Créée en 2019 à l’Opéra de Lorraine, la mise en scène signée Emmanuelle Bastet, fait une escale remarquée à l’Opéra Marseille. Le succès est déjà au rendez-vous pour cette maison d’opéra, avide de Puccini, et rêvant d’entendre son orchestre dans des pages aussi vibrantes d’émotions que riches en trouvailles, exigeantes et toujours signifiantes pour les instrumentistes.
La direction de Paolo Arrivabeni se révèle dynamique, oscillant entre une énergie frénétique et un lyrisme subtil. Dès l’introduction, la fugue s’enchaîne dans un souffle continu, où la tension s’installe sans temps mort. Les manigances du premier acte se précisent avec densité et minutie, dans un tourbillon d’émotions contradictoires, entre légèreté et souffle tragique. Pinkerton, américain pressé de contracter un mariage d’un jour avec une geisha repentie, complote et négocie avec force argent avec le goguenard Goro (impeccable Philippe Do) et parade devant le consul Sharpless (subtil Marc Scoffoni), fier de son arrangement morbide ; il a ici les traits doucereux et la voix charmeuse du ténor français Thomas Bettinger, tour à tour séduisant et fuyant.
Du rêve et des larmes
Pour la naïve Cio-Cio San, âgée d’à peine quinze ans, cette union devrait être une rédemption ; mais Pinkerton n’y voit qu’un prolongement de sa prostitution passée, et l’assouvissement de fantasmes d’Orient. Ardente, obstinée, entière, la Butterfly d’Alexandra Marchelier se refuse à ce simulacre : elle incarne une femme idéaliste, se consacrant corps et âme à son rêve d’amour. Toute en ampleur, vocalement comme théâtralement parlant, elle ouvre ses ailes de velours au premier acte avant d’exploser lors du second, prouvant qu’une belle carrière attend la lauréate des Victoires de la Musique 2023. La Suzuki de la talentueuse Eugénie Joneau se fait elle aussi joliment et fermement entendre, lorsqu’elle allie le geste à la parole pour sortir du simple carcan de la servante fidèle. Une expressivité qui fait plaisir à voir dans des rôles trop souvent essentialisés, et réduits à leur seule résignation.
Riche d’une scénographie épurée, empruntant aux arts japonais et pensée par Tim Northam, la mise en scène d’Emmanuelle Bastet évite tout orientalisme en conjuguant simplicité, familiarité et une iconographie proche de la poésie – à l’instar de ces fleurs tombant du ciel pour signifier l’éclosion des sentiments. Entre abstraction et symbolisme, notamment dans son architecture ouverte et désajustée, elle abolit les frontières entre extérieur et intérieur, entre rêve et réalité.
Saluée par une standing ovation, la première se conclut sur des larmes d’émotion, dans le public comme sur le plateau.
SUZANNE CANESSA
Madama Butterfly a été joué à l’Opéra de Marseille les 14, 17 et 19 novembre
A venir
Le 21 novembre à 20h
le 24 novembre à 14h30
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