À Marseille, la philosophe Joëlle Zask ouvre la nouvelle saison d’Opera Mundi
Avant la saison #2 de son festival, qui aura lieu du 2 au 7 février sur le thème « Nourrir et relier les mondes », Opera Mundi a organisé les 28 et 29 novembre un « avant-festival », pour Penser l’alimentation aujourd’hui. C’est Joëlle Zask, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, qui a ouvert ce temps fort, avec une réflexion sur la différence entre nourrir et alimenter. « Une distinction qui ne va pas de soi, annonçait-elle en préambule, car dans le vocabulaire courant, on emploie ces mots l’un pour l’autre. »
Comme souvent, revenir à l’étymologie permet de mieux comprendre les nuances : en latin, l’alimentum désigne un apport, quel qu’il soit, visant à maintenir un fonctionnement ; tandis que le verbe nutrire implique le fait de prendre soin, faire grandir. L’aliment, explique la philosophe en s’appuyant sur le concept marxiste de force de travail, nous maintient dans une dépendance : il s’agit de manger pour assurer le retour du corps-machine à son poste, le lendemain. Ce qui nourrit, en revanche, émancipe, ouvre à la différence. Dans une dimension sociale et culturelle, « s’y greffent usages, coutumes, croyances : si cela s’effondre, il n’y a plus rien ».
La démocratie aux champs*
Ce que nous pouvons manger au cours de nos existences, remarque Joëlle Zask, dit beaucoup des sociétés dans lesquelles nous vivons. Un tel « démêlage terminologique » lui sert à pointer ce qui ne va pas dans notre système alimentaire. « À l’échelle de la planète, alors que nous aurions les moyens d’une production saine, suffisante pour tous, nous sommes malades de la nourriture. » Trop peu, trop, trop mal… Famine ou dénutrition d’un côté, de l’autre anorexie, boulimie, malbouffe et pathologies liées aux aliments ultra-transformés.
« Or, le point de départ de l’édifice démocratique est que chacun mange à sa faim, rappelle-t-elle. Comme l’écrivait Pierre Kropotkine au XIXe siècle, le pain n’est pas une option, c’est notre priorité. Un devoir vis à vis d’autrui, et un droit à l’existence pour chacun. La démocratie n’est solide que dans la mesure où elle est sous-tendue par des habitudes démocratiques, dans notre vie quotidienne. » Alors que l’agriculture industrielle est inféodée au marché et ses exigences de rentabilité, la simple exigence de savoir d’où vient ce que l’on mange ramène l’alimentaire vers la nourriture.
GAËLLE CLOAREC
* Titre d'un ouvrage de Joëlle Zask
Cette conférence a eu lieu le 28 novembre à La Fabulerie, Marseille





