mercredi 3 juillet 2024
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L’hôpital en burn-out

Dans État limite, Nicolas Peduzzi pose un diagnostic implacable mais lucide sur la situation hospitalière en France, d’une caméra pudique et bouleversante 

« Encore un film sur l’hôpital ! » pourrait-on se dire en lisant le synopsis du documentaire de Nicolas Peduzzi, Etat Limite. Après – entre autres – la trilogie de Nicolas Philibert où se révèle le manque de moyens des services de psychiatrie, après le film de Léa Fehner, Sages Femmes, qui dénonce les difficultés d’exercer « le plus beau métier du monde », nous voilà à nouveau immergés dans le quotidien d’un hôpital, au cœur d’un système auquel chacun de nous a été ou sera confronté, et dont certains ne sont pas loin de penser que le pronostic vital est engagé. Mais, si Nicolas Peduzzi partage avec les autres ce funeste diagnostic, son film explore plus particulièrement cet état limite qui donne titre au film et désigne en psychiatrie, un trouble psychique entre démence et normalité. Avec une grande intelligence, il montre que l’état limite touche désormais, tout à la fois les patients, les soignants, et l’hôpital tout entier.  

Faire liaison
Le film s’ouvre sur le prélude n°4 op.28 de Chopin. Couloirs aux fades couleurs, encombrés de brancards, d’appareils médicaux en transit. On suit la nuque tatouée d’un aide-soignant. On est à l’hôpital Beaujon dans la région parisienne. Des policiers attendent depuis des heures une décision administrative pour un homme violent entravé sur un lit. Les salles d’attente sont bondées. On suit les baskets du docteur Jamal Abdel-Kader, unique psychiatre de liaison dans l’établissement. Il navigue d’un service à l’autre, d’un patient à l’autre, monte les étages malgré son mal au dos, s’interroge sur les protocoles de soins, gère ses internes, et les situations de crise avec les familles. Il court après le temps toujours insuffisant pour écouter chacun : la jeune Aliénor, suicidaire, renversée par un train et amputée de trois membres, rejetée par sa famille, Vincent aux pulsions de défenestration, Windy atteint d’une pancréatite, muré dans sa souffrance, plongé dans le noir devant des séries médicales.

Des fragilités humaines en écho avec celles des soignants qui reçoivent en plein cœur toute cette douleur. Il est encore jeune Jamal. Biberonné à l’hôpital public français où ses parents venus de Syrie se sont formés, aimés, mariés, ont travaillé et habité un temps. Destiné à la chirurgie avant de découvrir par un stage, la psychiatrie et d’acquérir la conviction, avec un peu d’orgueil avoue-t-il, qu’il pouvait faire mieux que les autres. Un convaincu qui doute parce qu’on ne peut pas faire ce qu’il faut quand s’impose une logique comptable et quantitative. Et Jamal se demande si en accomplissant chaque jour l’impossible, il ne se fait pas complice d’un système qui se fiche bien et des patients et des médecins.

La caméra du réalisateur toujours pudique approche avec respect les malades auxquels on demande systématiquement leur consentement. Certains l’oublient, trop préoccupés par leur mal être. D’autres la regardent au passage comme une interlocutrice supplémentaire. Peduzzi nous offre des scènes bouleversantes et drôles à l’instar de celle où on joue dans un atelier théâtre, Molière et Shakespeare. Le tourbillon des activités s’arrête parfois sur images dans de superbes photos en noir et blanc signées Penelope Chauvelot. Seraient-elles les futures archives d’un monde disparu ? État limite donne à voir et à penser la vulnérabilité des individus et du collectif, avec pour viatique, l’idée toute simple que comme pour la société toute entière, on ne peut tenir qu’en s’obligeant mutuellement.

ÉLISE PADOVANI

État limite, de Nicolas Peduzzi
En salles le 1er mai
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