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« Disco Boy », or noir et bérets verts

Du cinéma naturaliste au film de guerre canonique, Giacomo Abbruzzese dessine avec Disco Boy un spectacle admirable, à la noirceur inquiétante

« Un film de guerre contre la guerre. » Voilà comment se présente Disco Boy, le premier long métrage français du réalisateur italien Giacomo Abbruzzese. Un film qui franchit les frontières géographiques et celles des genres cinématographiques comme musicaux, infusant dans la réalité un fantastique qui la remet peu à peu en cause.

Un jeune biélorusse Aleksei (incarné par l’acteur fétiche de Christian Petzold, Franz Rogowski) entre clandestinement en Europe avec Mikhail (Michal Balicki) qui se noie dans la traversée d’un fleuve. Arrivé en France, il s’engage dans la Légion étrangère qui brasse les nationalités, efface les identités, les passés difficiles et assure à ses recrues, une nationalité française au bout de cinq ans de service. Une de ses missions le conduit au Niger où Jomo (l’acteur gambien Morr N’Diaye) mène une rébellion contre les compagnies pétrolières qui pillent et saccagent le pays, soutenues par l’armée gouvernementale et les dirigeants corrompus. Une vue aérienne montrera une forêt déjà bien grignotée par les exploitations écocides.

Possession et dépossession

Cette jungle appartient à son peuple et Jomo appartient à cette jungle. Jomo aux yeux vairons. Beau et étrange. Au pays de l’animisme, de la transe, de la spiritualité des corps, de la médiation entre les vivants et les morts. Dans la nuit, autour du feu, il danse avec sa sœur Udoka (l’Ivoirienne Lætitia Ky) aux mêmes yeux dotés d’iris différents, charbon et or, dualité jumelle. Les destins de Jomo et Aleksei se croisent, alors que les milices pro-gouvernementales massacrent les habitants du village de Jomo. Dans un combat au milieu du fleuve Niger, filmé en caméra thermique, comme un clip psychédélique, les deux hommes s’affrontent. Jomo mourra. Mais est-ce si sûr ? Aleksei reviendra à Paris attiré par un night club, possédé par ses fantômes et ses remords jusqu’à une transmutation dont on ne dira rien ici.

On commence par un cinéma naturaliste qui met en scène l’immigration, documente l’intégration impitoyable des recrues dans la Légion – un entraînement-dressage qui n’a rien à envier à celui des marines américains –, si souvent montré sur les écrans. Les séquences qui suivent nous orientent vers le film de guerre canonique : arrivée nocturne d’un commando par le fleuve, avancée dans la jungle hostile, scène de guerre, hélitreuillage. Mais déjà, la réalité s’altère, puis se fantasme. Ce qui pourrait être assimilé à un stress post-traumatique chez Jomo, devient un voyage intérieur qui se substitue au périple géographique, bouleverse la linéarité du temps, le cloisonnement des espaces et s’arrête dans un night club parisien où danse sur scène, étincelant de sequins miroitants, la belle Udoka. Magnifique photo de la géniale chef opératrice Hélène Louvart !

La narration, elliptique (on ne saura rien du passé biélorusse du protagoniste dont le corps porte les tatouages des prisonniers), suit un rythme en ruptures constantes. Ruptures reprises par la BO qui intègre les bruits naturels de la jungle, les chansons de Piaf et de Lio, et l’électro du compositeur français Vitalic – signant ici une partition admirable. Discoboy est un premier film réussi qui, malgré son titre pailleté, nous plonge dans une noirceur inquiétante.

ÉLISE PADOVANI

Disco Boy, de Giacomo Abbruzzese
Sorti le 3 mai

Le film a été présenté par le festival Musique & Cinéma (compétition internationale).

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