mercredi 20 août 2025
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Cordes sensibles, voix nouvelles

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© VINCENT BEAUME.

Sur certains programmes du Festival d’Aix, les astérisques se multiplient. Celles-ci indiquent qui, parmi les artistes présents sur une production, est passé par l’académie de chant, de composition, d’instrument ou même de mise en scène proposée par le festival. Depuis sa fondation par Pierre Boulez en 1998, l’académie a accompagné et révélé de nombreux grands talents. Et il y a fort à parier que cette édition ne fasse pas exception.

Au diapason baroque

Présent tout au long d’Aix en Juin, la résidence voix a conclu son périple à la Villa Lily Pastré le 8 juillet. Et a fait preuve d’un courage certain face à l’acoustique peu clémente de ce lieu, pensé comme une solution de repli après la fermeture de l’Hôtel Maynier d’Oppède mais bien moins abrité des vents, et le choix d’un répertoire ancien, impulsé par le chef Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances.

Choix qui avait cependant de quoi ravir les amateurs du genre, notamment dans sa capacité à faire dialoguer le baroque italien et le baroque français, apparaissant ici bien plus proches dans leurs écritures et leurs enjeux que les interprétations historiquement informées ne pouvaient laisser présumer. Mais les pages de Lully, Cambefort, Charpentier et Cavalli se sont révélées peu propices au déploiement de la personnalité de ses jeunes interprètes. Sous la direction de Daucé mais également de l’affutée cheffe en résidence Guillemette Daboval, on découvre cependant avec surprise le timbre idéal, l’énonciation sans faille et les talents certains de comédienne de Mathilde Ortscheidt. Mais aussi la délicatesse de la soprano Meredith Wohlgemuth, le timbre soprano lyrique de Lucia Tumminelli, l’ampleur vocale impressionnante d’Emily Richter. Et, côté masculin, deux beaux ténors – Daniel Espinal et Matthew Goodheart – et d’impressionnants barytons – Armand Rabot et Navasard Hakobyan.

Cordes affranchies

Sous la houlette du Quatuor Diotima, la soirée de sortie de résidence instrument s’est quant à elle révélée une belle démonstration d’audace. Le Quatuor Poiesis, look punk-chic – jupe virevoltante, tatouages, chaussures à paillettes et piercings inclus –, s’imposera notamment avec ParaMetaString d’Unsuk Chin, directrice de la résidence de composition. Ce kaléidoscope de pizzicati filés, crissements furtifs et éclats métalliques entre échos électroniques et cordes métamorphosées, suspend la salle. L’ensemble sait également extraire le meilleur de la fougue beethovénienne : le premier mouvement du Razoumovski n° 1, net, incisif, incandescent, transporte l’auditoire.

Mais l’élégance et le souffle romantique du Quatuor Ineo ne furent pas en reste : sur Schulhoff, ses Cinq Pièces goguenardes et grinçantes, mais surtout sur Mozart et « Les Dissonances » dont la modernité frappe comme un éclat de verre – on croirait entendre Schönberg sous les archets. Deux créations issues de la résidence ont également marqué les esprits : les harmoniques tintinnabulantes de Leilehua Lanzilotti, jouant des cordes à vide comme d’un carillon sur l’écopoétique the water in your body is just visiting, puis l’octuor Nyx.Muse de Yiqing Zhu, vaste chambre d’échos où se reflète l’ombre d’Unsuk Chin. Frissons garantis.

SUZANNE CANESSA

Les concerts de sortie de résidence ont été donnés les 7 et 8 juillet au Conservatoire Darius Milhaud et à la Villa Lily Pastré.

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Radeau de fortune

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© Christophe Raynaud de Lage

Ultime création de François Tanguy, metteur en scène emblématique du Théâtre du Radeau, disparu en 2022, Par autan s’appuie sur des textes de Kleist, Shakespeare, Tchekhov, Dostoïevski, Kafka, Kierkegaard et Walser. Prolongement de la pièce Item, présentée un peu plus tôt lors de cette 79e édition du Festival d’AvignonPar autan se donne à voir sous la forme d’une baraque de fortune. Du sol au plafond, l’espace scénique est entièrement habillé de bois. Châssis anciens, plancher usé, meubles fatigués, planches dispersées çà et là : tout participe à construire ce radeau symbolique. Deux de ces planches forment une rampe reliant le bastingage à la terre ferme — métaphore d’un passage initiatique, d’une traversée aux côtés de la compagnie.

Ces rideaux de coton clair qui encadrent de part et d’autre le plateau rappellent les voiles gonflées par le vent. Mais la brise légère se transforme très rapidement en bourrasques, en vent d’autanfaisant dangereusement chanceler les comédiens, tels les marins s’agitant sur un pont fatigué aux prises avec les tourments d’une mer agitée. Il s’agit de lutter contre les forces contraires, invisibles, celles qui nous traversent, qui nous bouleversent, qui nous renversent. La forme rhapsodique du récit ébranle tout autant l’auditoire : on vogue difficilement sur cet assemblage verbal dont seul le capitaine  maîtrise la grammaire. 

Cette croisière interdisciplinaire d’une heure trente ne pouvait faire l’impasse musicale: Bach, Wagner, Bartok, au piano ou en stéréo, la balade est ainsi ponctuée de flots mélodiques qui révèlent la beauté des textes qu’elle exalte. Un tableau du célèbre peintre Paul Klee se dévoile à nos yeux, « l’art ne reproduit pas le visible, il le rend visible » célèbre citation du poète de l’abstraction. Il s’agit de transcender le réel par nos perceptions subjectives, pour mieux en dévoiler ses mystères. Ce radeau est  un manifeste, une déclaration d’amour éternel à l’art qui sauve, à l’art qui lutte. 

MICHELE GIQUIAUD

Par autan s’est joué du 12 au 14 juillet au Gymnase du Lycée Mistral 

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Et toujours en été

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© Mairie 1/7

Dans ce jardin public à quelques pas de la Corniche, un piano à queue attend sous un ciel très bleu que l’assemblée s’assagisse. Sous les doigts de Caroline Boirot, pour les sopranos Brigitte Peyré et Muriel Tomao, il s’apprête à retentir de toutes ses cordes frappées dans l’espace, de concert avec le son des vagues non loin de-là, et des gabians qu’il effraie un chouïa.

En cette belle fin d’après-midi, le trio a prévu un programme paritaire choisi non pas seulement pour sa beauté, mais aussi pour l’invisibilisation dont souffre une grande partie de ses compositrices. Lili Boulanger, Mel Bonis, Clara Schumann, Alma Mahler… Autant de répertoires illustres mais malheureusement oubliés dans l’histoire de la musique.

C’est ainsi l’occasion, pour beaucoup des spectateurs de tous âges qui se sont rassemblés au jardin de Benedetti, de les découvrir, en compagnie de confrères dont la renommée s’est – étonnamment – moins érodée, comme Camille Saint-Saëns, Richard Strauss et Gabriel Fauré.

De polyphonies enchantées en aiguës plaisants, le lyrique duo Peyré-Tomao se balade sur ce répertoire en allemand, espagnol, français, entre lesquelles chansons les liaisons sont assurées en poésie par quelque traduction de leurs paroles.

Citons en particulier l’œuvre-titre Rêvons, c’est l’heure !, mélodie composée par Jules Massenet sur un poème de Verlaine, berceuse des moins endormantes mais des plus reposantes, et le duo final écrit par Alma Mahler, comme des éclats de rires en musique. Mentionnons aussi le brillant piano de Caroline Boirot, roulant sur Strauss, sautillant sur Brahms, étincelant sur Chaminade.

GABRIELLE SAUVIAT

Un spectacle donné le 9 juillet au Jardin de Benedetti et le 10 juillet au Musée d’Histoire de Marseille.
À venir
27 août au Jardin Labadie.

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Musiques au lac

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Pablo Y Su Charanga © X-DR

L’Été Marseillais organisé par la Ville de Marseille dans tous les arrondissements de la ville est décliné par la Mairie des 9e et 10e, en Rendez-vous du lac. Ils se déroulent tous les jeudis de l’été (du 10 juillet au 21 août) en deux temps: un après-midi dédié aux enfants, avec des animations et des spectacles, suivi d’une soirée avec concerts ou projections de films en plein air.

Tribute bands

La mode des tribute bands ne se démentant pas, Les rendez-vous du lac, s’y adonnent avec délices. Au programme, le 17 juillet, un hommage au chanteur romain Eros Ramazzotti, dont les multiples tubes seront interprétés par l’orchestre Dove c’è Musica.

Le 24 juillet, Eric Bonillo plays Santana, tribute band composé de sept musiciens, jouera les morceaux légendaires du fameux guitariste et compositeur Carlos Santana.

Le 14 août, ce sera Tribute Tina Turner Proud Mary par la chanteuse américaine Kimberly Covington, artiste qui a partagé la scène avec des stars tels que Chaka Khan, Billy Paul, ou Gloria Gaynor.

Et le 21 août, le groupe Get The Beatles Back feront revivre l’épopée musicale des Beatles à travers plus de 2h de concert.

Opérette et salsa

À côté de ce florilège nostalgique, deux rendez-vous : l’un, le 31 juillet, avec de l’opérette Funny Musical, spectacle dans lequel on suit, entre Marseille et Toulon, les aventures rocambolesques de trois matelots, poursuivant une espionne aux cheveux rouges, accompagnés par des airs de Vincent Scotto. Et le 7 août, de la salsa avec le retour au bord du lac de Pablo y su Charanga, déjà présent l’année dernière. Un groupe au répertoire cubain très varié, avec pour l’occasion un plancher de danse installé devant la scène, et des danseuses et danseurs invité.e.s.

MARC VOIRY

Les rendez-vous du lac
Du 10 juillet au 21 août
Parc de Maison Blanche, Marseille

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Libertin insatiable

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© J2MC

Don Juan joué par une femme, c’est inattendu ! Et c’est Valérie Bournet qui l’incarne avec une gouaille et une fantaisie extraordinaires, moustache séductrice, immaculé costume satiné. Totalement investie par son personnage, la comédienne joue avec jubilation, tandis que le public la suit avec enthousiasme. 

Reprenant le texte de Molière avec quelques coupes nécessaires et quelques ajouts qui l’actualisent, Valérie Bournet et Philippe Car, codirecteurs de l’Agence de Voyages Imaginaires, ont assuré l’écriture et la mise en scène. Les quatre autres comédien·ne·s se partagent tous les autres personnages avec changements rapides de costumes, grimages, faux-nez, perruques, accompagnés des compositions musicales de Vincent Trouble. Car les comédiens sont pratiquement tous musiciens. La scénographie est elle aussi énergique : cinq tableaux différents, manipulés en direct, enchantent par leur poésie évocatrice, comme la barque de l’amoureux éconduit,  ou la forêt de feuilles translucides.

Violeur impuni

Mais contrairement au final de Molière, un pacte avec le Diable permet au séducteur de revenir à la vie en se félicitant : car il a « encore beaucoup de mal à faire. » Endiablé donc, il repart à l’assaut du premier jupon qu’il croisera, au grand désespoir de Sganarelle.

À la sortie, comédien.ne.s / musicien.ne.s se rassemblent sur la place pour un concert offert au public et aux passants. Ambiance festive assurée malgré le malheur de l’incendie qui a ravagé Pôle Nord, leur lieu de création, et la maison de Valérie Bournet. (voir p 5)

CHRIS BOURGUE

Don Juan-Un cœur à aimer la terre entière ?
jusqu’au 26 juillet à 17h40  
Théâtre des Carmes

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Hip hop marseillais sur le Vieux Port

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© Chroniques de Mars

Le 1er aout, Chroniques de Mars résonneront sur la scène sur l’eau dans le cadre de la 6e édition de lÉté Marseillais. La compilation (Chroniques de Mars I, II et III) conçue par le compositeur Imhotep (membre du groupe IAM) regroupe plus d’une vingtaine de rappeurs marseillais. Considérée comme une référence absolue, elle a permis de populariser le rap marseillais, à Marseille et ailleurs. 27 ans après, amateur ou fin connaisseur de rap pourront revivre en live les classiques de l’album à 20h, interprété par ses ambassadeurs : Faf Larage, Bouga, Puissance Nord, Elams, Thabiti Vincenzo ou encore les emblématiques IAM et la Fonky Family… ainsi que ceux y ont contribué depuis 1998.

LILLI BERTON FOUCHET

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L’aïd et la manière

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© X-DR

Comment transmettre son héritage tout en s’émancipant ? Voilà la question à laquelle Wacil Ben Messaoud tente de répondre dans son seul en scène autobiographique Le dernier aïd. Il nous raconte son histoire : un jeune homme qui souhaite devenir acteur qui quitte la boucherie halal paternelle de Port-de-Bouc. Un billot de boucher, un couteau et une veste suffisent à Wacil Ben Messaoud pour déployer les différents personnages de son seul en scène Le dernier aïd : son père, une cliente, les deux apprentis boucher et lui-même. On y retrouve certains clichés, comme le père algérien colérique. Mais cette exagération est la preuve de la tristesse du père de voir son fils partir. 

Entre rupture et hommage

La leçon donnée aux apprentis sur l’art de la boucherie montre bien la délicatesse et le besoin d’honorer le lieu comme il se doit pour le dernier aïd. Car si l’aïd est synonyme de fête, c’est aussi le jour de la fermeture de la boucherie qui ne sera pas reprise par le fils. Alors le pèreraconte son histoire, sa déception de voir l’œuvre de sa vie fermer. Pourtant, on voit la fierté de ce père pour son fils qu’il surnomme « le philosophe », qui a mieux réussit que lui, comme il le voulait. Le sentiment de trahison vient finalement davantage du fils que du père. Conflit résolu par ce seul en scène sur lequel il travaille avec la compagnie Kourtrajmé depuis 2022, après son passage par l’école Kourtrajmé-Montfermeil, et où il rend hommage à la boucherie, au père, à la fête de l’aïd. Il faut aussi souligner la beauté des performances muettes où Wacil Ben Messaoud coupe une viande imaginaire dans une véritable chorégraphie poétique.Finalement, la symbolique de l’aïd et du sacrifice d’Ibrahim sont représentés ici entre modernité et tradition avec réussite. 

LOLA FAORO

Le Dernier Aïd a été joué du 4 au 14 juillet à La Scierie, Avignon

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Folie en haute montagne

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LE SOMMET Conception et mise en scene Christoph Marthaler Avec Liliana Benini, Charlotte Clamens, Raphael Clamer, Federica Fracassi, Lukas Metzenbauer, Graham F. Valentine Dramaturgie Malte Ubenauf Scenographie Duri Bischoff Costumes Sara Kittelmann Maquillage et perruques Pia Norberg Lumiere Laurent Junod Son Charlotte Constant Collaboration a la dramaturgie Eric Vautrin Assistanat a la mise en scene Giulia Rumasuglia Repetiteurs musicaux Bendix Dethleffsen, Dominique Tille Stagiaire a la mise en scene Louis Rebetez

Un refuge de montagne, percé en son centre par un sommet rocheux. Six personnages, vêtus de vêtements de randonnée d’un autre temps, accèdent à l’abri par une sorte de grand monte-plat ou de petit ascenseur, venant d’on ne sait où. Ils parlent anglais, français, allemand, italien. Un accordéon, des chansons, d’étranges conversations… Il est difficile de décrire Le Sommet, création 2025 de Christoph Marthaler autrement que par une accumulation descriptive, car aucun enjeu n’est suggéré, sinon une esthétique insensée.

On ne sait pas où se trouve ce chalet, sur quel sommet, ou à quelle époque. On ne sait pas non plus si les personnages se connaissent, ni même s’ils se comprennent réellement – l’absence de surtitres à certains moments semble indiquer le contraire. Les dialogues insensés se succèdent, renforçant ce flou autour de leurs relations. Une discussion sur leurs vacances respectives dans un même village suggère qu’ils se connaissent, une autre conversation semble indiquer qu’un des hommes doit assurer la sécurité des autres en montagne, mais aucune de ces pistes n’est jamais explorée. 

Le nonsense comme système

De manière générale, il n’y a aucune narration dans cette pièce qui ressemble à une succession de sketchs, à des variations autour d’une situation donnée et déjà étrange en elle-même. Des bâtons de ski arrivent par l’ascenseur, tous se lancent dans un cours de ski en intérieur. La borne d’appel d’urgence court-circuite, provoquant une chaleur d’enfer dans le refuge. Qu’à cela ne tienne, celui-ci se transforme en immense sauna, et les comédien•nes quittent leurs vêtements de montagne pour se couvrir de serviettes de bain. Alors qu’ils sont sommés de ne pas sortir à cause des intempéries, l’un est pris d’une envie pressante et décide sans que cela ne pose problème à personne de prendre l’ascenseur pour aller uriner à l’extérieur…

Les personnages semblent participer à un grand exercice d’improvisation dans un environnement complètement adaptable. Toutes les situations les plus farfelues semblent possible, et donc rien ne peut réellement étonner le spectateur. L’effet de surprise produit par les évènements au début de la pièce – les arrivées d’objets aléatoires par l’ascenseur, les changements de costumes…- s’épuise peu à peu, jusqu’à disparaître complètement. Alors, lorsqu’un haut parleur annonce que suite aux intempéries il est interdit de pénétrer dans la vallée « pour les 15 à 18 prochaines années », on espère juste ne pas rester bloqué au Sommet avec eux. 

CHLOÉ MACAIRE 

Jusqu’au 17 juillet 
La FabricA, Avignon

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Amour et cartes postales musicales à Salon de Provence

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© A-M.T

Elle avait bouleversé l’an dernier, le Festival International de Salon de Provence avec des Lieder de Mendelssohn. Fidèle à cette forme musicale, Alma Sadé est revenue cette année à l’Abbaye de Sainte Croix avec les Dichterliebe, Op 48 (l’amour du poète) de Robert Schumann, joyau du répertoire romantique.

Âme germanique…

Soprane à la belle technique, Alma possède aussi une immense expressivité et… Beaucoup d’humour. Celle qui, en février dernier, interprétait, dans le cadre du festival de théâtre musical de l’Opéra-comique de Berlin, un cycle de cinq lieder du cabaret yiddish, s’excuse par avance du fait que sa langue puisse fourcher et que la pureté de la langue allemande vienne s’entacher d’accents yiddish. Il n’en n’est rien bien sûr et Alma bouleversante enchaîne avec conviction les seize poèmes d’Heinrich Heine traduits en musique avec délicatesse par Schumann. Ils déroulent la palette complexe des émotions de la passion à la douleur. Corporellement engagée, Alma nous emporte dans ce voyage amoureux avec une fougue théâtrale.  Son phrasé est impeccable. Chaque mot est articulé, chaque phrase développée pour donner âme et sens au texte du poète allemand.

On apprécie particulièrement son interprétation de Im Rhein, Im Heiligen Strome (Dans le Rhin, dans ce beau fleuve), sa puissance dramatique dans le célèbre Ich, Grolle Nicht, (je ne t’en veux pas) et sa gaieté facétieuse dans Ein Jüngling Lieb Ein Mädchen, (un jeune homme aime une jeune fille), morceau qu’elle reprendra en Bis et bien en yiddish cette fois.

Elle est accompagnée au piano par le talentueux Orlando Bass, musicien aux multiples facettes.

… Et « vibrance » espagnole

En première partie de concert, ce dernier a offert au public le troisième livre de la suite pour piano Iberia du compositeur espagnol, Issac Albéniz (1860–1909), œuvre monumentale, composée entre 1905 et 1909 et sommet du répertoire pianistique espagnol impressionniste.

« Ce qui caractérise Albéniz, c’est sa « vibrance », estime Orlando Bass. Ce compositeur, qui influença Ravel et Debussy a écrit ces petites cartes postales musicales sur l’Espagne alors qu’il vivait à Nice épuisé physiquement et moralement ».

Pièce techniquement redoutable, El Albaicín est une évocation du quartier gitan de Grenade. Elle est suivie par El Polo, intense et expressive aux harmonies riches et sombres.  Enfin, Lavapiés, référence au quartier populaire et multiculturel de Madrid, embarque le public dans une mélodie festive proche d’une zarzuela urbaine. Exigeant, limpide, flamboyant, Orlando Bass nous offre un grand moment.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le concert s’est déroulé le 28 juillet à l’Abbaye de Sainte Croix à Salon de Provence

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Lampedusa, la nuit qui se prolonge

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© Guillaume Bosson

Présentations : ildi!eldi (il c’est Antoine Oppenheim, el c’est Sophie Cattani) aiment la littérature contemporaine, celle qui en disant je, souvent au féminin, se théâtralise aisément. Pour précision : il!el n’ont pas inventé le iel, mais le nom de leur compagnie le précède.

il!el aiment aussi le cinéma, celui qui a marqué la mémoire d’une génération, en particulier celle des autrices qu’il!el théâtralisent : leur série A et S font leur cinéma –autour des récits inattendus et si familiers sur  Alien, Bambi ou Les Parapluies de Cherbourg d’Olivia Rosenthal- éclaire étonnamment ce que les films font à nos émotions et à nos mémoires.

Autre point, pas sans rapport : il!el, au-delà de leur compagnie, organisent des « Mariages arrangés ». L’alliance de l’un d’entre eux, il ou el, avec un artiste « nouvel arrivant » en Europe. Depuis 2020 il!el partagent un atelier  à Marseille, le boa, avec des artistes en exil, et forment des projets communs, qu’ils réalisent sur scène. A ce stade de la nuit en est un brûlant exemple.

Sempiternels naufrages

C’est avec le peintre kurde Mahmood Peshawa que Sophie Cattani dit, en une petite heure, d’un débit rapide et étonnamment clair, le texte intégral de Maylis de Kérangal. Un récit écrit en 2013 en quelques jours, juste après le naufrage du 3 novembre au large de Lampedusa. 366 morts, 155 rescapés ; des Erythréens et Soudanais pour la plupart, qui n’avaient jamais vu la mer, et dont on apprendra quelques jours plus tard qu’ils ont été, pour au moins 130 d’entre eux, enlevés, torturés et violés dans des camps Libyens, puis forcés au départ.  L’État italien leur refusera le deuil national, et placera en détention pour entrée illégale dans le territoire les 155 rescapés.

Une tragédie, dont on apprendra en 2017 qu’elle aurait dû être évitée, les autorités italiennes ayant été averties que le cargo prenait l’eau 5 heures avant qu’il ne sombre, mais refusant qu’un navire militaire italien, pourtant à proximité, leur porte secours.

Ces faits, l’ampleur du naufrage, sont au cœur du récit de Maylis de Kérangal, mais elle s’y laisse aller, par des associations d’idées, vers un sens plus général, historique, du naufrage européen. Car Di Lampedusa, c’est aussi le nom de l’auteur du Guépard, du visage de Burt Lancaster qui pleure la fin de son monde, d’une aristocratie décadente qui souffre de laisser la place à une bourgeoisie vulgaire, qui rétablira les mêmes systèmes d’oppression sur le peuple.

Un naufrage, qui en précédera un autre, celui de l’Europe qui n’en finit pas de sombrer parce qu’elle oublie ce qui l’a fondée : l’hospitalité, dernier mot du récit, dernier mot du spectacle.

Naissance des images

Sur scène, Sophie Cattani est assise à une table simple, comme dans sa cuisine, des morceaux de tasse brisés au sol, une autre, intacte, posée, qui viendra les rejoindre. Sur un écran toile les images du film de Visconti s’arrêtent, se zooment, se répètent, cadrant la tristesse, le mépris de classe, la grâce inutile de Claudia Cardinale et Alain Delon, le naufrage du bal final. Sophie Cattani rappelle la phrase de Delon « Il faut que tout change pour que rien ne change », recette pour que le conservatisme se perpétue, pour que les naufrages civilisationnels se succèdent sans que l’ordre social et les dominations ne cessent.

Alors Mahmood Peshawa se lève et sur la toile écran, tandis que Sophie Cattani continue de dire son impuissance, la solidarité des citoyens de Lampedusa, le nombre effarant des noyés, il dessine à grands coups de pinceau leurs visages. Une foule de traits qui coulent comme des larmes noires, et figurent des yeux, des bouches, tordus, qui fondent.  Ceux du naufrage de 2013 et de tous ceux qui, depuis, ont disparu en mer. Lampedusa n’a rien changé.

AGNÈS FRESCHEL

A ce stade de la nuit a été joué au Théâtre des Halles, Avignon, du 6 au 26 juillet

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