vendredi 26 avril 2024
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Monstres sacrés

Né la même année que Maria Casarès, Gérard Philipe aurait eu 100 ans le 4 décembre. Les deux acteurs emblématiques de l’aventure du Théâtre National Populaire et du Festival d’Avignon sont mis à l’honneur dans une exposition de la Maison Jean Vilar. Visite

Ils ont tous les deux incarné la beauté, les élans, les tourments et les aspirations d’une jeunesse française d’après la Libération, mais rien ne les prédisposait à se rencontrer. Une histoire que nous raconte l’exposition Infiniment – Maria Casarès, Gérard Philipe à la Maison Jean Vilar à Avignon. 

Maria Casarès est née le 21 novembre 1922 en Espagne, en Galice, d’une mère modiste et d’un père homme politique, membre du Front populaire, qui combattra Franco. Avec sa mère, elle se réfugie en France, à Paris, en 1936, au début de la Guerre d’Espagne. Gérard Philipe est né le 4 décembre 1922 à Cannes, d’un père riche affairiste, collaborateur des fascistes italiens et des nazis allemands, et qui, condamné à mort à la Libération, s’enfuit pour l’Espagne de Franco.

Le théâtre arrive dans la vie de Maria Casarès à l’âge de neuf ans, où elle a pour professeur de théâtre à Madrid le poète Rafael Alberti. Plus tard, à Paris, après avoir travaillé à effacer son accent espagnol, elle intègre le Conservatoire national d’art dramatique. Le jeune Gérard Philipe est destiné à une carrière de juriste mais, rencontrant de nombreux artistes réfugiés sur la Côte d’Azur, alors en zone libre, il décide de devenir comédien, soutenu fortement par sa mère, qui le présente au réalisateur Marc Allégret. Les deux acteurs auraient pu faire connaissance au conservatoire, que Philipe intègre en 1943. Mais leur rencontre, de laquelle nait une amitié intense, a lieu seulement en mars 1945, au théâtre des Mathurins, où ils jouent ensemble dans la pièce Fédérigo de René Laporte. La suite, alternant théâtre et cinéma, leur amène une célébrité immense. Le point culminant de leur histoire commune étant le Théâtre National Populaire (TNP) de Jean Vilar, et les débuts du Festival d’Avignon.

Maria Casarès et Gérard Philipe, Le Cid, 1958 Photographie Agnès Varda © succession Varda

Une évocation
Ce sont ces parcours, de leurs naissances jusqu’à leurs décès à 37 ans d’écart, qu’évoque l’exposition avignonnaise. Un hommage décliné par petites touches et en plusieurs sections, proposant sur des cimaises rouges, noires et grises, et dans quelques vitrines, une sélection de photographies, d’extraits vidéo et sonores, de correspondances, livres, costumes, magazines… Le tout accompagné de citations inscrites sur les murs (« Tout portrait se situe au confluent d’un rêve et d’une réalité »  Georges Perec), de cartels et de panneaux informatifs détaillés. Dans les salles voûtées, une section entière est consacrée aux Épiphanies, pièce d’avant-garde du poète Henri Pichette (que l’on aperçoit photographié par Robert Doisneau), que Gérard Philipe joue aux côtés de Maria Casarès et Roger Blin aux Noctambules, salle de 120 places du Quartier Latin. Une autre, la plus grande, est entièrement dédiée au TNP, avec notamment de nombreuses photographies d’acteurs de la troupe posant devant l’objectif d’Agnès Varda, des extraits de répétition captés par Georges Franju, et deux costumes, allongés dans des vitrines : celui du prince de Hombourg, porté par Philipe et celui de Lady Macbeth, porté par Casarès. 

Constellation
Bien sûr, les carrières des deux artistes flamboyants convoquent également toute une constellation de personnalités illustres du monde du théâtre et du cinéma des années 1940 et 1950. Parmi celles-ci, il y a évidemment Jean Vilar, dont on apprend au travers de quelques-unes de ses correspondances exposées, qu’il appelait Gérard Philipe « fiston », et que l’acteur était le seul du TNP à pouvoir le tutoyer. On croise également Albert Camus, grand amour de Maria Casarès, que l’on voit sur une photographie de 1944, observant la salle derrière le rideau des Mathurins, le soir de la générale de sa pièce Le Malentendu dans laquelle joue sa maîtresse. 

Ou encore Jean Cocteau (qui étonnamment n’aura rien fait avec Gérard Philipe) et son film Orphée, dont un extrait est diffusé, à côté de l’un de ses collages, où il a inscrit : « Maria Casarès n’est pas plus la mort que les hôtesses de l’air ne sont des anges ». Enfin, dans la dernière section, consacrée à la sphère intime de l’acteur, ses rencontres avec Fidel Castro à Cuba, mais aussi ses grands amis, le réalisateur René Clair et l’écrivain Georges Perros. Une exposition où, petit à petit, on s’immerge, en suivant le fil de ses deux vies d’artistes, dans un temps habité par l’urgence et la volonté de construire, à partir de l’art, un monde nouveau, rompant à tout jamais avec celui qui avait mené aux horreurs de la guerre.

MARC VOIRY

Infiniment – Maria Casarès, Gérard Philipe 
Jusqu’au 30 avril 2023 
Maison Jean Vilar, Avignon
maisonjeanvilar.org
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