lundi 14 octobre 2024
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Les baskets de la liberté

Dans les rues, les bureaux, les transports, toutes les femmes, jeunes ou vieilles, voilées ou mini-jupées, bourgeoises ou prolétaires, cadres ou employées, sont désormais en baskets. Plus ou moins chics, confortables et logotisées, les chaussures des femmes sont enfin confortables et leur permettent de courir, porter, marcher comme des hommes. Elles sont enfin libérées du talon, ce carcan séculaire qui voulait les rehausser et contraignait leurs mouvements avec l’aide des jupes longues ou courtes, les empêchant de s’asseoir, de chevaucher ou s’allonger tranquilles. 

Restent d’autres carcans, maquillage, lissage, épilation et faux cils, faux ongles infinis qui empêchent de pianoter ou de caresser sans risque. Mais la révolution de la basket semble définitive, profitant aussi aux hommes (et aux vaches) qui ne sont plus contraints à la rudesse du cuir.

Mais d’où vient cette avancée sociétale notable, sinon du hip-hop ? D’une culture mondialisée, populaire au sens où elle est née du peuple comme une contre-culture, en utilisant pourtant ses circuits publics et marchands. Un symbole des paradoxes de la notion de « populaire » en art. 

La pop, c’est populaire ? 

C’est ce que la Semaine de la pop philosophie, se propose d’explorer cette année. Une philosophie née du concept derridien selon lequel la pensée peut s’exercer à partir de référents populaires, et se passer d’Eschyle et de Bach pour se nourrir de pop art, pop musique, bédé et séries télé. Il s’agit d’en finir avec une notion descendante de la culture, celle d’une éducation populaire par ceux qui savent, et de considérer que le peuple produit des œuvres, qui permettent aussi des révolutions sociétales. Comme l’usage généralisé des baskets. 

Une analyse qui vient battre en brèche le concept de Vitez, cher à la culture publique, de « l’excellence pour tous », pour y substituer celui plus inclusif de l’excellence de tous·tes. Mais qui se heurte à l’absence de réflexion sur les forces de régulation exercées sur le « populaire » par le marché capitaliste.  

C’est pas le pied 

Car si le public se réunit en masse pour sauver des vies au concert de SOS Méditerranée, s’il sera demain nombreux la Fiesta pour célébrer les Suds, les têtes d’affiches de ces grandes manifestations doivent leur succès à leur talent, mais aussi au soutien d’un système médiatique et industriel qui les a rendus bankables

Sont-ils pour autant plus légitimes à défendre le peuple que les artistes des scènes publiques qui s’interrogent sur la justice, qui réhabilitent la dignité de la Traviata, dame aux camélias de traviole ? Qui concoctent de magnifiques spectacles pour enfants, qui dénoncent les abus séculaires et font sauter les carcans hérités pesant sur les corps et sur les mots ?

Sans intervention, ici et là, des principes de la culture publique, le hip-hop se serait réduit à celui que les majors, c’est à dire le capitalisme, avait intérêt à promouvoir : exclusivement masculin, séparant les communautés et les générations, et (auto)représentant la jeunesse populaire comme violemment ingérable et sans avenir. Loin de la révolution des baskets, que la culture publique n’a pas voulue, mais qui profite aujourd’hui autant à Nike® qu’aux pieds des femmes. 

AGNÈS FRESCHEL

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