samedi 27 avril 2024
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Nos armes tragiques

Dans le dernier roman de Marion Brunet, une bande d’amis, nés après mai 68, rêve d’un monde meilleur. Pourtant, ils contribueront, malgré eux et chacun à sa façon, à en nourrir la cruauté. Rencontre avec l’autrice

Les personnages de Nos armes sont déchirés entre enfermement et liberté, amitié et trahison, espoir et résignation, amour et manque. Le lecteur est immergé dans une tragédie moderne qui cavale, s’arrête, reprend son souffle, attend et nous embarque à nouveau dans un tumulte puissant. Le jeu sur les différentes temporalités et le mélange des voix permet de capturer des histoires entières de vies, y compris les moments d’introspection et d’incertitude qui en sont les ressorts les plus puissants. Ce roman, à la fois noir et profondément lumineux, peint des figures de femmes réalistes et fortes, dans la lignée des romans d’Albertine Sarrazin et de Goliardia Sapienza. Ce sont des femmes qui désirent, jouissent, s’engagent, se battent et abandonnent aussi, agitées par une violence terrible qu’elles exercent parfois et subissent souvent.

Zébuline : Que signifie militer pour vous aujourd’hui ?

Marion Brunet : Je pense que le sens n’a pas changé. Les moyens sont peut-être différents aujourd’hui. Le militantisme c’est d’abord un rassemblement de gens qui se positionnent contre l’état des choses et du monde. Ils se rassemblent par affinités de convictions et parfois aussi par pure affinité. Au départ c’est souvent une histoire d’amitié ou d’amour.

Est-ce que vous considérez que le roman est un outil pour militer ? 

J’ai du mal avec l’idée d’écrire un roman militant. Mes livres ont souvent plusieurs entrées. Nos armes parle d’amour, de solitude, de rédemption, de trahison, de séparation. Pour autant, il y a des effets secondaires au roman. Le choix des personnages, les histoires qu’ils traversent peuvent avoir un côté militant.

Vos personnages ne font pas partie des classes sociales élevées de notre société. Pourquoi ?

Il y a des bourgeois qui militent mais ce n’est pas le même moteur. Quand on est dans une situation précaire, il y a plus de colère et moins de choses à perdre. La colère est plus vive avec un sentiment d’injustice plus fort.

Par conséquent la chute pourrait être moins élevée. Pourtant on a la sensation d’une chute vertigineuse dans Nos Armes.

Oui, mais ce n’est pas une chute sociale comme chez Zola. Déjà les personnages essaient de transformer le monde. Ils ne veulent pas monter socialement. Je crois que si c’est vertigineux, c’est parce qu’ils chutent du haut de leurs espoirs. 

L’univers carcéral est au cœur de ce dernier roman. Comment l’avez-vous approché ?

J’ai fait un atelier mixte avec une camarade illustratrice Lucile Gauthier aux Baumettes pendant quelques mois. J’avais déjà mon projet de roman. A la fin de l’atelier, j’ai demandé à certaines femmes de s’entretenir avec moi.

Est-ce qu’un écrivain doit expérimenter une situation pour transmettre les émotions qui en découlent ?

Non. Je pense qu’on peut écrire sur la prison sans en avoir fait. À ce moment-là, j’étais à un moment de l’écriture où je sentais que j’avais besoin d’une certaine forme de légitimité. Je voulais me confronter au réel pour éviter de me tromper.

Quel lien faites-vous entre colère et passage à l’acte par la violence ?

Le lien est énorme et direct. La colère entraîne le passage à l’acte. Certaines personnes ont choisi la lutte armée comme outil politique avec des stratégies et n’étaient pas forcément dans une colère chaude. Je voulais m’écarter de ces groupes. Je voulais créer des personnages dont les ressorts de l’action sont davantage psychiques qu’idéologiques.

Quelle est la place de la lecture pour vous ? 

Elle n’a pas toujours les mêmes fonctions. Ça peut être le plaisir de l’imaginaire, l’évasion, l’apprentissage de la vie et de l’écriture, la découverte d’autres cultures. Tout cela mélangé fonctionne encore pour moi aujourd’hui. Le roman reste ma forme préférée. J’aime aussi le théâtre et je continue à lire de la poésie. 

Dans vos romans, les dialogues tiennent une place importante et sont très réalistes. 

Je trouve que les dialogues sont en prise avec l’histoire qu’on raconte. En tant qu’autrice, la langue est importante mais il ne faut jamais oublier de raconter une histoire. Il faut attraper l’autre. Le dialogue a cette fonction d’immersion directe. Les personnages parlent et sont là. On les entend rire et vivre. 

Entretien réalisé par Julie Surugue

Nos armes de Marion Brunet
Albin Michel, 20,90 €
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