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Luise, entre les lignes

Matthias Luthardt imagine, dans une mise en scène sobre et épurée, la naissance d’un triangle amoureux pendant le conflit mondial sans fin

Adaptée d’un court roman de D.H. Lawrence The Fox, le dernier film de Matthias Luthardt, Luise, substitue la campagne alsacienne à l’anglaise. Et l’année 1918 à l’année 1914. Par ce déplacement spatio-temporel, le réalisateur allemand s’approprie l’histoire du romancier anglais. Il en conserve toutefois l’essentiel : un triangle « amoureux » en huis clos au cœur d’un conflit qu’on ne verra ni n’entendra mais dont la lourde menace crée la situation d’exception sur laquelle repose la dramaturgie.

Luise (Luise Aschenbrenner) vit seule dans une ferme alsacienne isolée. La région est allemande depuis 50 ans. Luise parle alsacien, allemand et français. Sa mère déjà veuve vient de mourir. À voir la calme beauté des paysages, on ne pourrait pas imaginer que le front et sa boucherie quotidienne ne sont pas loin. Une jeune française Hélène (Christa Theret) fait irruption, poursuivie par Hermann (Leonard Kunz), un soldat allemand blessé. L’armée de Ludendorff recherche un déserteur, traque une française ennemie. Luise cache, héberge les deux fugitifs, et glisse peu à peu dans le jeu des désirs, des regards, des dévoilements et des dévoiements. Hermann ne parle et ne comprend que l’allemand. Hélène ne parle que le français, Luise devient peu à peu le pivot et l’enjeu de relations complexes exacerbées par le confinement. À petits pas, à petits gestes, elle va se découvrir, se dénuder, se libérer.

Entre chien et loup

Une tentative de viol, un capitaine tué en légitime défense… de ce qui s’est passé avant, on n’aura que des bribes. Des personnages, on ne saura pas grand chose non plus. On imagine la vie de Luise, fille unique élevée dans la foi chrétienne par des parents aimants. Celle plus compliquée d’Hélène farouchement athée, marquée dans sa chair par un père protestant qui n’acceptait pas son homosexualité. On devine les quatre ans de combat du pieux et rustre Hermann, sa vie antérieure bien normée dans un village teuton soudé par la parole biblique. Ce qui compte, c’est ce qui se passe là, entre chien et loup, dans la lumière naturelle des jours et le clair-obscur des nuits où les bougies et les lampes à pétrole font flotter les visages sur un fond noir. Ce qui se joue là, entre celle qui croyait au ciel et celle qui n’y croyait pas. Guettées par le Renard.

Les gestes du travail (la traite de la vache, la préparation des repas, les travaux des champs) saisis souvent en très gros plans, ancrent les corps dans la trivialité, et jalonnent la progression de sentiments qui fluctuent, comme les lignes des armées, les frontières géopolitiques, les orientations sexuelles, les limites de l’humanité. Souvent rattaché à l’École de Berlin, Matthias Luthardt – dont Cannes en 2006 avait primé le premier long métrage Pingpong, revient à la fiction après de nombreux documentaires. Dans une mise en scène sobre et épurée, il filme le trouble avec netteté et la faiblesse avec force.

ÉLISE PADOVANI

Luise, de Matthias Luthardt

photo @ Pyramide Distribution

En salles le 5 juillet

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