Ligia Lewis fulmine. Regard noir. Sa danse circulaire est un défi. Son pied frappe le sol. Les mots, elle les mâche, les crache. Elle toise le public et passe dans les rangs. A Plot / A Scandal, c’est une histoire de « vengeance », comme le proclame un néon rougeoyant dans la fumée. Vengeance contre l’appropriation des terres et des corps par les Européens, contre les « plots », comprendre les récits de légitimation coloniale : « c’est notre histoire, à vous et moi ».
Dans cette pièce, la chorégraphe se livre à une reconstitution sarcastique de scènes et scénarios de domination, pas toujours dans la dentelle mais pour un évident plaisir transgressif. Ici, en aristo dégénérée, elle engloutit des lambeaux de viande offerts par un laquais en livrée. Là, vautrée sur un tas de crânes, jambes écartées, elle dénonce les vies humaines sacrifiées aux plaisirs coloniaux. Slip baissé, pinceau blanc, ou bien air guitar à la main sur du Hendrix, secondée par son complice Corey Scott-Gilbert, Ligia Lewis confie la déconstruction historique aux bons soins d’un appétit de scandale.
Ça pique
Dans ce joyeux pêle-mêle, Ligia Lewis sera aussi un John Locke, philosophe emperruqué, anti-héros de cette satire et dont la tête finit au bout d’une pique. Le texte qui sous-tend la performance énumère la chronologie des révoltes caribéennes depuis 1521, Maria Olofa et Jose Aponte, les articles du Code Noir. Enfin, le souvenir de Lolon, l’arrière-grand-mère de Ligia Lewis, praticienne du vaudou dominicain, dont le souvenir incarne la danse d’une épaisseur soudaine.
Car si cette déconstruction burlesque et rageuse met le public face à la question des normes admises, elle est moins encline à construire des émotions variées. Au moment des saluts, quand un néon « réparer ? » vient remplacer celui de « vengeance », on se souvient alors que c’est aussi à cela que sert parfois la danse.
ETIENNE LETERRIER
A Plot / A Scandal a été donné ces 22 et 23 septembre au Zef, scène nationale de Marseille, dans le cadre du festival actoral