« Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne peut m’empêcher de t’aimer » dit Akiko Yano dans Love life, la chanson populaire qui donne son titre au film de Kōji Fukada. Et c’est bien cette distance dans le temps et l’espace que met en scène avec subtilité le réalisateur japonais. Le proche et le lointain, l’ici et l’ailleurs. Le sentiment de perte qui infuse les vies et les répliques des séismes passés qui bouleversent le présent.
Taeko (Fumino Kimura) et Jiro (Kento Nagayama) vivent dans un petit appartement situé dans une résidence périurbaine, avec Keita, le petit garçon que Taeko a eu d’une première union. L’enfant est beau, malicieux, champion national junior du jeu de stratégie Othello dont les pions réversibles, blancs ou noirs, préfigurent les retournements dramatiques qui suivront. L’enfant est choyé, aimé par Jiro qui le considère comme son fils. Un bonheur domestique sans autre nuage que l’hostilité des parents de Jiro qui habitent l’immeuble en face et n’ont jamais pardonné à Taeko, mère célibataire, d’avoir évincé la première compagne de leur fils. Durant la fête d’anniversaire du père de Jiro, organisée par son fils et sa bru -avec ballons colorés et surprise, un drame terrible va briser le fragile équilibre familial, maintenu grâce à la politesse japonaise et à la patience des femmes. D’autant que réapparaît Park, le père biologique de Keita, un Coréen SDF et sourd que Taeko employée des services sociaux et maîtrisant la langue des signes, accepte d’ aider dans ses démarches administratives. Et, qu’à l’occasion du déménagement de ses parents, Jiro reprend contact avec son ex qui n’a jamais digéré leur rupture. Double déstabilisation qui donnera lieu à deux échappées : celle de Taeko en Corée du Sud, celle de Jiro sur les lieux de ses premières amours. Pour mieux revenir dans ce petit appartement qui a enserré les personnages dans un bonheur apparent et normé, nimbé d’une lumière chaude. Chaque objet participe de l’écriture du film : les trophées de Keita, le damier du jeu au nom de tragédie shakespearienne, les bibelots, les dessins d’enfant, les photos, le linge au balcon, et le disque brillant d’un DVD suspendu, qui éloigne les oiseaux et peut-être les esprits. Après Harmonium (Prix du Jury Un Certain regard à Cannes en 2016) L’Infirmière (2020) et Hospitalité (2021) le réalisateur nippon confirme son talent pour ouvrir et explorer les fêlures des histoires de famille. Brosser des portraits de femmes aussi. Ici Taeko, abandonnée autrefois avec son bébé, qui encaisse les violences de son beau-père, de son ex compagnon et les coups du sort, discrète et impassible jusqu’au cri qui sort d’elle comme la lave du volcan.
Mis en scène au cordeau, Love life sélectionné à la dernière Mostra de Venise, joue sur la rétention des sentiments et parle à voix douce de notre solitude dans l’amour et la mort.
ELISE PADOVANI
Présenté en avant-première le 1er juin au cinéma Les Variétés dans le cadre du mois japonais, avec une rétrospective de l’œuvre de Kōji Fukada, le film sera en salles le 14 juin
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