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Les travaux et les jours

Deuxième long-métrage de fiction de Filipa Reis et Joāo Miller Guerra, Légua explore, au travers du portrait sensible de deux femmes, la fin d’une ruralité archaïque

Légua est un village au nord de Portugal. Et le film, qui prend ce toponyme pour titre, s’y déroulera intégralement. Dans la vallée paradisiaque, où il se niche, gardée par l’effraie blanche, la société archaïque rurale se dissout. Les propriétaires terriens perçoivent encore le fermage de leurs métayers mais vivent loin de là. Les familles émigrent, faute de travail. Les enfants font leurs études dans les villes qu’ils jugent plus attractives, et s’y installent. Les rapports maîtres-serviteurs sacralisés par un catholicisme de soumission deviennent intolérables.

Emília (Fátima Soares), vieille bigote revêche fait partie de l’ancien monde. Elle s’occupe (on le devine, depuis bien longtemps) de l’entretien d’une grande demeure bourgeoise où elle habite, cantonnée dans l’espace modeste qui lui est réservé. Fidèle et respectueuse malgré l’évident mépris de classe dont elle est victime. Son allégeance, intériorisée, ne se fissurera qu’à l’ultime fin de sa vie par une transgression sacrilège : boire dans la tasse préférée de Madame !

Mutations

Elle doit à tout moment pouvoir accueillir ses patrons qui ne viennent plus guère. Dans cette maison désertée, symbole d’un passé révolu, elle fait les lits, range, époussette les vieux cadres photos, astique les verres et les robinets, lustre les buffets lourdement ouvragés, aidée par Ana (Carla Maciel), une belle quinquagénaire sur le point d’émigrer avec son mari et sa fille Mònica (Vitória Nogueira da Silva). Emília, Ana, sa fille : trois générations de femmes. Anna écartelée entre sa propre histoire qui la pousse à partir et une dette morale (dont on ne saura pas grand chose) qui l’attache à Légua et à Emilía. Entre ce territoire qui est le sien et cet ailleurs de possibles qu’elle désire et auquel sa fille, impatiente, aspire.

Les chiens, les poules, la cuisine, le jardin, les champs : le réalisateur et la réalisatrice s’attardent aux gestes quotidiens qui filent les jours. Ils montrent les corps à l’œuvre. Celui d’Anna, mince, sec, musclé. Dans l’amour, le travail, le plaisir, le soin altruiste. Celui d’Emília, malade, dépendant, résistant jusqu’à ses ultimes forces. Un regard sensible, pudique et cru, qui saisit avec une force tranquille, tout à la fois, la permanence du cycle naturel des saisons, la boucle des existences et la mutation sociale, économique, politique du monde qui va.

ÉLISE PADOVANI

Légua, de Filipa Reis et Joāo Miller Guerra
En salles le 13 décembre
Film présenté à la Quinzaine des cinéastes 2023

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