Première œuvre exclusivement acoustique composée par Thomas Bangalter, et premier album en solo du musicien après la dissolution de son mythique duo Daft Punk, Mythologies a pris le risque, considérable, de ne convaincre ni de ne satisfaire personne. Ni les fans des pionniers de la french touch, encore endeuillés ; ni les férus de musique classique et contemporaine, pointant déjà du doigt l’amateurisme supposé du musicien ; ni, enfin, les amoureux de l’expérimental, attendant une rencontre inédite entre le monde du ballet et celui de la musique électronique, et redoutant un énième mariage de raison. Rien de tout cela n’a pourtant abouti de Mythologies. Le spectacle, orchestré par Angelin Preljocaj, entendait interroger le rapport intime et collectif au mythe, et l’imaginaire sans cesse renouvelé des mythologies, antiques comme barthésiennes.
Figures et variations
Pour donner corps à cette imagerie, pour lui autoriser des frottements avec le corps et le réel, le chorégraphe avait sollicité le musicien sur ce terrain qui ne lui était pourtant pas étranger. Convaincu que Thomas Bangalter était « né pour composer pour un orchestre, et tout particulièrement pour un ballet », et que sa mère danseuse l’avait assez bercé pour lui transmettre les germes de cette musique-là, Angelin Preljocaj lui avait alors laissé carte blanche. La mission était simple : donner naissance à ces figures imposées avec le seul recours de l’orchestre. Et c’est peut-être sur ces figures familières, déjà touchées du doigt par la musique et surtout par la danse, que le compositeur se révèle le plus inspiré. Son Minotaure tire ainsi, notamment, le meilleur des cuivres et percussions, qui font rugir ce célèbre et terrifiant monstre prédateur. Le violon de Mathieu Arama y livre un solo au grain joliment travaillé, rappelant les qualités nombreuses des musiciens de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, menés de main de maître par le chef Romain Dumas. Plusieurs pages symphoniques reviennent en mémoire : celles de Ravel et Fauré sur le Pas-de-deux ; les cycles de Philip Glass sur les envolées chaloupées Amazones, scandées par des rythmes pointés; ou encore le mélodisme un brin pompier de L’Arrivée d’Alexandre, où l’on croirait entendre John Adams. Mais c’est peut-être sur la dissonance, le frottement et, avec eux, l’inquiétude, qu’il marque le plus durablement. L’Accouchement, mais aussi les deux occurrences des Gémeaux, se font plus organiques, et en cela plus singulier. Sur la Danse Funèbre puis La Guerre qui concluent l’opus, c’est un lyrisme plus débridé encore que l’on rencontre. Un lyrisme d’un noir de jais.
SUZANNE CANESSA
Mythologies, de Thomas Bangalter
Erato - 17€