Zébuline : Comment en êtes-vous venue à travailler sur le mythe de Don Juan ?
Josette Baïz : J’ai toujours aimé m’inspirer d’œuvres littéraires. J’ai mené en parallèle des études de danse et de lettres modernes, et Molière a toujours compté pour moi. J’avais envie depuis longtemps d’approcher ce personnage à la fois fascinant et … toxique.
Comme pour Oliver Twist ou Alice au pays des merveilles, j’ai voulu me réapproprier le texte à travers la danse. J’ai imaginé cinq versions : celle du trio classique Don Juan–Sganarelle–Elvire, puis une version autour de la rébellion masculine, une autre sur la libération féminine, une sur la mort, et enfin une sur la rédemption. Cinq manières de raconter un être qui rejette tout : la société, les valeurs, le mariage…
J’y mêle le hip-hop, le contemporain, le krump, le waacking, la house, le classique aussi. Chaque univers révèle un visage du mythe. Les garçons portent la colère et la provocation, les femmes incarnent la puissance du désir et la liberté du mouvement. Aujourd’hui, les héroïnes assument la séduction, mais cela reste dangereux : Don Juan, homme ou femme, brûle tout sur son passage. La quatrième version, sur la mort, montre que tous les personnages viennent le hanter, provoquant sa fin, et enfin, dans la dernière version, il peut passer dans un autre monde et repartir à zéro.
Cette pièce est-elle réellement un adieu à votre compagnie ? Quel regard portez-vous sur ces quarante années ?
C’est un passage plus qu’un adieu. Don Juan clôt un cycle. J’ai fondé Grenade en 1982, après le concours de Bagnolet qui m’a lancée dans le milieu contemporain. Quarante ans plus tard, je ressens le besoin de transmettre autrement.
Je veux désormais me consacrer pleinement au travail avec les enfants et les adolescents. Ce projet-là a une vraie portée sociale : il réunit des jeunes de tous horizons, parfois issus de quartiers populaires, et leur offre une expérience d’ouverture, de confiance, d’espoir.
Les danseurs de la compagnie professionnelle, certains présents depuis l’enfance, poursuivent leur route : professeurs, chorégraphes, interprètes ailleurs. Cette pièce leur raconte quelque chose, c’est un au revoir qui se fait dans la continuité et l’émotion.
Quel est selon vous le propre de votre travail avec les danseurs, jeunes comme moins jeunes ?
Le métissage, sans hésiter. Nous travaillons sur le métissage des cultures et des techniques. On passe de la danse classique au hip-hop, à la danse africaine, orientale, au krump. Les jeunes acceptent tout, la barre le matin, puis le travail avec différents professeurs dans tous les styles. C’est notre ADN : mélanger les techniques, les cultures et créer quelque chose d’unique. Nous avons invité plus de quarante chorégraphes, de Wayne McGregor à Crystal Pite, en passant par Angelin Preljocaj ou Hofesh Shechter, et chaque rencontre oblige à se réinventer.
Mais surtout, ce qui m’importe, c’est l’humain. Mon travail n’est jamais abstrait. Il s’ancre dans la personnalité de chacun. Nous utilisons beaucoup l’improvisation, la composition, pour que les jeunes trouvent leur propre langage. Quand un chorégraphe reconnu crée pour eux, il relit son œuvre à travers leur regard. Cette sincérité, cette fraîcheur-là, c’est ce qui me touche le plus.
Propos recueillis par SUZANNE CANESSA
Cinq versions de Don Juan
Josette Baïz / Compagnie Grenade,
les 4 et 5 novembre
Grand Théâtre de Provence
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