lundi 19 mai 2025
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Histoires de cordes 

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Le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron joue du paradoxe en baptisant « Nuit du piano » une soirée où brille un quatuor, pas n’importe lequel, sans doute l’un des meilleurs au monde, le Quatuor Modigliani. Deux pianistes sont tour à tour à l’honneur, Rémi Geniet et Jean-Frédéric Neuburger. La soirée conçue en deux temps s’attachait d’abord aux Valses nobles et sentimentales de Ravel, sous les doigts de Rémi Geniet dont les attaques franches et la nervosité du style se glissent avec aisance dans la partition dont le titre est un hommage aux deux volumes de valses de Schubert. Si le terme de « valse » a désorienté le public à la création tant les dissonances et les accents de ces pièces leur donnaient une apparence « aventureuse ». Pourtant, en exergue de la partition pour piano on peut lire la citation d’Henri de Régnier « le plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile »… Entre le côté percussif de certaines phrases et les nuances qui se coulent dans le velouté du Fazioli, le pianiste a une manière bien à lui d’habiter le silence tandis que les dernières notes appréhendent l’infime et se perdent dans la cymbalisation des cigales. Rejoint par le Quatuor Modigliani, Rémi Geniet s’attachait à une pièce historique du répertoire français, le Quintette pour piano et cordes en fa mineur de César Franck. Les accents passionnés de l’œuvre étaient rendus par un tempo sans faille. Le ton dramatique de la première partie, Molto moderato quasi lento, prenait un tour romantique soutenu par la virtuosité des cordes, violon aérien d’Amaury Coeytaux, celui subtilement incarné de Loïc Rio, alto profond de Laurent Marfaing, violoncelle inspiré de François Kieffer. La sublime aria du deuxième mouvement, Lento, con molto sentimento, est d’une intensité prenante, tissés dans ses harmonies complexes. Enfin, le troisième mouvement, Allegro non troppo, ma non fuoco, offre des unissons de rêve, mâtinant son lyrisme d’un sentiment d’urgence où s’emporte l’âme. 

Complicité de longue date

Après l’entracte, c’est le Quatuor Modigliani qui débutait, écho à la première partie en reprenant une œuvre de Ravel, le Quatuor à cordes en fa majeur. On est subjugués par l’art infini des nuances, la virtuosité inventive des pizzicati, la fougue du scherzo, la musicalité du premier violon, le Stradivarius « Prince Léopold » de 1715, la poésie fiévreuse des phrasés qui équilibre les couleurs et réenchantent le monde. Comme en clin d’œil, puisque le quatuor de Ravel est dédié à Gabriel Fauré qui était au moment de son écriture professeur de composition de l’auteur du Boléro, les quatre instrumentistes retrouvaient le pianiste Jean-Frédéric Neuburger, complice depuis plus de vingt ans pour une interprétation magistrale du Quintette pour piano et cordes n° 2 en ut mineur opus 115 de Fauré. La beauté d’une journée d’été se voit condensée dans cette pièce qui fut utilisée au cinéma dans le film de Bertrand Tavernier, Un dimanche à la campagne. Fluidité, frémissements, paysages rêvés, été impressionniste où les strates de lumière vibrent avec une éloquente élégance… L’osmose entre les musiciens fait le reste. 

En bis, le Scherzo du Quintette pour piano en la majeur de Dvořák apportait le tourbillon de sa danse. Un rêve éveillé !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 29 juillet, Parc de Florans, La Roque d’Anthéron

Quichotte : un joyeux bazar et une réflexion profonde 

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Quichotte © XDR

Artiste invité pour plusieurs années de « permanence artistique » par le Festival, Gwenaêl Morin a pour ambition de Démonter les remparts pour finir le pont ! C’est à dire, entre autres,  de s’attaquer au répertoire pour tisser des liens avec le présent. Quoi de mieux, la langue invitée étant cette année l’espagnol après l’anglais l’an passé, que de s’attaquer au premier roman picaresque ?

Don Quichotte de la Manche est un hidalgo qui, influencé par les romans de chevalerie dont il s’est nourri, rêve de « pratiquer ce qu’il a lu dans les livres » pour changer le monde et trouver sa Dulcinée. Le roman est dense, le metteur en scène Gwenaël Morin décide donc d’y entrer « par effraction », non en lui restant fidèle, mais en tentant d’en extraire l’idéalisme et la philosophie du personnage éponyme. 

De l’imagination 

Avec Quichotte, Gwenaël Morin revient au théâtre dans ce qu’il a de plus artisanal : Don Quichotte est affublé d’un bouclier et d’un casque en carton, la lance est composée de morceaux de bois maintenus par du gros scotch. Peu de décor, une toile blanche tendue entre les arbres, un synthétiseur reposant sur une souche. Les personnages s’affrontent derrière les arbres du jardin, le public joue les moulins à vents en levant les bras. Il faut s’imaginer, comme dans l’enfance ou le rêve, les réalités que traduisent les mots de Don Quichotte. D’ailleurs, c’est à travers ses yeux que le spectacle se vit, comme dans un univers parallèle. Les acteurs donnent le ton. Jeanne Balibar qui incarne un Don Quichotte émouvant et halluciné, Thierry Dupont, Sancho Panza protecteur et aimant, et Marie-Noëlle, narratrice ironique, forment un trio décalé mais harmonieux. Ils sont accompagnés par Léo Martin qui les assiste, muni du texte.

Et de la réflexion

Pour que le public comprenne la manière dont se fabrique un spectacle, Gwenaël Morin est convaincu qu’il doit l’élaborer avec lui. Voilà que la première partie de Quichotte a des allures de répétition : il s’ouvre sur la lecture de l’introduction du roman de Cervantès par Marie-Noëlle. Elle finit par abandonner ses textes et ponctue la pièce de remarques et de reformulations sur l’œuvre, autant de parenthèses métatextuelles nécessaires à la clarté de l’intrigue. 

Une entreprise au long cours, qui s’enrichira jusqu’au terme du Festival -la première représentation manquait parfois de dynamisme : mettre la vision fantasmée du monde de Don Quichotte à l’épreuve du plateau théâtral et voir ce qui advient, c’est ce que propose Gwenaël Morin. Moqué par tous, Don Quichotte préfère se réfugier dans les promesses d’héroïsme des romans et s’y brûle les ailes. 

Une séquence symbolique où les livres de sa bibliothèque sont jetés un à un par tous les personnages en fond de scène interpelle : le danger se trouve-t-il dans les livres ou dans l’idéologie qu’on croit en tirer ? Que peut encore la littérature face à la violence du monde ? 

CONSTANCE STREBELLE

Quichotte
Jusqu’au 20 juillet, 22h, Jardin de la rue de Mons
Maison Jean Vilar, Avignon

AVIGNON OFF : Rêver peut-être

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Rêveries © Yann Gaillot

Juliet O’Brien a fouillé dans ses journaux intimes, et dans les Rêveries perdues de ses personnages. Ils sont quatre sur scène, flanqués de quatre porte-manteaux couverts de vêtements et d’accessoires, partenaires vivants pour traverser les époques, scruter les cœurs, plonger dans les pensées de personnages très attachants dans leurs excès, leurs heurts et malheurs. La vie ne fait de cadeau à personne, reste seulement à l’affronter comme on peut, sans pleurnicheries ni optimisme béat. Un petit air de musique, un pantalon dont on lâche l’ourlet, un képi ou un calot, un tablier, suffisent à situer l’époque, à camper un personnage dont s’empare chaque comédien avec une agilité qui favorise notre sourire, capte notre attention.

Chacune et chacun feint d’oublier de rêver, se réfugie dans un travail acharné, tente à son petit niveau, de grimper l’échelle sociale, se marie comme on signe un contrat illusoire, en fermant les yeux. 

Rêveries ce sont des coups de chapeau lancés à chaque personnage, homme ou femme, jeunes ou vieux, fiers de leur vie, celle dont ils n’ont jamais rêvée mais qu’ils ont traversée, lèvres gourmandes, larmes contenues, cœur gonflé. Les comédiens insufflent une humanité revigorante à des dialogues légers en apparence, à des non-dits beaucoup plus lourds. Ils virevoltent leurs sentiments, dansent sur leurs espoirs, se divertissent de leurs souvenirs. Ils traversent la vie comme on esquisse un pas de danse. La mise en scène fluide de l’autrice savoure toutes les circonvolutions du texte.

Rêveries met du baume sur nos petites tristesses. Ces gens-là peuvent se vanter d’avoir vécu de tout leur corps et de tout leur crâne. Sans artifice, sans techniques anesthésiantes. Eux, c’est sûr, n’ont jamais eu besoin d’Intelligence Artificielle.

JEAN-LOUIS  CHÂLES

Rêveries 

Jusqu’au 21 juillet à 19h45, relâche le lundi 
Théâtre Présence Pasteur, Avignon

Samson ressuscité à Aix

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Samson_Festival d'Aix-en-Provence 2024_© Monika Rittershaus_1

Le chef Raphaël Pichon et le metteur en scène Claus Guth se sont emparés de Samson, opéra perdu de Jean-Philippe Rameau, et le public de la première, au Théâtre de l’Archevêché, ne s’y est pas trompé en réservant à cette production hors du commun un accueil triomphal. 

Rappelons les faits. Voltaire et Rameau envisagent de collaborer à une rénovation du genre lyrique. Ce sera Samson, le héros biblique. Las ! La censure s’en mêle, Voltaire traîne une réputation d’impiété. Le projet capote par deux fois. Rameau gardera les meilleurs morceaux de la partition pour les recycler dans des ouvrages ultérieurs… 

Il ne s’agit pas de ressusciter une œuvre perdue, ni de recomposer une chimère musicale. L’intérêt du travail de Raphaël Pichon, le chef et Claus Guth, le metteur en scène, s’attache davantage à en restituer l’esprit que la lettre. Ce qui est donné à voir et à entendre est un spectacle total aux images d’une beauté saisissante, d’une profondeur dont les échos bibliques viennent percuter une actualité brûlante. 

La scénographie d’Étienne Pluss installe le drame dans les ruines d’une demeure que l’on devine cossue. Plafonds effondrés, murs éventrés, sol jonché de gravats… livrées aux promoteurs qui viennent établir un état des lieux. C’est le présent d’un drame qu’une mère (l’actrice Andréa Ferréol) vient évoquer. Comment être la mère d’un terroriste ? Samson, le massacreur des Philistins, est un kamikaze fou de Dieu. « Quel est son nom, je ne peux prononcer son nom ! », hurle-t-elle. 

Siècles en résonance

Le formidable pari est réussi au-delà de toute attente. La conjonction entre la musique et le drame se fait sans solution de continuité. L’esprit des créateurs de notre siècle fait naître une œuvre venue d’un autre siècle, plus dense plus ramassée, plus intensément dramatique, plus travaillée de préoccupations qui sont les nôtres. Ce Rameau nous est d’une proximité étonnante. D’une vérité que Claus Guth veille toujours à ce qu’elle ne colle pas littéralement à l’actualité. Samson, c’est la force fanatique au service de la mort… Comment ne pas  songer aujourd’hui au 7 octobre et à Gaza ? 

La figure herculéenne de Samson est incarnée par l’imposant baryton Jarrett Ott. Entre la vocation prophétique du libérateur et ses appétits sexuels, il est déchiré entre la figure fragile de Mitta, excellente et touchante Léa Desandre et la force de Dalila, troublante Jacquelyn Stucker. Il nous offre une figure dont toutes les ambiguïtés dramatiques  (est-il un monstre sanguinaire, une voix divine ?) s’incarnent en ambiguïté vocale, qui joue entre un vérisme âpre et un arioso proprement baroque. Tout contribue à en faire un personnage trouble, aux élans mortifères, une figure de la Passion christique, tombant avec lenteur du ciel vers le gouffre , accompagné par Julie Roset, ange annonciateur aux accents séraphiques, et Nahuel di Pierro basse brillante et ductile, figure maléfique du Philistin Achisch. 

Raphaël Pichon remet le chœur, formidable ensemble Pygmalion, au centre de la tragédie, peuple hébreu de blanc vêtu, Philistins jouisseurs en noir. Un cliché ? le vrai protagoniste c’est la musique de Rameau. Qu’on la reconnaisse dans tel ou tel numéro ou qu’on la redécouvre, elle est le ciment du spectacle. Raphaël Pichon en livre une lecture qui ose les collisions brutales. Elégies de la déploration de Dalila et déchaînements électroacoustiques sont liés par une profonde acuité du propos. Ici, l’intelligence sert d’un bout à l’autre un spectacle riche d’intentions, d’une beauté plastique à couper le souffle et d’une inspiration musicale sans égale. Un grand moment de ce Festival 2024. 

PATRICK DI MARIA

Samson
Les 6,9,12, 15 et 18 juillet
Cour de l’Archevêché, Aix-en-Provence

Le temps et le sel

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Sous les racines, un chœur de femmes dans un bain de sel

Il y a des propositions que l’on aimerait par dessus tout aimer, en ce contexte politique où près d’un tiers des français voulaient être gouvernés par un parti prônant la préférence nationale, la discrimination active des binationaux et refusant l’égalité salariale homme-femme. Mais Tamara Cubas, intimidée sans doute par l’importance de son propos, la force de ces femmes qui portent leur combat sur scène, a produit un spectacle de moins d’une heure trente qui semble long au bout de 20 minutes. L’artiste, qui a l’habitude aussi de créer des installations et des œuvres plastiques qui ne s’inscrivent pas dans la problématique d’un temps diégétique, narratif ou dramatique, a créé un spectacle dont on devine dès le départ le déroulement, et qui nous apprend très peu sur l’histoire et les conditions de vie de ces femmes, avec lesquelles on ne parvient pas, faute de savoir qui elles sont, à entrer en empathie.

Racontez-nous… 

On apprend, par la feuille de salle, et quelques allusions éparses que Noelia Coñuenao, Karen Daneida, Dani Mara, Ocheipeter Marie, Hadeer Moustafa, Sekar Tri Kusuma et Alejandra Wolff sont des femmes qui toutes parlent des langues d’exils, minoritaires ou natives. mapuche, edo, malais, arabe, didxaza, borum. Mais ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce ne sont pas leurs histoires, mais un chœur de femmes antique chantant, psalmodiant, se déplaçant, se revêtant de blanc, de voiles. Sur le mur du lointain après un long temps passé sans mots compréhensibles, quelques-uns, traduits, poétiques, viennent s’écrire, allusions à la femme de Loth changée en sel parce qu’elle s’est retournée pour regarder la ville qu’elle quittait. 

Le sel, sur la scène, cache d’autres voiles encore qu’elles déterrent pour s’en revêtir, et par moments les chants sont beaux, les gestes, les visages éclatants comme des combats. Dont on aimerait, vraiment, savoir davantage, car rien n’est plus urgent sans doute aujourd’hui que de produire des récits d’exils et de témoignages des ethnocides, en particulier par les femmes qui sont, généralement, les voix porteuses des victimes. 

AGNÈS FRESCHEL

Sea of Silence a été créé au Théâtre Benoit XII du 4 au 9 juillet

Courts de cœur

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FÁR © Salaud Morisset

FÁR

Venu du grand nord, d’Islande, FÁR de Gunnur Martinsdóttir Schlüter nous fait assister à un drame. Un vol d’oiseaux dans le ciel. Visage d’une femme, Anna, derrière une vitre. Elle participe à une réunion d’affaires dans un café. Cadres serrés, couleurs bleues froides. On parle de gains, de l’installation d’un jacuzzi. Soudain, un choc contre la vitre. Une mouette git, à terre, blessée. Sous les yeux stupéfaits de ses collègues, Anna veut achever l’oiseau mais se fait agresser par des enfants « on n’a pas le droit de tuer » s’insurgent-ils. « La frontière est mince entre la souffrance et la mort »  leur répond-elle. Derrière la vitre, les gens du café observent… Un film, court, efficace, âpre, superbement cadré. FÁR veut dire intrusion ; l’intrusion de l’inattendu dans un monde organisé, de la souffrance et de la mort dans un lieu où ce qui compte est l’argent gagné et l’efficacité économique. Une réussite.

I Once Was Lost

Inspiré par une histoire vraie, I Once Was Lost, entre documentaire, journal intime et fiction, nous raconte une anecdote arrivée à un père, celui de la réalisatrice franco-américaine Emma Limon. Un soir, il dépose en voiture sa fille, lycéenne, chez son premier petit ami. C’est elle qui l’a guidé dans les rues de la ville. Mais au retour, il ne retrouve plus son chemin. Cette anecdote qui lui est arrivé en 2008, il la lui raconte bien plus tard, en 2021. Emma Limon en fait un film. Une déambulation nocturne, très bien filmée, dans la banlieue de Boston. Pas grand monde à qui demander son chemin. John entre dans un tout petit magasin de donuts. Il achète un beignet, essayant d’obtenir des informations. Aucune des trois employées ne parvient vraiment à l’aider mais l’une d’entre elles lui offre plusieurs donuts qu’il dévore dès qu’il retrouve enfin sa route : « je ne me suis senti plus chez moi dans l’univers. » Perdre ses repères  n’est pas toujours une mauvaise chose et ce père qui avait peut être l’impression de perdre-là sa fille devenue femme, a peut-être ici, trouvé un nouveau chemin.

Amarres (C)CHAZ Productions

Amarres

Un autre film inspiré par le réel, celui de Valentine Caille, Amarres. À partir de son histoire personnelle, la réalisatrice écrit une fiction, mise en scène avec soin et superbement interprétée par Alice de Lencquesaing et Jonathan Genet. Livia vient passer quelques jours sur le rucher familial. Elle y retrouve son frère, Louis, qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique et qui est psychologiquement très perturbé. Il travaille sur le rucher – les scènes sur le travail des apiculteurs sont très bien documentées… La folie de Louis qui se manifeste dès qu’il est en contact avec les autres est en écho avec la folie technologique qui conduit à la destruction des abeilles. La relation entre le frère et la sœur, entre haine et amour inconditionnel, donne lieu à des scènes intenses, que la musique de Claus Gaspar souligne habilement. Un film riche en émotions.

ANNIE GAVA

Le festival Tous Courts, organisé par l’association Rencontres cinématographiques d’Aix-en-Provence s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre

festivaltouscourts.com

Une journée en courts

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La master class

Caroline San Martin, maîtresse de conférences en écriture et pratiques cinématographiques à la Sorbonne,est venue « penser l’écriture du personnage en scenario », une leçon de cinéma qui a rassemble bon nombre d’étudiants. Et ce fut passionnant. Partant d’un texte de Gilles Deleuze, Francis Bacon : Logique de la sensation, celle qui est aussi intervenante à la Femis a proposé de transposer au cinéma ces réflexions sur la peinture. Comment déconstruire des partis-pris, interroger les présupposés, imaginer des possibilités et en faire le tri, ancrer son  personnage dans des situations pour qu’il puisse faire des choix. S’appuyant sur des extraits de courts et longs métrages, Caroline San Martin a aussi dialogué avec ceux qui assistaient à cette master class qui a duré deux heures. On l’aurait bien écoutée deus heures de plus !

Les cartes blanches

Bruno Quiblier, directeur de l’association lausannoise Base-Court est venu présenter six films suisses dont trois d’animation, très différents, dont un, engagé et drôle, « dédié aux animaux victimes d’homophobie » ! Dans la nature de Marcel Barelli. Dans la nature, un couple c’est un mâle et une femelle. Enfin, pas toujours! Un couple c’est aussi une femelle et une femelle. Ou un mâle et un mâle. Vous l’ignoriez, peut-être, mais l’homosexualité n’est pas qu’une histoire d’humain. Original et très graphique, celui de Jonathan Laskar, The Record, où un antiquaire qui s’est vu offrir par un voyageur un disque magique, « lisant dans votre esprit et jouant ce que vous avez en mémoire », s’enferme dans sa boutique avec tous ses souvenirs qui refont surface. Et dans le film de Basile Vuillemin, Les Silencieux, ce ne sont pas des souvenirs que remontent les pêcheurs d’un petit chalutier qui, après des pêches maigres, se sont aventurés dans des zones protégées. Un film superbement mis en scène qui nous fait passer vingt minutes en compagnie de ces marins, confrontés à un rude dilemme.

Les Silencieux © Blue Hour Films

Une autre carte blanche a été proposée au Festival Vues du Québec, étonnement situé à Florac en Lozère, principale manifestation française entièrement consacrée au cinéma québécois, qu’est venu nous présenter son fondateur, Guillaume Sapin. Il nous a proposé sept courts très variés et de très bonne facture. Oasis, le premier documentaire de Justine Martin suit la relation de Raphaël et Rémi, des jumeaux, au moment charnière de l’adolescence. Raphael, atteint d’un handicap, reste prisonnier de l’enfance, Rémi grandit… Un film très touchant. Aucéane Roux, est venue parler de son film d’études cinématographiques à l’École des médias de l’UQAM, Vent du Sud, tourné à Val Gagné, dans l’Ontario, le village que ses grands parents ont quitté comme beaucoup d’autres, laissant des terres en friche. Terres rachetées par des mennonites qui ont fait revivre le village. Un film qui « raconte surtout l’histoire de deux communautés qui se rencontrent à travers un village. C’est l’agriculture qui est leur point commun». Passionnant.

The Record © Kurzfilm Agentur Hamburg

Découvert aussi, le festival de l’écrevisse de Pont-Breaux, en Louisiane, grâce au regard acéré de Guillaume Fournier, Samuel Matteau et Yannick Nolin. Acadania, un court sans paroles mais dont les images parlent, reflet d’une Amérique fatiguée et comme défaillante ; visages fatigués, machines rouillées, parade grotesque. On pourrait aussi évoquer le film d’Annie St-Pierre, Les grandes claques, une fiction qui nous fait partager un réveillon en 1983 : des enfants qui attendent un Père Noël en retard, un père qui attend son passage pour pouvoir emmener ses enfants, angoissé à l’idée d’entrer dans la maison de son ex-belle famille. Un film doux amer qui nous fait partager les tensions et les réactions de chacun. Carte blanche particulièrement réussie !

ANNIE GAVA

Le Festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.

festivaltouscourts.com

« Viva Varda ! », la femme et la cinéaste

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Pierre-Henri Gibert a l’habitude de faire des portraits de cinéastes. Près d’une vingtaine à son actif : Audiard, Clouzot, Resnais… Viva Varda !,commandé par Arte, est le premier consacré à une femme. Et quelle femme ! Une photographe, cinéaste, plasticienne, Agnès Varda qui a fait elle-même, plusieurs fois son autoportrait à travers ses films. Un projet audacieux ! Suicidaire même, plaisante son auteur. Mais un portrait vraiment réussi qui nous donne à voir une Agnès loufoque, tenace, libre mais en livre aussi quelques aspects qu’on connaissait moins. Un portrait fait avec bienveillance où l’on suit son parcours de vie et ses débuts cinématographiques avec La Point courte. L’arrivée à Sète de la petite Arlette, au bout de la route de l’exil pendant la guerre, la rencontre avec sa famille de cœur, les Schlegel, sa liaison avec leur fille, Valentine. Ses débuts en photographie, son installation à Paris rue Daguerre. Elle crée sa coopérative de cinéma, elle qui n’ a pas fait d’études cinématographiques. Elle qui avait vu en tout huit films se lance dans l’écriture et la réalisation de La Pointe Courte qui ne plait pas du tout aux Cahiers du cinéma.

Amour et bienveillance

Pierre-Henri Gibert donne la parole à ses collaborateurs, à ses enfants, Rosalie Varda et Mathieu Demy, à des ami·e·s, Sandrine Bonnaire, Patricia Mazuy, Audrey Diwan, Aton Egoyan qui, tout au long du documentaire, évoquent la cinéaste, précurseure de la Nouvelle Vague. Une cinéaste qui n’a jamais baissé les bras, qui est toujours partie à la rencontre des autres, Chinois, Cubains, Black Panthers. « Je vais filmer de toute façon » disait-elle, allant chercher de l’argent avec arrogance, précise Patricia Mazuy. Le réalisateur évoque la cinéaste mais aussi la femme, celle qui a rencontré Antoine Bourseiller, le géniteur de Rosalie, qui a aimé très fort Jacques Demy dont le départ l’a fait souffrir, qui a rencontré ses voisins qu’elle a filmés avec bienveillance. C’est tout cela qu’on retrouve dans le documentaire de Pierre-Henri Gibert qui a réussi son projet audacieux. Viva Varda ! nous fait rencontrer une Agnès Varda avec ses failles, son extraordinaire soif de vivre, son amour des gens et du cinéma. On l’aime encore plus!

ANNIE GAVA

Viva Varda ! est disponible sur Arte TV à partir du 30 octobre et sera programmé le 6 novembre à 22h35.

https://www.cinemed.tm.fr/

Le Rendez-vous de Charlie

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ERIK TRUFFAZ

Le jazz aime les feuilles mortes, c’est bien connu. En miroir du Charlie Jazz Festival de l’été, le Rendez-vous de Charlie scelle notre entrée dans l’automne. La récolte sur deux jours connaît un pas sur le côté dans l’univers jazzique et lorgne vers le cinéma avec la projection du film César et Rosalie de Claude Sautet en partenariat avec le Cinéma Les Lumières. Deux stars, l’une du cinéma, l’autre du monde du jazz présenteront cette toile mythique du répertoire où se croisent Romy Schneider, Yves Montand et Sami Frey, Sandrine Bonnaire et Erik Truffaz qui revisitera dans le cadre du projet Rollin’& Clap quelques thèmes de la musique de cinéma. Le célèbre trompettiste accompagné d’Alexis Anérilles (claviers), Marcello Giuliani (basse), Valentin Lietchi (batterie), Matthis Pascaud (guitare), une équipe « digne des Marvels », sourit Aurélien Pitavy, directeur artistique de l’association Charlie Free, organisatrice de l’évènement, jouera des textures, des esthétiques, pour nous faire rencontrer comme jamais Nino Rota, Ennio Morricone, Michel Magne ou Miles Davis. 

Des valeurs sûres

Dans la série des légendes, le dernier saxophoniste ayant accompagné Miles Davis sur scène, Kenny Garrett revient à Vitrolles (il y a été ovationné en 2019) avec Sounds from the Ancestors (projet couronné par un Grammy Award), où se mêlent jazz, R&B, gospel, sonorités de France, de Cuba, du Nigéria, de la Guadeloupe, pour un groove irrésistible. À ses côtés il y aura le swing de Rudy Bird (percussions, chant), Keith Brown (piano, claviers), Ronald Bruner (batterie), Jeremiah Edwards (contrebasse) et Melvis Santa (percussions, chant). La trompette d’Hermon Mehari explorera dans Asmara sa culture ancestrale, (sa famille avait fui l’Érythrée dans les années 1980), les sonorités du jazz éthiopien et les folklores des peuples de la Corne de l’Afrique avec la complicité de la contrebasse de Luca Fattorini, la batterie de Gautier Garrigue et le piano de Peter Schlamb. Enfin, une relecture de Gainsbourg conduit le tromboniste Daniel Zimmermann à réinterpréter l’œuvre de « l’homme à la tête de chou » en une liberté débridée avec son quartet composé de Julien Charlet (batterie), Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse). Un « Homme à tête de chou in Uruguay » irrévérencieux et groovy à souhait ! Une avalanche de pépites d’automne !!! 

MARYVONNE COLOMBANI

Les 3 & 4 novembre, Salle Obino, Vitrolles

Les Rendez-vous de Charlie 

04 42 79 63 60 charlie-jazz.com

Il était une femme !

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Antoinette Pépin ? Pépin-Fitzpatrick ? Qui est-ce ? La question laisse perplexes les personnes interrogées. Et pourtant, celle que l’on surnommait « Nénette » a laissé nombre de musiques qui nous sont familières ! Une centaine d’œuvres du chanteur et guitariste argentin Atahualpa Yupanqui sont cosignées par elle, en fait par « Pablo Del Cerro », pseudonyme qu’elle utilisa, les temps n’étaient guère féministes. 

Le mystère d’un nom

Intriguée par cette signature de Pablo Del Cerro, attachée à une centaine d’œuvres d’Atahualpa Yupanqui, alors qu’elle faisait des recherches autour de l’œuvre musicale de ce dernier, la chanteuse Mandy Lerouge a mené une véritable enquête durant près de trois ans, a suivi les traces de ce « Pablo » à Paris, Buenos Aires, Cerro Colorado enfin, ce village de la province de Córdoba en Argentine où est située la maison (et désormais le musée) d’Atahualpa Yupanqui, « Agua Escondida » (l’eau cachée). Pablo Del Cerro, alias Antoinette Pépin-Fitzpatrick (1908-1990), née à Saint-Pierre et Miquelon d’un père français d’une mère terre-neuvienne, fut non seulement la muse mais l’épouse d’Atahualpa Yupanqui. Musicienne, pianiste, tombée amoureuse de l’Argentine, elle rencontrera Atahualpa, l’amitié artistique qui unira aussi le couple se transcrira dans les collaborations musicales. 

Roberto Chavero, fils du chantre argentin, ému de l’intérêt passionné de Mandy Lerouge, lui a transmis une grande boîte fermée que sa mère avait laissée et qu’il n’avait jamais ouverte : « c’est pour vous, c’est votre quête » lui dit-il. Un trésor de partitions d’enregistrements, de lettres, de livres, de carnets de compositions et de confidences est ainsi légué à la chanteuse. Elle s’imprègne des ouvrages de la bibliothèque d’Atahualpa, des paysages montagneux qui servent d’écrin au village Cerro Colorado, y trouve des correspondances avec sa vie, au point de commettre le délicieux lapsus de « la Cordillère des Alpes » (Mandy Lerouge est originaire des Hautes-Alpes). 

Un spectacle enquête

Le spectacle qui découle de cette recherche et de ces rencontres nous fait plonger à notre tour dans les bonheurs de la quête, part des voix enregistrées de personnes qui ignorent qui est cette fameuse Antoinette Pépin, mais aussi de celle, émouvante, de son fils qui évoque ses parents. Les chants souvent donnés en primeur, directement issus de la fameuse boîte d’Antoinette, sont entremêlés aux bribes du récit, prennent une épaisseur nouvelle, habités d’un parfum de légende. La voix souple de Mandy Lerouge se glisse avec aisance dans les méandres des textes et des mélodies, accompagnée par le violoncelle augmenté d’Olivier Koundouno, la guitare de Diego Trosman, les percussions et la batterie de Javier Estrella. « Il ne s’agit pas de mimer la musique argentine, sourit l’interprète, je ne m’en sens pas la légitimité, et n’en vois pas non plus l’intérêt, les musiciens argentins le font bien mieux que moi, mais plutôt de donner une lecture personnelle, un hommage à une femme dont le nom a été tu comme si souvent et à sa puissance créatrice ». Les musiciens offrent des contre-points subtils aux airs, transcrivent atmosphères, esprit, variant les esthétiques avec intelligence. Les musiques populaires, leurs rythmes, la teneur des chants, de l’Argentine sont intiment liés aux reliefs, aux climats, non par une fantaisie folklorique prise dans un sens réducteur, mais en sont l’émanation profonde. Une enquête musicale passionnante au cours de laquelle Mandy Lerouge prend un essor nouveau, habitée, puissante, sensible. 

MARYVONNE COLOMBANI

Mandy Lerouge / Del Cerro a été joué le 7 octobre au Petit Duc, Aix-en-Provence

Bientôt un CD et une émission radiophonique en huit épisodes pour suivre au plus près cette enquête musicale !

Le festival de Salon-de-Provence fait tinter les orgues aixoises

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© X-D.R.

Inaugurées en grande pompe en 2015, les grandes orgues de l’auditorium Campra disposant de quelques 2000 tuyaux ont cependant vite cessé de fonctionner pour cause de panne. À peine restaurées, elles ne pouvaient rêver mieux qu’Olivier Latry et Shin Young Lee pour célébrer leur résurrection. Il faut dire que l’organiste titulaire de Notre-Dame de Paris et la concertiste sud-coréenne ont la virtuosité nécessaire pour s’attaquer à des œuvres sollicitant l’instrument sous toutes ses coutures. La 5ème Symphonie de Charles-Marie Widor et son Allegro Vivace n’ont aucun secret pour Olivier Latry : ses variations requièrent une dextérité et une technicité sans faille, mais également une succession de jeux, d’accouplements et de changements continus de nuances via la pédale d’expression qui rappellent la versatilité de l’instrument, conçu alors pour convoquer la puissance d’un orchestre. Le spectre de Bach et de l’héritage germanique est également convoqué par Shin Young Lee sur l’imposante Introduction et passacaille en ré mineur de Max Reger, qui pousse l’art du contrepoint jusque dans ses retranchements, tout en lui adjoignant des couleurs expressionnistes. De belles prouesses solistes qui se révèlent cependant moins émouvantes que les duos choisis sur le volet. Outre le très beau Concerto brandebourgeois n°2 de Bach transcrit pour quatre mains (et quatre pieds !) par Max Reger, interprété à la perfection par le couple, on (re)découvre avec bonheur, entre autres, le sublime Concerto en ré mineur de Marcello entonné avec générosité et finesse par l’hautboïste François Meyer, ou encore les Trois Mouvements de l’immense Jehan Alain sublimés par la flûte d’Emmanuel Pahud. De quoi se souvenir que l’orgue n’est pas l’instrument solitaire qu’on a souvent voulu dépeindre : la Fantaisie en Fa mineur de Krebs en atteste dès le XVIIIème siècle ! Et l’Hymne de Joseph Jongen, entonné par Olivier Latry et Éric le Sage au piano, rappelle que l’instrument peut, selon les jeux et couleurs, se jumeler y compris avec ses frères (pas si) ennemis.

SUZANNE CANESSA

Le concert a été le 28 juillet au Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence

« La Bête dans la jungle », en quête d’absolu

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La nouvelle d’Henry James, The Beast in the jungle, paru en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire et demande à une femme d’attendre avec lui, a toujours bouleversé Patric Chiha, par son rapport au temps, par la tension entre la vie réelle et la vie rêvée. Il décide d’adapter l’histoire de May et de Jon qui, pour lui, a la valeur d’un mythe. On avait vu le talent de ce réalisateur pour filmer les corps qui dansent dans son film précédent, Si c’était de l’amour, le documentaire sur la vie de la troupe de Gisèle Vienne.

Traverser les époques

Dès les premières images de La Bête dans la jungle, des danseurs, des corps se frôlent au rythme du disco. La voix de la physionomiste (Beatrice Dalle), enveloppée dans sa cape noire nous guide dans ce monde étrange. « C’est l’histoire de May et de Jon. May avait rencontré Jon croisé dix ans auparavant dans les Landes, au bal de la Sardinade. Là, il lui avait confié son secret : “depuis que je suis enfant, je sais que j’ai été choisi pour quelque chose d’exceptionnel et cette chose extraordinaire devra m’arriver tôt ou tard. Et toute ma vie va être bouleversée.” » On est en 1979. Au cœur d’une boite de nuit parisienne dont on sortira  peu : pourquoi sortir, c’est ici que tout se passe. Les corps dansent, nimbés de lumière, se touchent, flamboient. Et c’est là que May (Anaïs Demoustier,excellente),tout en couleurs, exubérance et mouvement, retrouve Jon (Tom Mercier) immobile, comme figé et hors du monde. Et ce sera ainsi chaque samedi jusqu’en 2004. Dans ce club on va traverser les époques, les élections de 1981, la mort de Klaus Nomi, l’hécatombe du sida, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre. May s’est mariée avec Pierre (Martin Vischer) mais continue à attendre avec Jon la chose qu’il guette, quelque chose de plus grand qu’eux. Elle aime que sa vie ressemble à un roman. « Il faut résister, il faut danser. »  Dans la boite de nuit, les costumes chatoyants, brillant de mille feux ont fait place à des tenues noires Le club s’est vidé à cause des morts du sida mais les rescapés continuent de danser au rythme de la techno, filmés du balcon où May et Jon poursuivent leur quête d’absolu.

La Bête dans la jungle,histoire d’amour et sorte de documentaire sur une discothèque de 1979 à 2004 confirme le talent  de Patric Chiha à filmer une atmosphère. On l’avait déjà remarqué avec Brothers of the Night ( Berlinale 2016). La Bête dans la jungle est un film envoûtant dont on n’a pas envie de sortir, attendant nous aussi, peut-être qu’une bête sorte de l’écran et bouleverse nos vies… « Vous êtes sortis, quelle drôle d’idée ? C’est ici que tout se passe. »

ANNIE GAVA

La Bête dans la jungle, de Patric Chiha
En salles le 16 août

« Polaris », trouver sa bonne étoile

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Jour2Fête

Dans la brume blanche, une voix, qui parle de solitude et de souffrance. Une silhouette. Le bruit du vent qu’on sent glacial. Une tempête de neige. Et puis des mains qui se réchauffent. Ce sont les mains d’Hayat, une navigatrice, de 1m60, en plein océan Arctique, au milieu des icebergs bleutés. À l’autre bout du monde, dans le Sud de la France, sa sœur, Leila, sur le point de donner naissance à son premier enfant, avec ses craintes et ses doutes, alors que le père a mis les voiles. Toutes deux ont eu un parcours de vie difficile : un père absent, une mère toxicomane, en prison, qui n’a jamais été une mère. Pour elles, les familles d’accueil. « Je ne me rappelle aucun moment de tendresse avec ma mère », confie Hayat. Elle souhaite très fort que sa sœur, grâce à ce bébé qui vient de naitre, puisse changer le destin de cette famille. C’est à travers des conversations téléphoniques qu’Hayat et Leila revisitent leur passé et leur relation. Et c’est en racontant, bribes par bribes, son histoire à Ainara Vera qu’Hayat nous permet de l’approcher. Elle évoque ses difficultés en tant que femme-capitaine, la nécessité d’être dure au départ pour se faire respecter, les agressions qu’elle a subies. « En tant que femme, si vous êtes ne serait-ce qu’un peu attirante, c’est vraiment super difficile. Ça consomme tellement d’énergie. » Le syndicat de marins qu’elle a contacté lui a refusé toute aide.

Voyage intérieur

« On a le droit de décider ce qu’on veut faire de notre corps ! »s’indigne-t-elle. Elle est épuisée de devoir se débrouiller toute seule. « Je ne peux apaiser ma souffrance quand la vie me maltraite. » Comment garder la tête hors de l’eau, nous suggère un plan serré, fixe, long, intense, où elle nous regarde. Peut-être en quittant le bateau, un moment, pour aller voir sa sœur et faire connaissance avec la petite Inaya, celle qui va briser ce cycle infernal pour avoir de nouvelles références. En profiter aussi pour faire le point sur sa propre existence : « Je fais pas ma vie, je m’occupe des autres ! » lance-t-elle à sa sœur cadette. Comment chasser ses démons, vaincre sa peur de ne jamais être aimée ? Comment se reconstituer après cette enfance où on n’a pas reçu cet amour de base ? « Inaya est aimée et c’est le plus important », conclue-t-elle.

Dans Polaris, ce documentaire tourné pendant deux années, Ainara Vera trace le portait de deux femmes qui, chacune à sa manière, tracent leur voie. Elle filme les gestes expérimentés de la navigatrice dont le bateau semble glisser sur la mer et frôler les icebergs, ceux, plus tâtonnants de sa sœur qui apprend pas à pas les gestes d’une mère. « Hayat est une capitaine de navire qui cherche sans relâche sa place dans le monde », commente la cinéaste qui a su trouver la bonne distance pour nous donner à voir et entendre ces deux femmes blessées par la vie, nous faire partager leur voyage intérieur afin de se reconstruire. La musique d’Amine Bouhafa accompagne superbement ce voyage glaciaire travers des paysages à la beauté âpre et austère.

ANNIE GAVA

Polaris, de Ainara Vera

En salles le 21 juin

La Nuit du verre d’eau, la révolte d’une femme

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© Sarmad Louis © Jour2Fête

Le jour se lève sur une vallée de la montagne libanaise. Une demeure bourgeoise, des vacances qui pourraient être ordinaires et paisibles. Mais, quinze ans après l’indépendance du pays, la révolution gronde, non loin de là, à Beyrouth, en cet été 1958. Trois sœurs se retrouvent dans le village familial. Nada (Rubis Ramadan), Eva (Joy Hallak), pour qui les parents cherchent un mari et l’ainée, Layla (Marilyne Naaman), qui subit le quotidien d’un mariage imposé à 17 ans. Elle est très liée à son petit garçon, Charles (Antoine Merheb Harb). Lui, du haut de ses sept ans, observe avec curiosité et inquiétude le monde qui l’entoure. La Vierge de l’église pleure et tous les villageois chrétiens se retrouvent pour prier. Les repas de famille élargie se transforment en pugilat. Les Chiites du village se sentent marginalisés, voire plus et certains s’en vont. On commence à s’armer et la nuit, on fait des rondes. L’arrivée du Docteur René (Pierre Rochefort) accompagné de sa mère, Hélène (Nathalie Baye) va bouleverser le quotidien. Layla sert de guide aux « Français » et à l’occasion d’une visite de la grotte de Saint Antoine, pendant que Charles emmène Hélène voir un ermite, elle se jette dans les bras de René, un homme très discret et taiseux.

Une tension dramatique
« C’est l’histoire d’un amour éternel et banal qui apporte chaque jour tout le bien, tout le mal … », chantent en chœur les femmes de la famille en ligne derrière un piano : une très jolie scène. Une chanson de Dalida qui fait écho au drame que vit Layla et à sa révolte. Peut être une métaphore de ce que traverse le pays. Le titre en arabe de ce premier long métrage du cinéaste libanais, Carlos Chahine, signifie « terre d’illusion ». « Pour moi, 1958 est comme une répétition générale de la guerre de 1975 qui n’est pas finie aujourd’hui…J’avais envie de dire que ce pays est une illusion depuis le début », a précisé le cinéaste, accompagné de toute son équipe, et du compositeur Antoni Tardy dont la musique a particulièrement bien souligné la tension dramatique de cette chronique familiale et historique aux décors soignés.

ANNIE GAVA

La Nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine 
En salles le 14 juin

Shakespeare inspire ici, expire là

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LA TEMPESTA texte William Shakespeare traduction, adaptation, mise en scene, scenographie, costumes, son et lumiere Alessandro Serra avec Fabio Barone, Andrea Castellano, Yincenzo Del Prete, Massimiliano Donato, Paolo Madonna, Jared Mcneill, Chiara Michelini, Maria Irene Minelli, Valerio Pietrovita, Massimiliano Poli, Marco Sgrosso, Bruno Stori assistanat lumiere Stefano Bardelli assistanat son Alessandro Saviozzi assistanat costumes Francesca Novati masques Tiziano Fario

À Avignon, le fantôme de William Shakespeare hante les murs depuis l’origine du festival. On ne compte plus les adaptations, relectures et appropriations de l’écrivain anglais tant elles sont constitutives de l’histoire de la manifestation. Cette année, deux pièces majeures du répertoire ont fait l’objet de mises en scène et le moins que l’on puisse dire est qu’elles reposent sur des conceptions antagonistes de l’œuvre shakespearienne. Pourtant La Tempête comme Richard II ont en toile de fond la question du pouvoir, de sa légitimité, de sa manipulation voire de ses dérives, intrinsèque au théâtre du maître élisabéthain. Mais quand, dans la première, l’intervention de la magie et la prédominance de la nature viennent corriger les travers revanchards et faiblesses individualistes d’un gouvernement humain en faisant triompher la sagesse, c’est le réalisme politique le plus cruel, fait d’ambitions personnelles, d’hypocrisie débridée et de traitrises éhontées , qui l’emporte dans la seconde, aux dépens de toute considération éthique. Entre Alessandro Serra et Christophe Rauck, ce sont surtout les choix de mises en scène qui contrastent, malgré une obscurité et commune, et agissent avec plus ou moins de réussite sur la dimension contemporaine de l’auteur phare du grand siècle britannique.

Fausse sobriété

Si le Sarde privilégie le dépouillement scénique et le resserrement textuel comme autant de preuves matérielles de son absorption de l’œuvre, des costumes jusqu’à la traduction italienne, il reste dans un entre-deux d’inventivité ou la fausse sobriété se conjugue à un arrière-goût burlesque suranné. Jusqu’à nous faire nous interroger sur l’attribution à Jared McNeill, seul acteur noir (épatant) de la troupe, le rôle de Caliban, personnage monstrueux esclavagisé. Outre quelques scènes visuellement éblouissantes – notamment grâce à l’éclairage en puit de lumière ou à l’immense voile noir déployé sur le plateau – qui assurent un sincère plaisir esthétique, cette Tempesta aux accents commedia dell’arte perd en portée politique et manque de modernité. Regrettable quand la plume d’un géant de la dramaturgie classique s’y prête autant.
Si Richard II, éclipsée par Richard III et Henri VI, est l’une des pièces les moins jouées du grand Will, celle-ci a toujours eu, et dès la première édition en 1947, les faveurs du Festival d’Avignon. Après Jean Vilar à la mise en scène et dans le rôle-titre, Ariane Mnouchkine ou encore Jean-Baptiste Sastre, c’est au tour de Christophe Rauck de redonner vie à ce roi à part dans l’histoire de la couronne d’Angleterre. Accédant au désir de l’acteur Micha Lescot d’incarner le monarque (1377-1399) totalement déconnecté des exigences de sa fonction.

RICHARD II texte William Shakespeare, mise en scene Christophe Rauck, traduction Jean-Michel Deprats, avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Eric Challier, Murielle Colvez, Cecile Garcia Fogel, Guillaume Leveque, Pierre-Thomas Jourdan, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard dramaturgie Lucas Samain , musique Sylvain Jacques scenographie Alain Lagarde , lumiere Olivier Oudiou video Pierre Martin , costumes Coralie Sanvoisin masques Atelier 69 , maquillages et coiffures Cecile Kretschmar

Machination envoûtante

Il ne peut y avoir de longues discussions sur le constat que la pièce est sublimée par l’acteur longiligne, vêtu de blanc dans un environnement où le noir domine, et dont la gestuelle autant que la voix troublent jusqu’à la notion de genre. La maîtrise et la complexité de son jeu est loin en revanche d’en être l’unique réussite. Car l’actuel directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, assisté du scénographe Alain Lagarde, place au centre d’un ingénieux dispositif de gradins amovibles, une machination envoûtante. Qu’il représente la Chambre des Communes ou les coulisses du pouvoir, le décor aussi sombre soit-il devient ici une tribune au grand jour des intrigants. Habité par une désinvolte négligence des enjeux qui évolue en démence capricieuse, Richard ne semble à aucun moment concerné par la nasse politique dont il est la proie. Un comportement qui va paradoxalement conférer à l’entreprise hostile d’usurpation du trône menée par son rival et cousin, Bolingbroke, futur Henri IV, une certaine légitimité. Dans une scène d’abdication aux ressorts quasi-comiques, le roi se fait bouffon dans un dernier soubresaut d’orgueil avant son assassinat comme ultime félonie. Magistral.

La Tempesta a été jouée les 17, 18, 19, 20, 22 et 23 juillet à l’Opéra du Grand Avignon.
Richard II a été créé le 20 juillet et présenté jusqu’au 26 au Gymnase du lycée Aubanel, à Avignon.

Festival Confit ! : dis moi comment tu manges…

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AU NON DU PERE - Ahmed Madani(© Ariane Catton

Peut-on imaginer un acte aussi universel, et pourtant si culturellement marqué que celui de manger ? Celui de cuisinier, peut-être. Temps fort de la saison de la Scène nationale de Cavaillon depuis trois ans, le Festival Confit ! propose, du 20 au 25 mai, de réfléchir aux enjeux culturels et politiques de la nourriture. 

Qui dit pratique culturelle dit héritage, qu’il soit traditionnel ou familial. Le festival dédie donc une grande partie de sa programmation à cette thématique avec différentes performances cuisinées. En ouverture, le 20 mai, Histoires de manger : apéro zakouski de Tatiana Spivakova et Maly Diallo plante le décor et surtout les enjeux présents en filigrane tout au long du festival : transmission, dominations sociales, et récits de vie liés à l’alimentation. 

Avec Freekeh, Hiba Najem invite le public dans les campagnes du Sud du Liban pour un rituel culinaire et funéraire (du 23 au 24). Anissa Aou évoque le lien familial, celui au père absent plus précisément, à travers la pratique de la pâtisserie. Dans, Au non du père d’Ahmed Madani (présent avec elle sur scène), elle retrace son voyage sur les traces de ce paternel qui ne l’a jamais reconnue, le tout en préparant un dessert (les 22 et 23). Enfin, avec un arpentage collectif de Mangeuses de Lauren Malka, le festival propose d’analyser la manière dont la culture occidentale dicte la relation des femmes à l’alimentation (le 24).  

Questionner les produits

Interroger les modes d’alimentation nécessite également de réfléchir aux modes de production des aliments que nous consommons, aux impérialismes qui ont permis de faire venir les tomates dans les assiettes européennes, à l’exploitation esclavagiste puis post-coloniale qui nous permet de boire du café. Ce sont ces dominations qu’analysent Eva Doumbia et sa compagnie La Part du Pauvre/Nana Triban dans Autophagies, une performance documentaire qui allie théâtre, musique, danse, vidéo, et bien sûr cuisine (20 et 21). Le 22, le cuisinier et comédien Alexandre Bella Ola, qui participe aussi à Autophagies, s’empare en solo de la question coloniale avec la conférence cuisinée Le voyage des ingrédients, un regard noir.

La question de la production renvoie aussi évidemment à ses enjeux environnementaux. Une problématique explorée par Sien Vanmaele – remplacée sur la durée du festival par la comédienne Annelotte van Aarst – dans son Repas de Mer, une sorte de quête gastronomique dans laquelle elle imagine différentes recettes à partir d’algues et autres produits marins, inspirées par ses rencontres avec des producteur·ice·s en milieu salin (en néerlandais surtitré, du 23 au 25). 

CHLOÉ MACAIRE

Festival Confit ! 
Du 20 au 25 mai 
La Garance, scène nationale de Cavaillon 

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Echo du monde

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Bryan’s Magic Tears © Thomas Florin

L’affiche est encore une fois bigarrée. Trois bouquetins bleus gravissent un mont d’où elles observent un ciel rose au soleil couchant. Elle est signée Camille Potte, illustratrice marseillaise tout juste auréolée du Fauve de la révélation au dernier Festival d’Angoulême. Certainement pas un hasard que The Echo l’ait une nouvelle fois choisie pour signer l’affiche. Le festival, toujours porté par l’agence Vedettes, Limitrophe Production et La Responsabilité des rêves, aime s’appuyer sur les jeunes talents, les inventifs, les nouvelles écritures. Autant de promesses que l’on va retrouver sur scène du 20 au 24 mai à Marseille, à L’Espace Julien, Makéda, Théâtre de l’Œuvre et à la Mesón.

Un festival à cinq temps

Cinq soirées sont donc au menu du rendez-vous. La première s’ouvre au Théâtre de l’Œuvre, et donne bien le ton de ce festival, avec la jeune londonienne Alpha Mamaid. De la pop-psyché, que l’on dit d’avant-garde ; on croit entendre un disque des Beatles rayé et écouté sur une sono qui déconne : autant dire que c’est génial, et qu’il faut vraiment aller la découvrir sur scène. 

Le concert terminé, il ne faudra pas perdre de temps pour aller voir la suite à quelques centaines de mètres de-là. L’Espace Julien accueille un des groupes les plus attendus de cette édition avec Osees : figure de proue du garage lo-fi né au tournant années 2010, il s’est appelé Thee Oh Sees, Oh Sees, OCS… mais n’a jamais lâché l’affaire ni son garage psyché exalté. Il est d’ailleurs l’un des derniers représentants encore actif de cette scène ouest américaine qu’avait notamment chapotée le label In The Red. 

Le lendemain, on ouvre encore par une curiosité, et toujours au Théâtre de l’Œuvre. On va découvrir le Belge Milan W. et sa pop expérimentale : du beurre pour les oreilles, à mi-chemin entre nappes électro et envolées guitares. La suite est au Makeda, avec un double duo : les Belges de Reymour et les Canadiens de Bibi Club

Le jeudi, deux salles deux ambiances. Une soirée très pop au Makeda avec E-Prime, Eat-Girls, Attention le tapis prend feu, et une soirée 100% Kinshasa à l’Espace Julien. Les excellents Fulu Mikizi, le collectif afro-punk-futuriste, et les non moins vibrants KOKOKO !, pionniers de cette incroyable scène congolaise. Le même schéma a été choisi pour la soirée du vendredi : du rock à l’Espace Julien avec The Limiñanas et David Shaw. Ambiance psyché et folk au Makeda avec Mark William Lewis et Dan A

Paris et c’est fini 

Pour son dernier soir, The Echo accueille deux poids lourds de la nouvelle scène rock parisienne. D’abord Rendez-Vous, petite bombe post-punk-new-wave apparue à Paris telle une comète, qui a rapidement séduit partout dans le monde, en Europe, aux États-Unis et même en Chine où le groupe a réalisé une tournée. Et enfin Bryan’s Magic Tears, dont beaucoup – en tous cas l’auteur de ces lignes – espéraient la venue dès la première édition en 2024. Ce sera finalement cette année, avec en bonus un excellent nouvel album sorti il y a quelques mois. On y retrouve le sel de la musique de ce groupe : du garage shoegaze, dans la lignée de la scène anglaise des années 1980, auquel on ajoute désormais des boucles électroniques réjouissantes. Et, ouf, l’honneur est sauf, le batteur est marseillais. 

NICOLAS SANTUCCI

The Echo
Du 20 au 24 mai
Divers lieux, Marseille

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Bleue à l’horizon

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Bivouac, Générik Vapeur. Confluent d'arts 2024 © Dominique Beyly

En février, mai et octobre, sur la Canebière et sur le Vieux-Port, il y a Au bout, la mer ! : une manifestation portée par la mairie des 1er et 7earrondissements dans l’espace public, trois rendez-vous annuels qui ont chacun une thématique : le cirque, la mer, les musiques.

Bleue c’est la dominante mer, orchestrée par l’association Karwan, dont la dimension festive s’accompagne d’une mise en perspective de l’avenir de notre planète depuis le prisme de la mer. Planète qu’il serait plus juste d’appeler, comme le rappelle Anne Guiot, directrice de Karwan, planète mer plutôt que planète terre ! 

Alain Damasio et Générik Vapeur 

Les présences de deux invités illustres vont marquer cette cinquième édition de Bleue : celles de l’auteur de science-fiction Alain Damasio, invité d’honneur, et celle de la compagnie historique et marseillaise d’art de rue Générik Vapeur.

En ouverture de Bleue, Alain Damasio lira sa nouvelle Immeuble 0, qui figure dans le livre L’ADN fantôme – quand l’invisible laisse des traces (Ed. Les liens qui libèrent, avril 2025) de Benjamin Allegrini naturaliste, spécialiste des oiseaux, et cofondateur de l’École des vivants, basée dans les Hautes-Alpes. Une lecture accompagnée en musique par le violoncelliste Gaspar Claus, suivie d’une discussion-échange entre Alain Damasio et Benjamin Allegrini au sujet de l’ADN environnemental dont il est question dans le livre (Foyer de l’Opéra de Marseille, de 9h30 à 11h30, réservation fortement recommandée, déconseillé au jeune public).

Quant à Générik Vapeur, ce sera, près de 40 ans après sa création en 1988 sur la Canebière, le spectacle Bivouac. Un déboulé d’hommes et de femmes peint·e·s en bleu, de bidons, d’un chien de métal incandescent, du haut de la Canebière jusqu’au Vieux-Port, sur fond de pyrotechnies et au son de guitares saturées jouées en live par un trio survolté depuis un camion-taureau ! (Départ 12h30 du Kiosque à musique des Réformés).  

Transhumanité et frontières

On retrouvera Alain Damasio, ou plutôt l’un de ses textes Petit Homme, une traversée de l’humanité à la transhumanité (qui se sert de la technologie pour accroître les capacités physiques, mentales ou reproductives) pour un spectacle « en 45 minutes, 7 nœuds et slackline d’une centaine de mètres », interprété par le funambule Théo Sanson, et la comédienne Marie Daguerre (16h30 – quai de la Fraternité).

Autre spectacle proposé, Une jungle, chorégraphie de la compagnie Chao.s, inspiré d’écrits de Patrick Chamoiseau à propos des migrations humaines. Un couple de danseur, sur un fond musical et sonore de lamento classique et de roulis des vagues, évoluant dans les strictes limites d’un tapis persan, se cognant aux frontières tels des oiseaux sur une vitre invisible (11h et 14h30 – place du Général de Gaulle)

Digue du large et Méditerranée

Parmi les rencontres, le Musée d’Histoire accueillera dans son auditorium La digue du large, histoire et perspectives (dimanche 18 mai à 11h). Une table-ronde en compagnie de Thierry Durousseau, historien de l’architecture, et de Pierre-Yves Graf, Benjamin Clasen et Stéphane Coppey, membres du collectif Rendez la digue. L’occasion de redécouvrir la riche histoire de cet ouvrage patrimonial, interdit d’accès depuis les attentats du 11-Septembre, et de s’informer sur les démarches entreprises par le collectif qui revendique un accès simple et gratuit à la digue pour tous·tes.

À La Fabulerie, une autre rencontre évoquera la possibilité de donner un statut juridique à la mer Méditerranée pour mieux la protéger. Organisée par L’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et Opera Mundi, et en présence de SOS Méditerranée, avec Victor David, chercheur et juriste qui travaille sur cette question. L’occasion également de visiter l’exposition Regnum Marine que La Fabulerie accueille au même moment, conçue par l’artiste et médecin biologiste Lara Tabet : un atlas graphique d’espèces planctoniques, évoquant des hiéroglyphes. 

Et aussi

De nombreuses autres propositions vont animer cette journée Bleue : parmi celles-ci, organisées par Marseille capitale de la mer, des balades en bateau à voile (3 départs : 10h00 – 12h30 – 15h30).

Un atelier de danse participatif avec le Ballet national de Marseille autour d’un extrait de Room With a View, le célèbre spectacle de Rone et (La) Horde (15h30 à 16h30, parvis de l’Opéra)

Et pour les gourmand·e·s curieux·ses, l’Observatoire des Sciences de l’Univers (OSU) Institut Pytheas proposera une découverte, en compagnie de chercheur·euse·s, d’espèces méconnues de poissons sur les étals de Noailles et du Vieux-Port, suivie d’une dégustation (payante) de la Bouillabaisse Turfu du chef Christian Qi (de 10h à 13h en continu, bas de la Canebière).

MARC VOIRY

Au bout la mer ! Bleue
18 mai
Canebière, Vieux-Port et alentours, Marseille

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Arts Éphémères : suivre ou ne pas suivre ?

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Les Cerbères d’Elias Kurdy © Dan Warzy

Aux Arts Éphémères, à chaque année son thème. Et pour 2025, il a été choisi « Bifurquer ». En ces périodes troubles et guerrières, il a paru pertinent aux deux commissaires, Isabelle Bourgeois et Martine Robin, de suggérer des changements d’orientation et de choix. Ne s’agit-il pas aujourd’hui de ralentir, de résister à un mouvement de profit, d’accélération et de consommation ? Ne doit-on pas réfléchir aux façons de protéger la planète, de l’habiter plus respectueusement ?

Les 28 artistes et étudiants ont travaillé dans un souci d’économie de matières nobles, utilisant souvent des matériaux de récupération : bois, tissus, terre, paille. Ainsi Benjamin Bloch qui se dit artiste-maçon travaille avec différentes sortes de terre et leur érosion pour en faire des « morceaux de rêves », tandis qu’Élie Buisson relie des cagettes récupérées dans les centres commerciaux avec des tissus usagés pour confectionner des structures transformables. Quant à Valérie Edern, elle met en valeur les branches et les fibres des palmiers marocains avec une sculpture végétale en forme de chèvre nourricière.

Lenteur et silence inspirent la sculpture blanche d’Adrien Menu : un homme debout, la tête dans ses mains, s’isole et réfléchit. Par ailleurs, la légèreté inspire les toiles peintes de Diego Guglieri Don Vito qui flottent dans le mistral, comme les nuages de Mathis Berchery sortent de leurs cadres. Elias Kurdy mélange l’évocation de la mythologie et des techniques modernes avec ses Cerbères, gardiens de l’enfer. Leurs têtes ont été remplacées par des corolles blanches comme pour inviter à la paix et au bien-être.

© Dan Warzy

Organiser le cadre de vie

Le duo Léna Durr & Alexandre Telliez-Moreni photographie les territoires transformés par l’homme et ont suivi le projet de l’autoroute A69 qui pourrait finalement être abandonné. Ils soulignent la nécessité de s’ancrer dans la mémoire des lieux plutôt que de les détruire et de « rejeter le récit dominant de croissance infinie » pour des conditions de vie plus harmonieuses. Se donner le temps d’arpenter la campagne, les sentiers, les forêts, réfléchir aux rythmes de nos vies, voilà une attitude chère à la plupart de ces artistes qui explorent notre monde. 

Conviés, les Ateliers publics pour adultes ont proposé un accrochage de flèches colorées qui provoquent l’indécision, perturbent et détournent les trajets avec humour. Invités à « bifurquer », les promeneurs s’amusent et tournent autour des arbres… Des médiateurs seront là pour les adultes et les enfants durant l’exposition pour inviter aux bifurcations. Allez-y !

CHRIS BOURGUE

L’exposition se poursuit jusqu’au 22 mai, tous les jours de 9h à 18h45 – entrée libre
Parc Maison Blanche-Charles Aznavour. 

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How much we carry ? 

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How much we carry ?, Cie Cirque Immersif © Edouard Barra

La question du porté, du déséquilibre, de la prise de risque fait partie du cirque dans son essence-même. En investissant l’espace public avec un agrès de son invention, la perche acrobatique, le binôme franco-brésilien Cirque Immersif surgit de manière impromptue dans des lieux d’usage quotidien – une cour de récréation, un quartier, un flux de passants… 

Les images créées de manière éphémère résonnent singulièrement, évoquant tant la charge physique et mentale que la prise de soin, et appellent à la rencontre. À partir de 17 h dans le quartier de La Visitation (Marseille), la compagnie présente une étape de création de son spectacle prévu pour 2026.

JULIE BORDENAVE

17 mai 
La Visitation, Marseille 

Okilélé 

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Okilélé © Nicolas Guillemot

Avec ses poussins masqués et ses vertigineuses questions existentielles, l’auteur et illustrateur Claude Ponti n’en finit pas de séduire des générations d’enfants. Le Collectif Quatre Ailess’attelle à un classique de la littérature jeunesse, publié chez l’Ecole des loisirs. 

Manipulation et théâtre d’objets permettent d’aborder frontalement, avec malice et poésie, la thématique de l’exclusion. Déjouant l’adversité, le jeune Okilélé fait fi des injonctions – ce pernicieux « oh qu’il est laid ! » qui le berce depuis l’enfance – pour arpenter le monde et se forger ses propres valeurs.

JULIE BORDENAVE 

17 mai à 10h30 et 17h
Le Pôle, Le Revest-les-Eaux 

Le grand défilé 

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Le Grand Défilé © X-DR

Habituée des propositions théâtrales inattendues en espace atypique – cour d’école, terrain de sports, lisière de forêt… –, Edith Amsellem aborde la thématique du vêtement avec sa nouvelle création. À travers les corps fièrement exposés sur le podium, son Grand Défilé est l’occasion de questionner les stéréotypes de genre, de détricoter les attendus et de redonner une place à la féminité et sa représentation dans l’espace public. 

À l’issue d’un atelier au Citron Jaune, un groupe de dix jeunes filles non-professionnelles se mêle à l’expérience. La présentation de cette étape de travail sera suivie d’un apéritif.

JULIE BORDENAVE 

16 mai
Citron Jaune, Port-Saint-Louis-du-Rhône 

Tournée en Amour : le Québec chez vos libraires

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Rodolphe Christin, Vincent Brault, Jean-Christophe Folly, Isabelle Grégoire © X-DR

Depuis le 12 mai et jusqu’à la fin du mois, les Libraires du Sud s’associent à Québec Édition pour proposer un événement rare : trois semaines de rencontres littéraires entre le Québec et la région Sud. Ce sont douze maisons d’édition et d’auteurs·ices québécois·es qui vont parcourir le territoire, accueillis dans 19 librairies partenaires à Marseille, Nice, Avignon, Aubagne, Carpentras, Gap, Château-Arnoux, Le Pradet et bien d’autres villes encore.

Ce grand voyage éditorial, joliment intitulé Tournées en Amour, entend célébrer la vitalité de la scène littéraire québécoise contemporaine, dans toute sa diversité et sa richesse. Romans, essais, poésie, bande dessinée, jeunesse, sciences humaines : chaque maison invitée porte une voix singulière, curieuse du monde, résolument tournée vers l’échange et la transmission.

Parmi les éditeurs présents, on retrouve notamment Écosociété, Québec Amérique, Mémoire d’encrier, La Peuplade, Pow Pow, Les 400 coups ou encore L’Oie de Cravan. Et dans leurs catalogues, les voix d’écrivains d’aujourd’hui : Isabelle Grégoire, Sophie Bédard, Rodolphe Christin, Jean-Christophe Folly, Jonas Fortier, Stéphane Picher, Marianne Chbat, Alexandra Boilard-Lefebvre…

Des rencontres 

Chaque soirée est une invitation à rencontrer une œuvre, une pensée, un territoire, et des personnalités singulières, passionnées, souvent engagées. Le 13 mai à la librairie Maupetit (Marseille), Isabelle Grégoire présentait Vert comme l’enfer (Québec Amérique), un roman choral entre Amazonie et Canada. Le lendemain, même lieu, le sociologue Rodolphe Christin questionnera notre rapport au tourisme et au monde avec Peut-on voyager encore ? (Écosociété).

Le 15 mai, trois lieux, trois auteurs. C’est le comédien et auteur franco-togolais, Jean-Christophe Folly qui viendra parler de son Benoît Blues (Mémoire d’encrier), une magnifique histoire d’amitié, à la Librairie l’Attrape-Mots à Marseille – il sera le 16 mai à Aubagne, librairie Les Furtifs. Marianne Chbat nous attendra, elle aussi à Marseille, chez Pantagruel, pour échanger autour de Famille Queers (Éditions du remue-ménage). À Avignon, Vincent Brault viendra faire découvrir un roman sensuel et déroutant, Le fantôme de Suzuko (Héliotrope), à La Comédie Humaine à Avignon.

Avec cette Tournée en Amour, les librairies deviennent des lieux de partage, d’altérité, un pont humain entre deux rives francophones Elles permettent aux mots de circuler, aux idées de se frotter et de découvrir ou de mieux connaître cette littérature québécoise, singulière, libre et vivante.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Tournée en Amour
Jusqu’au 31 mai
Divers lieux, Marseille et Région Sud  

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L’appel du rock

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Il ne faut parfois pas aller bien loin pour trouver le nom d’un événement : La Plaine du Rock. Tout est résumé en quatre mots. L’article est terminé. Ou presque. Disons quand même que le rendez-vous est gratuit, qu’il réunit 16 groupes de la « scène souterraine » marseillaise, et qu’ils représenteront toutes les chapelles du genre (punk, cold wave, folk, metal…). On y verra les vétérans de Bird in Shell, Piedebiche, Peritel… et des jeunes pépites avec La Flemme ou Catchy Peril. 

Si l’organisation garde les mêmes ingrédients, elle se permet quelques nouveautés. Un before du festival se tiendra dès 16 mai avec un « parcours itinérant entre musique et cinéma dans plusieurs de Marseille », où l’on verra notamment le premier volet de l’excellente « trilogie marseillaise » signée Benoît Sabatier et Marcia Romano. 

NICOLAS SANTUCCI 

La Plaine du Rock
18 mai
Place Jean-Jaurès

Du spectacle sur les rails 

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SOAF II. © Michel Wiart

Le Train Bleu investit le territoire à travers le regard d’artistes venus d’ici et d’ailleurs. Sur quatre jours, répartis en deux week-ends, c’est l’occasion de virevolter entre spectacles vivants, danse, musique, œuvres plastiques, et même des activités sportives. Proposée par le Théâtre des Salins dans sept lieux de culture, cette 9e édition emmène son public d’un lieu à l’autre, à pied, en bateau et même à vélo, relayant une programmation pour tous les goûts.  

De gare en gare, les spectateurs sont invités à une déambulation artistique le long de la côte bleue. Un parcours par jour est proposé, les 17, 18, 24 et 25 mai, avec à chaque fois un panaché de propositions éclectiques élaborées avec les opérateurs culturels partenaires : le Sémaphore (Port-de-Bouc), le Cadran (Ensuès-la-Redonne), le PIC Télémaque, la mairie de Vitrolles, Scènes & Cinés, et la mairie des 6e et 8e arrondissements de Marseille.  

17 mai

Pour le premier parcours la compagnie Furinkaï propose à Port-de-Bouc son spectacle MIZU — « eau » en japonais – pour un moment de poésie autour de l’urgence climatique, incarnées par une marionnette de glace – confectionnée par Elise Vigneron bien sûr. 

À vélo ou en bateau, le public atteindra ensuite Les Salins pour un voyage au cœur théâtre didactique, joué en moyen français par la compagnie En devenir 2, qui présente Quelques quintessences, cinq leçons et demie de pantagruélisme : de liberté d’esprit, d’un art de vivre dans la sagesse et la bonne humeur, inspiré de l’œuvre de Rabelais.

18 mai 

Le 18 mai, rendez-vous est donné au parc du Griffon à Vitrolles pour une performance de danse urbaine de la compagnie Oxyput et son spectacle intitulé SOAF II. Ensuite, un choix s’impose entre la pièce Mon premier mari était scaphandrier au Pic Télémaque, une co- médie hilarante mise en scène par Renaud Marie-Leblanc [lire notre retour ici], et une balade dans les calanques guidée par l’animateur nature Philippe Gregori, qui raconte l’histoire du parc par la faune et la flore du littoral.

24 mai

Au bord de l’étang de l’Olivier, à Istres, la compagnie Ayaghma, propose Un Grand Récit (premiers pas), une invitation dansée à célébrer la vie, pensée par le chorégraphe Nacim Battou. Suivie d’unesoirée chaleureuse avec Le Banquet des Merveilles. Sylvain Groud, metteur en scène, écrit une pièce chorégraphique qui donne une parole à cette partie de nous qui n’attend que d’être dévoilée au grand jour.

25 mai

Dernier parcours et peut-être le plus sportif : une sortie en kayak dans les calanques à Carry-le-Rouet – ceux qui n’ont pas le pied marin pourront profiter d’une balade à pied – après quoi un concert gipsy-latino et variété français est donné par le duo La Touche Manouch’ au Solarium de la Redonne.

LILLI BERTON FOUCHET

Le Train Bleu
17, 18, 24 et 25 mai
Divers lieux, entre Marseille et Port-de-Bouc 

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