vendredi 26 avril 2024
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Littérature et profondeur

Clap de fin après quarante années de rencontres des plus grands auteurs et autrices d’aujourd’hui : Les Écritures Croisées nous invitent pour la dernière fois à partager la ferveur d’une littérature qui ouvre des portes sur le monde. Entretien avec Annie Terrier, sa fondatrice

Zébuline. Vous êtes l’âme de ces rencontres littéraires depuis leurs débuts. Aviez-vous alors conscience du formidable événement annuel qui était en train de s’installer, pas une « foire » aux livres « ornée » d’entretiens mais une rencontre profonde avec des auteurs de premier plan ?

Annie Terrier. Vous avez prononcé le mot qui me plaît le plus : « profonde » ! Il y avait dans toutes les rencontres, je pense ici particulièrement à Kenzaburo Oé décédé en mars dernier, une profondeur et une tendresse que je ne pouvais pas imaginer au départ ! La création des Écritures Croisées se situe dans le prolongement de deux fêtes du livre conçues dans un esprit très militant, réponse à la fermeture du Relais Culturel d’Aix-en-Provence en 1980 par le maire de l’époque, Alain Joissains. En 1981 un autre regard était porté sur la culture et nous avons bénéficié du soutien fort de la Région. Avec Gil Jouanard, notre premier président, l’idée était de réinstaller les saltimbanques au cœur de la ville. Ce fut d’abord au cloître du collège des Prêcheurs, puis à l’école des Beaux-Arts et au Palais de Justice, c’était la prise de la Bastille par des saltimbanques ! C’est là qu’est apparu le thème de l’étranger : je dois le titre « l’épreuve de l’étranger » au grand traducteur Antoine Berman et son livre publié en 1984, je voulais absolument ouvrir cette manifestation au monde. Et les Écritures croisées, allusion au livre d’Italo Calvino, Le château des destins croisés,ont vraiment commencé ; un merveilleux public s’était constitué et nous a suivi quelques années plus tard à la Méjanes, autre lieu-clé. J’ignore si je peux affirmer que ce travail m’a presque dépassée, mais je le portais en moi et j’ai toujours été totalement libre si ce n’est une fois où il m’a été demandé de présenter la Roumanie, moment que je ne regrette pas. Je ne savais pas toujours qui j’allais inviter, mais certaine de qui je n’inviterai pas. 

Quels ont été vos critères ? Souvent on dit que vous n’invitez que des Nobel ou des auteurs en passe de le devenir… 

Certes, il y a eu beaucoup de Nobel ! Je me suis battue pour Toni Morrison, Günter Grass. J’ai voyagé parmi mes lectures : quand j’ai lu Wole Soyinka, il n’avait pas le Nobel, pas plus qu’Octavio Paz ou Toni Morrison. Ce qui me motive c’est la rencontre avec une œuvre forte et la possibilité de tisser des liens entre l’auteur et le public. J’ai la chance de pouvoir me fier à mon intuition littéraire dans ce long travail d’amour qui n’a cessé de croiser et d’entrecroiser les mots et les lecteurs. Des liens forts se sont noués avec les écrivains, Oé, si prévenant, Tabucchi, formidable, Toni Morrison qui nous dit en partant « je vous menace de revenir » !  J’ai toujours tenu compte de l’environnement des auteurs, ajoutant à leur venue des expositions, l’intervention d’artistes, – cette année reviendra le pianiste et compositeur Fabien Ottones qui va clore les rencontres après une lecture de Nicole Garcia. Chaque portrait est au plus près des écrivains. Ils ont tous été invités parce qu’ils écrivaient ce qu’ils écrivaient et qu’ils étaient ce qu’ils étaient, généreux, humains, peu importe qu’ils soient homme ou femme. C’est un peu la parole du monde qui tend à aller vers un universel à partager grâce à la rencontre avec la singularité de chacun d’entre eux. Est particulièrement appropriée la formule de Carlos Fuentes (en 2011 aux Écritures Croisées) : « nous sommes tous périphériques, ce qui est peut-être la seule façon d’être aujourd’hui universels ». 

Il y a l’influence de Bourdieu derrière tout cela ?

Sans doute, dans sa manière d’habiter la Terre. Mais c’est aussi une pensée politique de l’humanité qui m’anime, la manière de concevoir l’humanité littéraire, intellectuelle : des gens qui ont une voix et la font entendre. Salman Rushdie qui devait revenir le dit : « il faut toujours prendre parti ». Un homme comme Jacques Lacarrière m’a beaucoup influencée, portée, avec ses colères, ses engagements, sa façon d’appréhender la planète.

Vous invitez cette année, outre Wole Soyinka et JM Coetze, deux immenses auteurs, tous deux prix Nobel, une libraire incroyable, Henriette Dax et la journaliste Florence Noiville qui parlera de Kundera…

Kundera fait partie de mes grands regrets. Le titre de Florence Noiville, Écrire, quelle drôle d’idée ! est si programmatique… La libraire Henriette Dax a accompli un travail merveilleux qui inclut la culture dans l’universel dans sa quête à travers le monde d’ouvrages rares. Une quête que rien n’arrête. Pour revenir aux 40 ans, je ne les ai pas vus passer. Le terme ferveur pourrait les évoquer. Rien ne s’achève vraiment quand il s’agit de littérature… 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Les Écritures Croisées
Du 12 au 14 octobre
Cité du Livre, Aix-en-Provence
04 42 26 16 85 
citedulivre-aix.com 
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