Zébuline : Vous êtes désormais quatre codirecteurs de l’Agora de la danse. Comment avez-vous construit cette direction à quatre ?
Pierre Martinez : On travaille ensemble, Dominique et moi, depuis un moment ! On a élaboré pour le COJO l’Olympiade Culturelle à l’échelle nationale. Après novembre 2024, on a voulu continuer ensemble l’aventure, à Montpellier. On a contacté Hofesh Shechter puis Jann Gallois qui ont immédiatement dit oui, et on a répondu à l’appel à projet à huit mains. On est venus tous les quatre, le 10 avril dernier, le présenter, on a été retenus le soir même.
Vous vous inscrivez dans une histoire exceptionnelle, celle d’un Centre Chorégraphique National celle du festival Montpellier Danse. Comment pensez-vous écrire la suite ?
Dominique Hervieu : On est vraiment dans un double désir d’héritage et d’innovation. Cette histoire chorégraphique et esthétique a été écrite par trois artistes majeurs, Dominique Bagouet puis Mathilde Monnier et Christian Rizzo, et un programmateur exceptionnel Jean-Paul Montanari. Paradoxalement, une telle histoire n’est pas un poids, elle permet de continuer. Et d’innover en explorant de nouvelles possibilités, en faisant un pas de côté. Les fondations si solides de cette maison ne sont pas embarrassantes…
Qu’est-ce que le rapprochement du CCN et du Festival, situés jusqu’ici dans deux ailes distinctes de l’Agora, apporte concrètement au projet ?
DH : En fait, cela est déjà opérant. L’écosystème de l’Agora est désormais unique en Europe, avec une chaîne qui rassemble tous les maillons de la vie chorégraphique. Les liens que l’on peut tisser entre les missions de création et de diffusion du CCN et celles d’un festival de danse majeur sont infinis. Le master Exerce dispensé ici est le seul master de création chorégraphique en Europe, et le festival va permettre aux étudiants de côtoyer des chorégraphes majeurs.
PM : Ce rapprochement est bénéfique au niveau esthétique mais aussi politique : la Métropole de Montpellier envisage la culture comme un levier de développement du territoire, un levier économique, humain et social. Cette fusion est née de cet intérêt politique pour la vie artistique, et en particulier pour la danse. Il y a une vraie volonté que Montpellier soit une capitale européenne de la création chorégraphique. Aujourd’hui cette ambition est affirmée par l’ensemble des tutelles, État, Métropole et Région.
Y compris, dans un contexte budgétaire de restriction, au niveau de vos budgets ?
PM : Oui, nous avons l’assurance de conserver les moyens actuels des deux structures. Pour le développement, il faudra aller chercher ! Et s’inscrire davantage dans les réseaux de diffusion.
Tout en développant une véritable saison…
DH : Oui, qui se construit à partir de deux ADN. On va recevoir à l’année les grands formats de Montpellier Danse, et l’émergence, dont les étudiants d’Exerce, auront toute leur place durant le festival. La programmation du festival 2026 est encore en partie celle de Jean-Paul Montanari, mais nous allons avoir un plus grand pourcentage d’œuvres en création, et une diversité d’esthétiques qui ira du flamenco à l’expérimental. Autre fait nouveau : nous nous inscrivons en partenariat avec les autres institutions de la ville. Avec la Biennale Euro Africa, avec Mouvements sur la ville… Nous voulons aussi initier une offre gratuite en espace public, et faire venir les habitants dans l’Agora.
PM : Notre projet repose sur deux valeurs : ouverture et diversité des esthétiques. Il y a un désir que ce lieu soit physiquement ouvert, que l’on puisse le traverser de la rue Sainte Ursule à la rue Louis Blanc, que la cour devienne un lieu de passage et de pratique, qu’on puisse y danser. C’est important que ces portes soient désormais ouvertes…
Vous parlez de diversité d’esthétiques, mais votre codirection paritaire et votre programmation mettent en œuvre d’autres diversités…
DH : La diversité de genre est évidemment primordiale, comme la diversité des cultures et des classes sociales. Mais les artistes ont aujourd’hui un vrai regard sur cela, ils prennent en charge dans leurs œuvres ces questions de société.
Jann Gallois et Hofesh Shechter ont-ils le temps, concrètement, d’assumer cette codirection ?
PM : Jann est là à plein temps, dans un schéma de codirection classique pour une artiste. Avec Hofesh nous devons inventer autre chose…
DH : Il était là cet été, la semaine dernière, et passera un mois avec sa compagnie en résidence en février. Il a deux compagnies et à Montpellier nous accueillons celle qui regroupe huit jeunes danseurs internationaux, qui reprennent ses œuvres créées avec la compagnie 1. Mais son carnet de tournée est très lourd aussi ! Hofesh est aujourd’hui un des top five mondial de la danse en termes de public touché, mais il est à un moment de sa vie où il veut que son impact esthétique et relationnel s’exerce sur un territoire et ses habitants. Un moment de maturité où il veut un point de repère, dans une ville qu’il trouve belle et qui provoque chez lui une vraie curiosité.
Entretien réalisé par Agnès Freschel
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