforment en personnage lui conférant une intention. Domingo déambule, la tache jaune de son imperméable trouant les bruns bleutés indéfiniment déclinés. Il traverse les ruines d’une ferme, parcourt son territoire menacé. Il trait sa vache, boit avec ses amis, guette, un fusil à la main, l’agresseur dans le clair-obscur de sa maison. Chronique rurale en gestes quotidiens répétitifs et thriller politique. Réalisme et fantasmagories. On se laisse gagner par la beauté plastique des plans superbement éclairés par Nicolas Wong Diaz, et happer par une bande-son particulièrement travaillée qui juxtapose musique concrète, sons électro et rythmes tribaux.

Quand on interroge Ariel Escalante Meza sur ses influences et sources d’inspiration, il parle de la musique industrielle de Coil et de Einsturzende Neubauten mais aussi de Charles Mingus et de Jean-Michel Basquiat pour sa rage et le sentiment que le monde est en feu.

ELISE PADOVANI

Domingo et la brume d’Ariel Escalante Meza
En salle depuis le 15 février 
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