Le Théâtre Jean Vilar était plein à craquer de la jeunesse populaire de La Mosson et La Paillade, familière d’un lieu où la Ville de Montpellier programme des spectacles engagés et pratique une médiation active. Hélène Soulié y est en terrain familier : la metteuse en scène s’est formée à Montpellier et y a fait ses premières armes, et sa compagnie Exit y est toujours basée. Mais cet ancrage local n’empêche pas la portée universelle d’un spectacle pour enfants qui est une claque pour tous·tes.
Dans un décor enfantin astucieux où les meubles colorés se déplacent seuls, où les costumes ont tout du déguisement, une scène de prédation familiale a lieu. Le père (Jean Christophe Laurier), regard mauvais, bouche oblique, perruque blanche, bon chic terrifiant, accule sa fille, tandis que la mère fuit en conseillant à son enfant sans nom d’en faire autant. Celle-ci devra pourtant céder au rituel des « siestes » paternelles…
Ce que disent nos fictions séculaires
Le premier acte est glaçant. Fanny Kervarec, qui joue l’enfant, s’étiole, se renferme, amenuise ses gestes, incarne la terreur et la culpabilité jusqu’au malaise. Le père éditeur et son ami écrivain, sorte d’affreux Matzneff gras, rois porcs libidineux, lorgnent sur la chair fraîche et dévorent des cervelles et de la viande crue. Ils sont l’incarnation dans le réel des ogres des contes, des loups, des pères qui veulent se marier avec leur fille, leur ôter le cœur, les endormir cent ans et dévorer les chevrettes.
Après ce premier acte sidérant c’est une autre fantaisie, féerique et libératrice, qui viendra réparer les traumatismes dans une joie tapageuse. L’âne de l’enfant (Nathan Jousni, très drôle) se révèle un hybride qui se genre au féminin. Il rencontre une Belle au bois dormant noire (formidable Laury Hardel) qui milite pour que la forêt renaisse. Leur road trip en auto tamponneuse délie peu à peu les paroles de l’enfant, son anorexie, sa terreur. Jusqu’au procès du père, définitif : oui, les hommes doivent s’interdire certains désirs, pour les enfants, surtout quand ils sont les leurs.
La fête est finie. Ce Peau d’âne met un terme à l’inceste raconté dans le conte des Grimm et le film de Demy. La fée des lilas, le cake d’amour en prennent aussi pour leur grade. Mais au-delà, il construit un univers féérique possible où il y aurait des couples choisis, des hybrides et des trans, des princesses racisées et des espèces en voie d’apparition. De nouveaux contes, pour un nouveau monde non patriarcal.
AGNÈS FRESCHEL
Peau d’âne, la fête est finie a été créé les 12 et 13 octobre au Théâtre Jean Vilar, Montpellier.
À venir
Le 28 janvier au Théâtre Savary, Villeneuve-lès-Maguelone