Nelson Goerner, Gabriel Stern, Sinfonia Varsovia, Aziz Shokhakimov, le même soir à La Roque-d’Anthéron : quelle brochette ! Les spectateurs du parc de Florans sont plus que gâtés avec la venue de tels interprètes. Le Sinfonia Varsovia, superbement homogène et éloquent sous la direction vive d’Aziz Shokhakimov, se glisse avec maestria dans les partitions de Liszt, compositeur phare du jour. La diabolique Totentanz (ou Danse macabre, sous-titrée « paraphrase du Dies Irae ») ouvre ce festival virtuose. Construite sur la séquence initiale du Dies Irae (celui-là même repris dans le cinquième mouvement de la Symphonie fantastique de Berlioz), elle s’appuie aussi sur le diabolus in musica (intervalle de quarte augmentée ou triton qui deviendra la note bleue du jazz). Déluges de notes, faux-bourdon, intervalles dissonants, glissandos éblouis de leurs propres audaces, rythmique enflammée qui emporte piano et orchestre dans de larges vagues puissantes. La musique décline tous les registres avec une verve sans pareille. Inspirée par les gravures sur bois de Hans Holbein (Le triomphe de la Mort) ou la fresque Il trionfo della Morte d’Andrea Orcagna, l’œuvre est réputée comme l’une des plus difficiles écrites pour le piano et on veut bien le croire. La modernité de la partition éblouit par son inventivité, ses tentations bruitistes, ses combinaisons de timbres bouleversantes, ses dissonances assumées. Difficile de jouer après de telles tempêtes, même après le retour apaisé en bis de Nelson Goerner avec la Sonate pour piano n° 13 en la majeur op. 120 D.664, à la lumineuse sérénité.
Jeune virtuose
Deux concerti et pas des moindres attendaient le jeune Gabriel Stern (On peut même s’enorgueillir de sa formation puisqu’il débuta au conservatoire de La Ciotat puis poursuivit ses études musicales au CNRR de Marseille. Avant de partir sous d’autres cieux, dont la Suisse où il se perfectionne auprès de Nelson Goerner.). Le Concerto pour piano n° 1 en mi bémol majeur que Bartók qualifiait de « première composition parfaite de forme-sonate cyclique, avec des thèmes communs traités sur le principe de la variation », permet au jeune pianiste de décliner la palette moirée de son talent.
Virtuosité technique parfaite, mais qui devient accessoire tant la capacité à colorer le jeu, à dessiner les nuances, à sculpter la matière sonore est maîtrisée. Et s’accorde à la fougue de l’orchestre et parfois même du triangle qui, ce n’est pas coutume, se hisse à la hauteur d’un instrument soliste dans une conversation avec l’orchestre ou le piano. Le Concerto symphonique pour piano et orchestre n° 2 en la majeur, plus brillant encore dans son interprétation, sans doute grâce aux applaudissements frénétiques du public libérant les musiciens, tient en haleine avec ses six mouvements enchaînés. Il passe d’un registre à l’autre, emporte, séduit, offre au piano une partition redoutable et éblouissante. En bis, Gabriel Stern offre deux des douze études d’exécution transcendante, Paysage et Chasse sauvage, tableaux de genre finement polis qui achèvent de subjuguer l’auditoire.
MARYVONNE COLOMBANI
Soirée du 12 août, à l’auditorium du parc Florans, dans le cadre du Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron.