jeudi 3 juillet 2025
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Histoires de cordes 

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Le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron joue du paradoxe en baptisant « Nuit du piano » une soirée où brille un quatuor, pas n’importe lequel, sans doute l’un des meilleurs au monde, le Quatuor Modigliani. Deux pianistes sont tour à tour à l’honneur, Rémi Geniet et Jean-Frédéric Neuburger. La soirée conçue en deux temps s’attachait d’abord aux Valses nobles et sentimentales de Ravel, sous les doigts de Rémi Geniet dont les attaques franches et la nervosité du style se glissent avec aisance dans la partition dont le titre est un hommage aux deux volumes de valses de Schubert. Si le terme de « valse » a désorienté le public à la création tant les dissonances et les accents de ces pièces leur donnaient une apparence « aventureuse ». Pourtant, en exergue de la partition pour piano on peut lire la citation d’Henri de Régnier « le plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile »… Entre le côté percussif de certaines phrases et les nuances qui se coulent dans le velouté du Fazioli, le pianiste a une manière bien à lui d’habiter le silence tandis que les dernières notes appréhendent l’infime et se perdent dans la cymbalisation des cigales. Rejoint par le Quatuor Modigliani, Rémi Geniet s’attachait à une pièce historique du répertoire français, le Quintette pour piano et cordes en fa mineur de César Franck. Les accents passionnés de l’œuvre étaient rendus par un tempo sans faille. Le ton dramatique de la première partie, Molto moderato quasi lento, prenait un tour romantique soutenu par la virtuosité des cordes, violon aérien d’Amaury Coeytaux, celui subtilement incarné de Loïc Rio, alto profond de Laurent Marfaing, violoncelle inspiré de François Kieffer. La sublime aria du deuxième mouvement, Lento, con molto sentimento, est d’une intensité prenante, tissés dans ses harmonies complexes. Enfin, le troisième mouvement, Allegro non troppo, ma non fuoco, offre des unissons de rêve, mâtinant son lyrisme d’un sentiment d’urgence où s’emporte l’âme. 

Complicité de longue date

Après l’entracte, c’est le Quatuor Modigliani qui débutait, écho à la première partie en reprenant une œuvre de Ravel, le Quatuor à cordes en fa majeur. On est subjugués par l’art infini des nuances, la virtuosité inventive des pizzicati, la fougue du scherzo, la musicalité du premier violon, le Stradivarius « Prince Léopold » de 1715, la poésie fiévreuse des phrasés qui équilibre les couleurs et réenchantent le monde. Comme en clin d’œil, puisque le quatuor de Ravel est dédié à Gabriel Fauré qui était au moment de son écriture professeur de composition de l’auteur du Boléro, les quatre instrumentistes retrouvaient le pianiste Jean-Frédéric Neuburger, complice depuis plus de vingt ans pour une interprétation magistrale du Quintette pour piano et cordes n° 2 en ut mineur opus 115 de Fauré. La beauté d’une journée d’été se voit condensée dans cette pièce qui fut utilisée au cinéma dans le film de Bertrand Tavernier, Un dimanche à la campagne. Fluidité, frémissements, paysages rêvés, été impressionniste où les strates de lumière vibrent avec une éloquente élégance… L’osmose entre les musiciens fait le reste. 

En bis, le Scherzo du Quintette pour piano en la majeur de Dvořák apportait le tourbillon de sa danse. Un rêve éveillé !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 29 juillet, Parc de Florans, La Roque d’Anthéron

Quichotte : un joyeux bazar et une réflexion profonde 

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Quichotte © XDR

Artiste invité pour plusieurs années de « permanence artistique » par le Festival, Gwenaêl Morin a pour ambition de Démonter les remparts pour finir le pont ! C’est à dire, entre autres,  de s’attaquer au répertoire pour tisser des liens avec le présent. Quoi de mieux, la langue invitée étant cette année l’espagnol après l’anglais l’an passé, que de s’attaquer au premier roman picaresque ?

Don Quichotte de la Manche est un hidalgo qui, influencé par les romans de chevalerie dont il s’est nourri, rêve de « pratiquer ce qu’il a lu dans les livres » pour changer le monde et trouver sa Dulcinée. Le roman est dense, le metteur en scène Gwenaël Morin décide donc d’y entrer « par effraction », non en lui restant fidèle, mais en tentant d’en extraire l’idéalisme et la philosophie du personnage éponyme. 

De l’imagination 

Avec Quichotte, Gwenaël Morin revient au théâtre dans ce qu’il a de plus artisanal : Don Quichotte est affublé d’un bouclier et d’un casque en carton, la lance est composée de morceaux de bois maintenus par du gros scotch. Peu de décor, une toile blanche tendue entre les arbres, un synthétiseur reposant sur une souche. Les personnages s’affrontent derrière les arbres du jardin, le public joue les moulins à vents en levant les bras. Il faut s’imaginer, comme dans l’enfance ou le rêve, les réalités que traduisent les mots de Don Quichotte. D’ailleurs, c’est à travers ses yeux que le spectacle se vit, comme dans un univers parallèle. Les acteurs donnent le ton. Jeanne Balibar qui incarne un Don Quichotte émouvant et halluciné, Thierry Dupont, Sancho Panza protecteur et aimant, et Marie-Noëlle, narratrice ironique, forment un trio décalé mais harmonieux. Ils sont accompagnés par Léo Martin qui les assiste, muni du texte.

Et de la réflexion

Pour que le public comprenne la manière dont se fabrique un spectacle, Gwenaël Morin est convaincu qu’il doit l’élaborer avec lui. Voilà que la première partie de Quichotte a des allures de répétition : il s’ouvre sur la lecture de l’introduction du roman de Cervantès par Marie-Noëlle. Elle finit par abandonner ses textes et ponctue la pièce de remarques et de reformulations sur l’œuvre, autant de parenthèses métatextuelles nécessaires à la clarté de l’intrigue. 

Une entreprise au long cours, qui s’enrichira jusqu’au terme du Festival -la première représentation manquait parfois de dynamisme : mettre la vision fantasmée du monde de Don Quichotte à l’épreuve du plateau théâtral et voir ce qui advient, c’est ce que propose Gwenaël Morin. Moqué par tous, Don Quichotte préfère se réfugier dans les promesses d’héroïsme des romans et s’y brûle les ailes. 

Une séquence symbolique où les livres de sa bibliothèque sont jetés un à un par tous les personnages en fond de scène interpelle : le danger se trouve-t-il dans les livres ou dans l’idéologie qu’on croit en tirer ? Que peut encore la littérature face à la violence du monde ? 

CONSTANCE STREBELLE

Quichotte
Jusqu’au 20 juillet, 22h, Jardin de la rue de Mons
Maison Jean Vilar, Avignon

AVIGNON OFF : Rêver peut-être

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Rêveries © Yann Gaillot

Juliet O’Brien a fouillé dans ses journaux intimes, et dans les Rêveries perdues de ses personnages. Ils sont quatre sur scène, flanqués de quatre porte-manteaux couverts de vêtements et d’accessoires, partenaires vivants pour traverser les époques, scruter les cœurs, plonger dans les pensées de personnages très attachants dans leurs excès, leurs heurts et malheurs. La vie ne fait de cadeau à personne, reste seulement à l’affronter comme on peut, sans pleurnicheries ni optimisme béat. Un petit air de musique, un pantalon dont on lâche l’ourlet, un képi ou un calot, un tablier, suffisent à situer l’époque, à camper un personnage dont s’empare chaque comédien avec une agilité qui favorise notre sourire, capte notre attention.

Chacune et chacun feint d’oublier de rêver, se réfugie dans un travail acharné, tente à son petit niveau, de grimper l’échelle sociale, se marie comme on signe un contrat illusoire, en fermant les yeux. 

Rêveries ce sont des coups de chapeau lancés à chaque personnage, homme ou femme, jeunes ou vieux, fiers de leur vie, celle dont ils n’ont jamais rêvée mais qu’ils ont traversée, lèvres gourmandes, larmes contenues, cœur gonflé. Les comédiens insufflent une humanité revigorante à des dialogues légers en apparence, à des non-dits beaucoup plus lourds. Ils virevoltent leurs sentiments, dansent sur leurs espoirs, se divertissent de leurs souvenirs. Ils traversent la vie comme on esquisse un pas de danse. La mise en scène fluide de l’autrice savoure toutes les circonvolutions du texte.

Rêveries met du baume sur nos petites tristesses. Ces gens-là peuvent se vanter d’avoir vécu de tout leur corps et de tout leur crâne. Sans artifice, sans techniques anesthésiantes. Eux, c’est sûr, n’ont jamais eu besoin d’Intelligence Artificielle.

JEAN-LOUIS  CHÂLES

Rêveries 

Jusqu’au 21 juillet à 19h45, relâche le lundi 
Théâtre Présence Pasteur, Avignon

Samson ressuscité à Aix

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Samson_Festival d'Aix-en-Provence 2024_© Monika Rittershaus_1

Le chef Raphaël Pichon et le metteur en scène Claus Guth se sont emparés de Samson, opéra perdu de Jean-Philippe Rameau, et le public de la première, au Théâtre de l’Archevêché, ne s’y est pas trompé en réservant à cette production hors du commun un accueil triomphal. 

Rappelons les faits. Voltaire et Rameau envisagent de collaborer à une rénovation du genre lyrique. Ce sera Samson, le héros biblique. Las ! La censure s’en mêle, Voltaire traîne une réputation d’impiété. Le projet capote par deux fois. Rameau gardera les meilleurs morceaux de la partition pour les recycler dans des ouvrages ultérieurs… 

Il ne s’agit pas de ressusciter une œuvre perdue, ni de recomposer une chimère musicale. L’intérêt du travail de Raphaël Pichon, le chef et Claus Guth, le metteur en scène, s’attache davantage à en restituer l’esprit que la lettre. Ce qui est donné à voir et à entendre est un spectacle total aux images d’une beauté saisissante, d’une profondeur dont les échos bibliques viennent percuter une actualité brûlante. 

La scénographie d’Étienne Pluss installe le drame dans les ruines d’une demeure que l’on devine cossue. Plafonds effondrés, murs éventrés, sol jonché de gravats… livrées aux promoteurs qui viennent établir un état des lieux. C’est le présent d’un drame qu’une mère (l’actrice Andréa Ferréol) vient évoquer. Comment être la mère d’un terroriste ? Samson, le massacreur des Philistins, est un kamikaze fou de Dieu. « Quel est son nom, je ne peux prononcer son nom ! », hurle-t-elle. 

Siècles en résonance

Le formidable pari est réussi au-delà de toute attente. La conjonction entre la musique et le drame se fait sans solution de continuité. L’esprit des créateurs de notre siècle fait naître une œuvre venue d’un autre siècle, plus dense plus ramassée, plus intensément dramatique, plus travaillée de préoccupations qui sont les nôtres. Ce Rameau nous est d’une proximité étonnante. D’une vérité que Claus Guth veille toujours à ce qu’elle ne colle pas littéralement à l’actualité. Samson, c’est la force fanatique au service de la mort… Comment ne pas  songer aujourd’hui au 7 octobre et à Gaza ? 

La figure herculéenne de Samson est incarnée par l’imposant baryton Jarrett Ott. Entre la vocation prophétique du libérateur et ses appétits sexuels, il est déchiré entre la figure fragile de Mitta, excellente et touchante Léa Desandre et la force de Dalila, troublante Jacquelyn Stucker. Il nous offre une figure dont toutes les ambiguïtés dramatiques  (est-il un monstre sanguinaire, une voix divine ?) s’incarnent en ambiguïté vocale, qui joue entre un vérisme âpre et un arioso proprement baroque. Tout contribue à en faire un personnage trouble, aux élans mortifères, une figure de la Passion christique, tombant avec lenteur du ciel vers le gouffre , accompagné par Julie Roset, ange annonciateur aux accents séraphiques, et Nahuel di Pierro basse brillante et ductile, figure maléfique du Philistin Achisch. 

Raphaël Pichon remet le chœur, formidable ensemble Pygmalion, au centre de la tragédie, peuple hébreu de blanc vêtu, Philistins jouisseurs en noir. Un cliché ? le vrai protagoniste c’est la musique de Rameau. Qu’on la reconnaisse dans tel ou tel numéro ou qu’on la redécouvre, elle est le ciment du spectacle. Raphaël Pichon en livre une lecture qui ose les collisions brutales. Elégies de la déploration de Dalila et déchaînements électroacoustiques sont liés par une profonde acuité du propos. Ici, l’intelligence sert d’un bout à l’autre un spectacle riche d’intentions, d’une beauté plastique à couper le souffle et d’une inspiration musicale sans égale. Un grand moment de ce Festival 2024. 

PATRICK DI MARIA

Samson
Les 6,9,12, 15 et 18 juillet
Cour de l’Archevêché, Aix-en-Provence

Le temps et le sel

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Sous les racines, un chœur de femmes dans un bain de sel

Il y a des propositions que l’on aimerait par dessus tout aimer, en ce contexte politique où près d’un tiers des français voulaient être gouvernés par un parti prônant la préférence nationale, la discrimination active des binationaux et refusant l’égalité salariale homme-femme. Mais Tamara Cubas, intimidée sans doute par l’importance de son propos, la force de ces femmes qui portent leur combat sur scène, a produit un spectacle de moins d’une heure trente qui semble long au bout de 20 minutes. L’artiste, qui a l’habitude aussi de créer des installations et des œuvres plastiques qui ne s’inscrivent pas dans la problématique d’un temps diégétique, narratif ou dramatique, a créé un spectacle dont on devine dès le départ le déroulement, et qui nous apprend très peu sur l’histoire et les conditions de vie de ces femmes, avec lesquelles on ne parvient pas, faute de savoir qui elles sont, à entrer en empathie.

Racontez-nous… 

On apprend, par la feuille de salle, et quelques allusions éparses que Noelia Coñuenao, Karen Daneida, Dani Mara, Ocheipeter Marie, Hadeer Moustafa, Sekar Tri Kusuma et Alejandra Wolff sont des femmes qui toutes parlent des langues d’exils, minoritaires ou natives. mapuche, edo, malais, arabe, didxaza, borum. Mais ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce ne sont pas leurs histoires, mais un chœur de femmes antique chantant, psalmodiant, se déplaçant, se revêtant de blanc, de voiles. Sur le mur du lointain après un long temps passé sans mots compréhensibles, quelques-uns, traduits, poétiques, viennent s’écrire, allusions à la femme de Loth changée en sel parce qu’elle s’est retournée pour regarder la ville qu’elle quittait. 

Le sel, sur la scène, cache d’autres voiles encore qu’elles déterrent pour s’en revêtir, et par moments les chants sont beaux, les gestes, les visages éclatants comme des combats. Dont on aimerait, vraiment, savoir davantage, car rien n’est plus urgent sans doute aujourd’hui que de produire des récits d’exils et de témoignages des ethnocides, en particulier par les femmes qui sont, généralement, les voix porteuses des victimes. 

AGNÈS FRESCHEL

Sea of Silence a été créé au Théâtre Benoit XII du 4 au 9 juillet

Courts de cœur

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FÁR © Salaud Morisset

FÁR

Venu du grand nord, d’Islande, FÁR de Gunnur Martinsdóttir Schlüter nous fait assister à un drame. Un vol d’oiseaux dans le ciel. Visage d’une femme, Anna, derrière une vitre. Elle participe à une réunion d’affaires dans un café. Cadres serrés, couleurs bleues froides. On parle de gains, de l’installation d’un jacuzzi. Soudain, un choc contre la vitre. Une mouette git, à terre, blessée. Sous les yeux stupéfaits de ses collègues, Anna veut achever l’oiseau mais se fait agresser par des enfants « on n’a pas le droit de tuer » s’insurgent-ils. « La frontière est mince entre la souffrance et la mort »  leur répond-elle. Derrière la vitre, les gens du café observent… Un film, court, efficace, âpre, superbement cadré. FÁR veut dire intrusion ; l’intrusion de l’inattendu dans un monde organisé, de la souffrance et de la mort dans un lieu où ce qui compte est l’argent gagné et l’efficacité économique. Une réussite.

I Once Was Lost

Inspiré par une histoire vraie, I Once Was Lost, entre documentaire, journal intime et fiction, nous raconte une anecdote arrivée à un père, celui de la réalisatrice franco-américaine Emma Limon. Un soir, il dépose en voiture sa fille, lycéenne, chez son premier petit ami. C’est elle qui l’a guidé dans les rues de la ville. Mais au retour, il ne retrouve plus son chemin. Cette anecdote qui lui est arrivé en 2008, il la lui raconte bien plus tard, en 2021. Emma Limon en fait un film. Une déambulation nocturne, très bien filmée, dans la banlieue de Boston. Pas grand monde à qui demander son chemin. John entre dans un tout petit magasin de donuts. Il achète un beignet, essayant d’obtenir des informations. Aucune des trois employées ne parvient vraiment à l’aider mais l’une d’entre elles lui offre plusieurs donuts qu’il dévore dès qu’il retrouve enfin sa route : « je ne me suis senti plus chez moi dans l’univers. » Perdre ses repères  n’est pas toujours une mauvaise chose et ce père qui avait peut être l’impression de perdre-là sa fille devenue femme, a peut-être ici, trouvé un nouveau chemin.

Amarres (C)CHAZ Productions

Amarres

Un autre film inspiré par le réel, celui de Valentine Caille, Amarres. À partir de son histoire personnelle, la réalisatrice écrit une fiction, mise en scène avec soin et superbement interprétée par Alice de Lencquesaing et Jonathan Genet. Livia vient passer quelques jours sur le rucher familial. Elle y retrouve son frère, Louis, qui a fait des séjours en hôpital psychiatrique et qui est psychologiquement très perturbé. Il travaille sur le rucher – les scènes sur le travail des apiculteurs sont très bien documentées… La folie de Louis qui se manifeste dès qu’il est en contact avec les autres est en écho avec la folie technologique qui conduit à la destruction des abeilles. La relation entre le frère et la sœur, entre haine et amour inconditionnel, donne lieu à des scènes intenses, que la musique de Claus Gaspar souligne habilement. Un film riche en émotions.

ANNIE GAVA

Le festival Tous Courts, organisé par l’association Rencontres cinématographiques d’Aix-en-Provence s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre

festivaltouscourts.com

Une journée en courts

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La master class

Caroline San Martin, maîtresse de conférences en écriture et pratiques cinématographiques à la Sorbonne,est venue « penser l’écriture du personnage en scenario », une leçon de cinéma qui a rassemble bon nombre d’étudiants. Et ce fut passionnant. Partant d’un texte de Gilles Deleuze, Francis Bacon : Logique de la sensation, celle qui est aussi intervenante à la Femis a proposé de transposer au cinéma ces réflexions sur la peinture. Comment déconstruire des partis-pris, interroger les présupposés, imaginer des possibilités et en faire le tri, ancrer son  personnage dans des situations pour qu’il puisse faire des choix. S’appuyant sur des extraits de courts et longs métrages, Caroline San Martin a aussi dialogué avec ceux qui assistaient à cette master class qui a duré deux heures. On l’aurait bien écoutée deus heures de plus !

Les cartes blanches

Bruno Quiblier, directeur de l’association lausannoise Base-Court est venu présenter six films suisses dont trois d’animation, très différents, dont un, engagé et drôle, « dédié aux animaux victimes d’homophobie » ! Dans la nature de Marcel Barelli. Dans la nature, un couple c’est un mâle et une femelle. Enfin, pas toujours! Un couple c’est aussi une femelle et une femelle. Ou un mâle et un mâle. Vous l’ignoriez, peut-être, mais l’homosexualité n’est pas qu’une histoire d’humain. Original et très graphique, celui de Jonathan Laskar, The Record, où un antiquaire qui s’est vu offrir par un voyageur un disque magique, « lisant dans votre esprit et jouant ce que vous avez en mémoire », s’enferme dans sa boutique avec tous ses souvenirs qui refont surface. Et dans le film de Basile Vuillemin, Les Silencieux, ce ne sont pas des souvenirs que remontent les pêcheurs d’un petit chalutier qui, après des pêches maigres, se sont aventurés dans des zones protégées. Un film superbement mis en scène qui nous fait passer vingt minutes en compagnie de ces marins, confrontés à un rude dilemme.

Les Silencieux © Blue Hour Films

Une autre carte blanche a été proposée au Festival Vues du Québec, étonnement situé à Florac en Lozère, principale manifestation française entièrement consacrée au cinéma québécois, qu’est venu nous présenter son fondateur, Guillaume Sapin. Il nous a proposé sept courts très variés et de très bonne facture. Oasis, le premier documentaire de Justine Martin suit la relation de Raphaël et Rémi, des jumeaux, au moment charnière de l’adolescence. Raphael, atteint d’un handicap, reste prisonnier de l’enfance, Rémi grandit… Un film très touchant. Aucéane Roux, est venue parler de son film d’études cinématographiques à l’École des médias de l’UQAM, Vent du Sud, tourné à Val Gagné, dans l’Ontario, le village que ses grands parents ont quitté comme beaucoup d’autres, laissant des terres en friche. Terres rachetées par des mennonites qui ont fait revivre le village. Un film qui « raconte surtout l’histoire de deux communautés qui se rencontrent à travers un village. C’est l’agriculture qui est leur point commun». Passionnant.

The Record © Kurzfilm Agentur Hamburg

Découvert aussi, le festival de l’écrevisse de Pont-Breaux, en Louisiane, grâce au regard acéré de Guillaume Fournier, Samuel Matteau et Yannick Nolin. Acadania, un court sans paroles mais dont les images parlent, reflet d’une Amérique fatiguée et comme défaillante ; visages fatigués, machines rouillées, parade grotesque. On pourrait aussi évoquer le film d’Annie St-Pierre, Les grandes claques, une fiction qui nous fait partager un réveillon en 1983 : des enfants qui attendent un Père Noël en retard, un père qui attend son passage pour pouvoir emmener ses enfants, angoissé à l’idée d’entrer dans la maison de son ex-belle famille. Un film doux amer qui nous fait partager les tensions et les réactions de chacun. Carte blanche particulièrement réussie !

ANNIE GAVA

Le Festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.

festivaltouscourts.com

« Viva Varda ! », la femme et la cinéaste

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Pierre-Henri Gibert a l’habitude de faire des portraits de cinéastes. Près d’une vingtaine à son actif : Audiard, Clouzot, Resnais… Viva Varda !,commandé par Arte, est le premier consacré à une femme. Et quelle femme ! Une photographe, cinéaste, plasticienne, Agnès Varda qui a fait elle-même, plusieurs fois son autoportrait à travers ses films. Un projet audacieux ! Suicidaire même, plaisante son auteur. Mais un portrait vraiment réussi qui nous donne à voir une Agnès loufoque, tenace, libre mais en livre aussi quelques aspects qu’on connaissait moins. Un portrait fait avec bienveillance où l’on suit son parcours de vie et ses débuts cinématographiques avec La Point courte. L’arrivée à Sète de la petite Arlette, au bout de la route de l’exil pendant la guerre, la rencontre avec sa famille de cœur, les Schlegel, sa liaison avec leur fille, Valentine. Ses débuts en photographie, son installation à Paris rue Daguerre. Elle crée sa coopérative de cinéma, elle qui n’ a pas fait d’études cinématographiques. Elle qui avait vu en tout huit films se lance dans l’écriture et la réalisation de La Pointe Courte qui ne plait pas du tout aux Cahiers du cinéma.

Amour et bienveillance

Pierre-Henri Gibert donne la parole à ses collaborateurs, à ses enfants, Rosalie Varda et Mathieu Demy, à des ami·e·s, Sandrine Bonnaire, Patricia Mazuy, Audrey Diwan, Aton Egoyan qui, tout au long du documentaire, évoquent la cinéaste, précurseure de la Nouvelle Vague. Une cinéaste qui n’a jamais baissé les bras, qui est toujours partie à la rencontre des autres, Chinois, Cubains, Black Panthers. « Je vais filmer de toute façon » disait-elle, allant chercher de l’argent avec arrogance, précise Patricia Mazuy. Le réalisateur évoque la cinéaste mais aussi la femme, celle qui a rencontré Antoine Bourseiller, le géniteur de Rosalie, qui a aimé très fort Jacques Demy dont le départ l’a fait souffrir, qui a rencontré ses voisins qu’elle a filmés avec bienveillance. C’est tout cela qu’on retrouve dans le documentaire de Pierre-Henri Gibert qui a réussi son projet audacieux. Viva Varda ! nous fait rencontrer une Agnès Varda avec ses failles, son extraordinaire soif de vivre, son amour des gens et du cinéma. On l’aime encore plus!

ANNIE GAVA

Viva Varda ! est disponible sur Arte TV à partir du 30 octobre et sera programmé le 6 novembre à 22h35.

https://www.cinemed.tm.fr/

Le Rendez-vous de Charlie

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ERIK TRUFFAZ

Le jazz aime les feuilles mortes, c’est bien connu. En miroir du Charlie Jazz Festival de l’été, le Rendez-vous de Charlie scelle notre entrée dans l’automne. La récolte sur deux jours connaît un pas sur le côté dans l’univers jazzique et lorgne vers le cinéma avec la projection du film César et Rosalie de Claude Sautet en partenariat avec le Cinéma Les Lumières. Deux stars, l’une du cinéma, l’autre du monde du jazz présenteront cette toile mythique du répertoire où se croisent Romy Schneider, Yves Montand et Sami Frey, Sandrine Bonnaire et Erik Truffaz qui revisitera dans le cadre du projet Rollin’& Clap quelques thèmes de la musique de cinéma. Le célèbre trompettiste accompagné d’Alexis Anérilles (claviers), Marcello Giuliani (basse), Valentin Lietchi (batterie), Matthis Pascaud (guitare), une équipe « digne des Marvels », sourit Aurélien Pitavy, directeur artistique de l’association Charlie Free, organisatrice de l’évènement, jouera des textures, des esthétiques, pour nous faire rencontrer comme jamais Nino Rota, Ennio Morricone, Michel Magne ou Miles Davis. 

Des valeurs sûres

Dans la série des légendes, le dernier saxophoniste ayant accompagné Miles Davis sur scène, Kenny Garrett revient à Vitrolles (il y a été ovationné en 2019) avec Sounds from the Ancestors (projet couronné par un Grammy Award), où se mêlent jazz, R&B, gospel, sonorités de France, de Cuba, du Nigéria, de la Guadeloupe, pour un groove irrésistible. À ses côtés il y aura le swing de Rudy Bird (percussions, chant), Keith Brown (piano, claviers), Ronald Bruner (batterie), Jeremiah Edwards (contrebasse) et Melvis Santa (percussions, chant). La trompette d’Hermon Mehari explorera dans Asmara sa culture ancestrale, (sa famille avait fui l’Érythrée dans les années 1980), les sonorités du jazz éthiopien et les folklores des peuples de la Corne de l’Afrique avec la complicité de la contrebasse de Luca Fattorini, la batterie de Gautier Garrigue et le piano de Peter Schlamb. Enfin, une relecture de Gainsbourg conduit le tromboniste Daniel Zimmermann à réinterpréter l’œuvre de « l’homme à la tête de chou » en une liberté débridée avec son quartet composé de Julien Charlet (batterie), Pierre Durand (guitare), Jérôme Regard (basse). Un « Homme à tête de chou in Uruguay » irrévérencieux et groovy à souhait ! Une avalanche de pépites d’automne !!! 

MARYVONNE COLOMBANI

Les 3 & 4 novembre, Salle Obino, Vitrolles

Les Rendez-vous de Charlie 

04 42 79 63 60 charlie-jazz.com

Il était une femme !

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Antoinette Pépin ? Pépin-Fitzpatrick ? Qui est-ce ? La question laisse perplexes les personnes interrogées. Et pourtant, celle que l’on surnommait « Nénette » a laissé nombre de musiques qui nous sont familières ! Une centaine d’œuvres du chanteur et guitariste argentin Atahualpa Yupanqui sont cosignées par elle, en fait par « Pablo Del Cerro », pseudonyme qu’elle utilisa, les temps n’étaient guère féministes. 

Le mystère d’un nom

Intriguée par cette signature de Pablo Del Cerro, attachée à une centaine d’œuvres d’Atahualpa Yupanqui, alors qu’elle faisait des recherches autour de l’œuvre musicale de ce dernier, la chanteuse Mandy Lerouge a mené une véritable enquête durant près de trois ans, a suivi les traces de ce « Pablo » à Paris, Buenos Aires, Cerro Colorado enfin, ce village de la province de Córdoba en Argentine où est située la maison (et désormais le musée) d’Atahualpa Yupanqui, « Agua Escondida » (l’eau cachée). Pablo Del Cerro, alias Antoinette Pépin-Fitzpatrick (1908-1990), née à Saint-Pierre et Miquelon d’un père français d’une mère terre-neuvienne, fut non seulement la muse mais l’épouse d’Atahualpa Yupanqui. Musicienne, pianiste, tombée amoureuse de l’Argentine, elle rencontrera Atahualpa, l’amitié artistique qui unira aussi le couple se transcrira dans les collaborations musicales. 

Roberto Chavero, fils du chantre argentin, ému de l’intérêt passionné de Mandy Lerouge, lui a transmis une grande boîte fermée que sa mère avait laissée et qu’il n’avait jamais ouverte : « c’est pour vous, c’est votre quête » lui dit-il. Un trésor de partitions d’enregistrements, de lettres, de livres, de carnets de compositions et de confidences est ainsi légué à la chanteuse. Elle s’imprègne des ouvrages de la bibliothèque d’Atahualpa, des paysages montagneux qui servent d’écrin au village Cerro Colorado, y trouve des correspondances avec sa vie, au point de commettre le délicieux lapsus de « la Cordillère des Alpes » (Mandy Lerouge est originaire des Hautes-Alpes). 

Un spectacle enquête

Le spectacle qui découle de cette recherche et de ces rencontres nous fait plonger à notre tour dans les bonheurs de la quête, part des voix enregistrées de personnes qui ignorent qui est cette fameuse Antoinette Pépin, mais aussi de celle, émouvante, de son fils qui évoque ses parents. Les chants souvent donnés en primeur, directement issus de la fameuse boîte d’Antoinette, sont entremêlés aux bribes du récit, prennent une épaisseur nouvelle, habités d’un parfum de légende. La voix souple de Mandy Lerouge se glisse avec aisance dans les méandres des textes et des mélodies, accompagnée par le violoncelle augmenté d’Olivier Koundouno, la guitare de Diego Trosman, les percussions et la batterie de Javier Estrella. « Il ne s’agit pas de mimer la musique argentine, sourit l’interprète, je ne m’en sens pas la légitimité, et n’en vois pas non plus l’intérêt, les musiciens argentins le font bien mieux que moi, mais plutôt de donner une lecture personnelle, un hommage à une femme dont le nom a été tu comme si souvent et à sa puissance créatrice ». Les musiciens offrent des contre-points subtils aux airs, transcrivent atmosphères, esprit, variant les esthétiques avec intelligence. Les musiques populaires, leurs rythmes, la teneur des chants, de l’Argentine sont intiment liés aux reliefs, aux climats, non par une fantaisie folklorique prise dans un sens réducteur, mais en sont l’émanation profonde. Une enquête musicale passionnante au cours de laquelle Mandy Lerouge prend un essor nouveau, habitée, puissante, sensible. 

MARYVONNE COLOMBANI

Mandy Lerouge / Del Cerro a été joué le 7 octobre au Petit Duc, Aix-en-Provence

Bientôt un CD et une émission radiophonique en huit épisodes pour suivre au plus près cette enquête musicale !

Le festival de Salon-de-Provence fait tinter les orgues aixoises

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© X-D.R.

Inaugurées en grande pompe en 2015, les grandes orgues de l’auditorium Campra disposant de quelques 2000 tuyaux ont cependant vite cessé de fonctionner pour cause de panne. À peine restaurées, elles ne pouvaient rêver mieux qu’Olivier Latry et Shin Young Lee pour célébrer leur résurrection. Il faut dire que l’organiste titulaire de Notre-Dame de Paris et la concertiste sud-coréenne ont la virtuosité nécessaire pour s’attaquer à des œuvres sollicitant l’instrument sous toutes ses coutures. La 5ème Symphonie de Charles-Marie Widor et son Allegro Vivace n’ont aucun secret pour Olivier Latry : ses variations requièrent une dextérité et une technicité sans faille, mais également une succession de jeux, d’accouplements et de changements continus de nuances via la pédale d’expression qui rappellent la versatilité de l’instrument, conçu alors pour convoquer la puissance d’un orchestre. Le spectre de Bach et de l’héritage germanique est également convoqué par Shin Young Lee sur l’imposante Introduction et passacaille en ré mineur de Max Reger, qui pousse l’art du contrepoint jusque dans ses retranchements, tout en lui adjoignant des couleurs expressionnistes. De belles prouesses solistes qui se révèlent cependant moins émouvantes que les duos choisis sur le volet. Outre le très beau Concerto brandebourgeois n°2 de Bach transcrit pour quatre mains (et quatre pieds !) par Max Reger, interprété à la perfection par le couple, on (re)découvre avec bonheur, entre autres, le sublime Concerto en ré mineur de Marcello entonné avec générosité et finesse par l’hautboïste François Meyer, ou encore les Trois Mouvements de l’immense Jehan Alain sublimés par la flûte d’Emmanuel Pahud. De quoi se souvenir que l’orgue n’est pas l’instrument solitaire qu’on a souvent voulu dépeindre : la Fantaisie en Fa mineur de Krebs en atteste dès le XVIIIème siècle ! Et l’Hymne de Joseph Jongen, entonné par Olivier Latry et Éric le Sage au piano, rappelle que l’instrument peut, selon les jeux et couleurs, se jumeler y compris avec ses frères (pas si) ennemis.

SUZANNE CANESSA

Le concert a été le 28 juillet au Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence

« La Bête dans la jungle », en quête d’absolu

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La nouvelle d’Henry James, The Beast in the jungle, paru en 1903, l’histoire d’un homme qui attend un événement extraordinaire et demande à une femme d’attendre avec lui, a toujours bouleversé Patric Chiha, par son rapport au temps, par la tension entre la vie réelle et la vie rêvée. Il décide d’adapter l’histoire de May et de Jon qui, pour lui, a la valeur d’un mythe. On avait vu le talent de ce réalisateur pour filmer les corps qui dansent dans son film précédent, Si c’était de l’amour, le documentaire sur la vie de la troupe de Gisèle Vienne.

Traverser les époques

Dès les premières images de La Bête dans la jungle, des danseurs, des corps se frôlent au rythme du disco. La voix de la physionomiste (Beatrice Dalle), enveloppée dans sa cape noire nous guide dans ce monde étrange. « C’est l’histoire de May et de Jon. May avait rencontré Jon croisé dix ans auparavant dans les Landes, au bal de la Sardinade. Là, il lui avait confié son secret : “depuis que je suis enfant, je sais que j’ai été choisi pour quelque chose d’exceptionnel et cette chose extraordinaire devra m’arriver tôt ou tard. Et toute ma vie va être bouleversée.” » On est en 1979. Au cœur d’une boite de nuit parisienne dont on sortira  peu : pourquoi sortir, c’est ici que tout se passe. Les corps dansent, nimbés de lumière, se touchent, flamboient. Et c’est là que May (Anaïs Demoustier,excellente),tout en couleurs, exubérance et mouvement, retrouve Jon (Tom Mercier) immobile, comme figé et hors du monde. Et ce sera ainsi chaque samedi jusqu’en 2004. Dans ce club on va traverser les époques, les élections de 1981, la mort de Klaus Nomi, l’hécatombe du sida, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre. May s’est mariée avec Pierre (Martin Vischer) mais continue à attendre avec Jon la chose qu’il guette, quelque chose de plus grand qu’eux. Elle aime que sa vie ressemble à un roman. « Il faut résister, il faut danser. »  Dans la boite de nuit, les costumes chatoyants, brillant de mille feux ont fait place à des tenues noires Le club s’est vidé à cause des morts du sida mais les rescapés continuent de danser au rythme de la techno, filmés du balcon où May et Jon poursuivent leur quête d’absolu.

La Bête dans la jungle,histoire d’amour et sorte de documentaire sur une discothèque de 1979 à 2004 confirme le talent  de Patric Chiha à filmer une atmosphère. On l’avait déjà remarqué avec Brothers of the Night ( Berlinale 2016). La Bête dans la jungle est un film envoûtant dont on n’a pas envie de sortir, attendant nous aussi, peut-être qu’une bête sorte de l’écran et bouleverse nos vies… « Vous êtes sortis, quelle drôle d’idée ? C’est ici que tout se passe. »

ANNIE GAVA

La Bête dans la jungle, de Patric Chiha
En salles le 16 août

« Polaris », trouver sa bonne étoile

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Jour2Fête

Dans la brume blanche, une voix, qui parle de solitude et de souffrance. Une silhouette. Le bruit du vent qu’on sent glacial. Une tempête de neige. Et puis des mains qui se réchauffent. Ce sont les mains d’Hayat, une navigatrice, de 1m60, en plein océan Arctique, au milieu des icebergs bleutés. À l’autre bout du monde, dans le Sud de la France, sa sœur, Leila, sur le point de donner naissance à son premier enfant, avec ses craintes et ses doutes, alors que le père a mis les voiles. Toutes deux ont eu un parcours de vie difficile : un père absent, une mère toxicomane, en prison, qui n’a jamais été une mère. Pour elles, les familles d’accueil. « Je ne me rappelle aucun moment de tendresse avec ma mère », confie Hayat. Elle souhaite très fort que sa sœur, grâce à ce bébé qui vient de naitre, puisse changer le destin de cette famille. C’est à travers des conversations téléphoniques qu’Hayat et Leila revisitent leur passé et leur relation. Et c’est en racontant, bribes par bribes, son histoire à Ainara Vera qu’Hayat nous permet de l’approcher. Elle évoque ses difficultés en tant que femme-capitaine, la nécessité d’être dure au départ pour se faire respecter, les agressions qu’elle a subies. « En tant que femme, si vous êtes ne serait-ce qu’un peu attirante, c’est vraiment super difficile. Ça consomme tellement d’énergie. » Le syndicat de marins qu’elle a contacté lui a refusé toute aide.

Voyage intérieur

« On a le droit de décider ce qu’on veut faire de notre corps ! »s’indigne-t-elle. Elle est épuisée de devoir se débrouiller toute seule. « Je ne peux apaiser ma souffrance quand la vie me maltraite. » Comment garder la tête hors de l’eau, nous suggère un plan serré, fixe, long, intense, où elle nous regarde. Peut-être en quittant le bateau, un moment, pour aller voir sa sœur et faire connaissance avec la petite Inaya, celle qui va briser ce cycle infernal pour avoir de nouvelles références. En profiter aussi pour faire le point sur sa propre existence : « Je fais pas ma vie, je m’occupe des autres ! » lance-t-elle à sa sœur cadette. Comment chasser ses démons, vaincre sa peur de ne jamais être aimée ? Comment se reconstituer après cette enfance où on n’a pas reçu cet amour de base ? « Inaya est aimée et c’est le plus important », conclue-t-elle.

Dans Polaris, ce documentaire tourné pendant deux années, Ainara Vera trace le portait de deux femmes qui, chacune à sa manière, tracent leur voie. Elle filme les gestes expérimentés de la navigatrice dont le bateau semble glisser sur la mer et frôler les icebergs, ceux, plus tâtonnants de sa sœur qui apprend pas à pas les gestes d’une mère. « Hayat est une capitaine de navire qui cherche sans relâche sa place dans le monde », commente la cinéaste qui a su trouver la bonne distance pour nous donner à voir et entendre ces deux femmes blessées par la vie, nous faire partager leur voyage intérieur afin de se reconstruire. La musique d’Amine Bouhafa accompagne superbement ce voyage glaciaire travers des paysages à la beauté âpre et austère.

ANNIE GAVA

Polaris, de Ainara Vera

En salles le 21 juin

La Nuit du verre d’eau, la révolte d’une femme

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© Sarmad Louis © Jour2Fête

Le jour se lève sur une vallée de la montagne libanaise. Une demeure bourgeoise, des vacances qui pourraient être ordinaires et paisibles. Mais, quinze ans après l’indépendance du pays, la révolution gronde, non loin de là, à Beyrouth, en cet été 1958. Trois sœurs se retrouvent dans le village familial. Nada (Rubis Ramadan), Eva (Joy Hallak), pour qui les parents cherchent un mari et l’ainée, Layla (Marilyne Naaman), qui subit le quotidien d’un mariage imposé à 17 ans. Elle est très liée à son petit garçon, Charles (Antoine Merheb Harb). Lui, du haut de ses sept ans, observe avec curiosité et inquiétude le monde qui l’entoure. La Vierge de l’église pleure et tous les villageois chrétiens se retrouvent pour prier. Les repas de famille élargie se transforment en pugilat. Les Chiites du village se sentent marginalisés, voire plus et certains s’en vont. On commence à s’armer et la nuit, on fait des rondes. L’arrivée du Docteur René (Pierre Rochefort) accompagné de sa mère, Hélène (Nathalie Baye) va bouleverser le quotidien. Layla sert de guide aux « Français » et à l’occasion d’une visite de la grotte de Saint Antoine, pendant que Charles emmène Hélène voir un ermite, elle se jette dans les bras de René, un homme très discret et taiseux.

Une tension dramatique
« C’est l’histoire d’un amour éternel et banal qui apporte chaque jour tout le bien, tout le mal … », chantent en chœur les femmes de la famille en ligne derrière un piano : une très jolie scène. Une chanson de Dalida qui fait écho au drame que vit Layla et à sa révolte. Peut être une métaphore de ce que traverse le pays. Le titre en arabe de ce premier long métrage du cinéaste libanais, Carlos Chahine, signifie « terre d’illusion ». « Pour moi, 1958 est comme une répétition générale de la guerre de 1975 qui n’est pas finie aujourd’hui…J’avais envie de dire que ce pays est une illusion depuis le début », a précisé le cinéaste, accompagné de toute son équipe, et du compositeur Antoni Tardy dont la musique a particulièrement bien souligné la tension dramatique de cette chronique familiale et historique aux décors soignés.

ANNIE GAVA

La Nuit du verre d’eau, de Carlos Chahine 
En salles le 14 juin

Shakespeare inspire ici, expire là

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LA TEMPESTA texte William Shakespeare traduction, adaptation, mise en scene, scenographie, costumes, son et lumiere Alessandro Serra avec Fabio Barone, Andrea Castellano, Yincenzo Del Prete, Massimiliano Donato, Paolo Madonna, Jared Mcneill, Chiara Michelini, Maria Irene Minelli, Valerio Pietrovita, Massimiliano Poli, Marco Sgrosso, Bruno Stori assistanat lumiere Stefano Bardelli assistanat son Alessandro Saviozzi assistanat costumes Francesca Novati masques Tiziano Fario

À Avignon, le fantôme de William Shakespeare hante les murs depuis l’origine du festival. On ne compte plus les adaptations, relectures et appropriations de l’écrivain anglais tant elles sont constitutives de l’histoire de la manifestation. Cette année, deux pièces majeures du répertoire ont fait l’objet de mises en scène et le moins que l’on puisse dire est qu’elles reposent sur des conceptions antagonistes de l’œuvre shakespearienne. Pourtant La Tempête comme Richard II ont en toile de fond la question du pouvoir, de sa légitimité, de sa manipulation voire de ses dérives, intrinsèque au théâtre du maître élisabéthain. Mais quand, dans la première, l’intervention de la magie et la prédominance de la nature viennent corriger les travers revanchards et faiblesses individualistes d’un gouvernement humain en faisant triompher la sagesse, c’est le réalisme politique le plus cruel, fait d’ambitions personnelles, d’hypocrisie débridée et de traitrises éhontées , qui l’emporte dans la seconde, aux dépens de toute considération éthique. Entre Alessandro Serra et Christophe Rauck, ce sont surtout les choix de mises en scène qui contrastent, malgré une obscurité et commune, et agissent avec plus ou moins de réussite sur la dimension contemporaine de l’auteur phare du grand siècle britannique.

Fausse sobriété

Si le Sarde privilégie le dépouillement scénique et le resserrement textuel comme autant de preuves matérielles de son absorption de l’œuvre, des costumes jusqu’à la traduction italienne, il reste dans un entre-deux d’inventivité ou la fausse sobriété se conjugue à un arrière-goût burlesque suranné. Jusqu’à nous faire nous interroger sur l’attribution à Jared McNeill, seul acteur noir (épatant) de la troupe, le rôle de Caliban, personnage monstrueux esclavagisé. Outre quelques scènes visuellement éblouissantes – notamment grâce à l’éclairage en puit de lumière ou à l’immense voile noir déployé sur le plateau – qui assurent un sincère plaisir esthétique, cette Tempesta aux accents commedia dell’arte perd en portée politique et manque de modernité. Regrettable quand la plume d’un géant de la dramaturgie classique s’y prête autant.
Si Richard II, éclipsée par Richard III et Henri VI, est l’une des pièces les moins jouées du grand Will, celle-ci a toujours eu, et dès la première édition en 1947, les faveurs du Festival d’Avignon. Après Jean Vilar à la mise en scène et dans le rôle-titre, Ariane Mnouchkine ou encore Jean-Baptiste Sastre, c’est au tour de Christophe Rauck de redonner vie à ce roi à part dans l’histoire de la couronne d’Angleterre. Accédant au désir de l’acteur Micha Lescot d’incarner le monarque (1377-1399) totalement déconnecté des exigences de sa fonction.

RICHARD II texte William Shakespeare, mise en scene Christophe Rauck, traduction Jean-Michel Deprats, avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Eric Challier, Murielle Colvez, Cecile Garcia Fogel, Guillaume Leveque, Pierre-Thomas Jourdan, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard dramaturgie Lucas Samain , musique Sylvain Jacques scenographie Alain Lagarde , lumiere Olivier Oudiou video Pierre Martin , costumes Coralie Sanvoisin masques Atelier 69 , maquillages et coiffures Cecile Kretschmar

Machination envoûtante

Il ne peut y avoir de longues discussions sur le constat que la pièce est sublimée par l’acteur longiligne, vêtu de blanc dans un environnement où le noir domine, et dont la gestuelle autant que la voix troublent jusqu’à la notion de genre. La maîtrise et la complexité de son jeu est loin en revanche d’en être l’unique réussite. Car l’actuel directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers, assisté du scénographe Alain Lagarde, place au centre d’un ingénieux dispositif de gradins amovibles, une machination envoûtante. Qu’il représente la Chambre des Communes ou les coulisses du pouvoir, le décor aussi sombre soit-il devient ici une tribune au grand jour des intrigants. Habité par une désinvolte négligence des enjeux qui évolue en démence capricieuse, Richard ne semble à aucun moment concerné par la nasse politique dont il est la proie. Un comportement qui va paradoxalement conférer à l’entreprise hostile d’usurpation du trône menée par son rival et cousin, Bolingbroke, futur Henri IV, une certaine légitimité. Dans une scène d’abdication aux ressorts quasi-comiques, le roi se fait bouffon dans un dernier soubresaut d’orgueil avant son assassinat comme ultime félonie. Magistral.

La Tempesta a été jouée les 17, 18, 19, 20, 22 et 23 juillet à l’Opéra du Grand Avignon.
Richard II a été créé le 20 juillet et présenté jusqu’au 26 au Gymnase du lycée Aubanel, à Avignon.

NÔT

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© Pedro Macedo

Parce qu’il a été trahi, il a juré de faire exécuter chaque matin la femme qu’il aura épousée la veille. Alors Shéhérazade parle. Chaque nuit. Des histoires qui s’enchaînent, se tressent, et s’interrompent à l’aube pour retarder la mort. C’est dans cette frénésie vitale et fabulatrice que Marlene Monteiro Freitas ancre NÔT, création envoûtante, et première œuvre chorégraphique à ouvrir, en 79 éditions, la Cour d’honneur du Festival d’Avignon le 5 juillet prochain. La chorégraphe capverdienne y engage les corps dans un rituel d’histoires suspendues, de récits diffractés, de vérités remodelées. Une nuit de plus, dit-elle. Comme une réponse obstinée à la logique du pouvoir qui se voudrait définitif, tranchant. Une nuit de plus, comme Shéhérazade qui, conte après conte, retarde l’issue.

Éloge de la différance

Ici, la danse prend le relais de la parole: elle interrompt, elle prolonge, elle résiste. La gestuelle de Marlene Monteiro Freitas est un débordement : visages contractés, mouvements heurtés, rythmes dissonants. Dans la Cour d’honneur du Palais des papes, les huit interprètes surgissent, masqués, grimés, démesurés. Des fantômes bavards qui, à défaut de parler, dansent pour ne pas mourir. La scène est un champ de forces : beauté et grotesque, désir et cruauté, rire et tension. 

On retrouvera sans nul doute la signature de Monteiro Freitas : foisonnement visuel, théâtralité débordante, ambiguïté et beauté queer comme ligne directrice. Mais NÔT creusera un sillon moins obscur : celui qui croit encore possible de différer l’exécution.

SUZANNE CANESSA

Du 5 au 11 juillet
Cour d’honneur du Palais des Papes

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Fusées

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Fusées, Jeanne Candel, 2025 © Jean-Louis Fernandez
Fusées, Jeanne Candel, 2025 © Jean-Louis Fernandez

Actrice, metteuse en scène et codirectrice du théâtre de l’Aquarium à Paris, Jeanne Candel a créé Fusées en 2024 avec ses complices Vladislav Galard, Sarah Le Picard, Jan Peters et Claudine.

Simon (Cie La Vie brève). La pièce raconte les aventures galactiques de deux astronautes égarés dans l’univers. Elle s’inspire du film Out of the Present d’Andrej Ujica, et refuse les écrans et les moyens numériques pour se concentrer sur trois bouts de ficelle bien agencés. 

Un théâtre artisanal revendiqué par Jeanne Candel, qui aime mêler comique et inquiétude, absurde et profondeur, envolées et matières triviales, musique et poésie, simplicité de trait et baroquisme des couleurs et des matières. 

Fusées est en tournée depuis un an et adresse sa fantaisie à tous les publics à partir de 6 ans. Kyrilet Boris (Vladislav Galard et Jan Peters), assistent de loin à l’agonie de la planète. Boris en pleure,  Kyril en rit. Le tout est accompagné des mélodies de Schütz, Bach, Tom Waits ou Schumann, qui gravitent sur les notes d’un piano retourné ou d’une cithare bricolée. Car les instruments, aussi, sont artisanaux et bizarres, ravivant par leur présence les émotions qui tournent dans l’intergalactique intérieur.

AGNÈS FRESCHEL

Du 6 au 8 juillet à 11h et 18h
Théâtre Benoît XII

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De génération en génération

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Tiago Rodrigues, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Zébuline : Quelles sont  les caractéristiques de cette 79e édition ?

Tiago Rodrigues : Nous poursuivons la route d’un festival de création. Cette année nous programmons quarante-deux spectacles, plus de la moitié viennent pour la première fois, plus de la moitié sont en première mondiale et  n’ont jamais été vus, plus de la moitié sont portés par des femmes…

Vous aimez cet équilibre,  en particulier entre ce que l’on retrouve et ce que l’on découvre.

Oui. La création c’est l’improbable, le matrimoine, c’est aussi les retrouvailles avec les dernières œuvres des grands noms, Ostermeier, Anne Teresa de Keersmaeker ou Marthaler, et la découverte d’autres dont on ne sait pas encore prononcer le nom…

Parmi ces retours, Le Soulier de satin dans la Cour d’honneur ?

C’est un retour multiple. Celui de Claudel bien sûr, clin d’œil à la version de Vitez, en 1987, dont tous les festivaliers historiques se souviennent. Celui de la Comédie-Française dans la Cour, celui d’Eric Ruf, dont c’est la dernière mise en scène en tant qu’administrateur de la Comédie-Française, celui de Didier Sandre qui jouait Rodrigue dans la mise en scène de Vitez, celui de Marina Hands, qui reprend le rôle de Prouhèze, que jouait sa mère Ludmila Mikaël… Ce sont des couches et des couches d’histoires et de confidences, notre public adore ce labyrinthe historique, tous ces fantômes bienveillants qui habitent la Cour. Ce sera un spectacle fleuve, avec plusieurs entractes, différent de la version parisienne, adaptée pour l’extérieur et le lieu. Une vraie nuit blanche avec cafés et plusieurs entractes, comme celle de Vitez. Évidemment la Comédie-Française est ici chez elle…

Vous programmez aussi des projets inattendus, risqués, politiques

C’est une des missions du Festival. Il s’agit d’être à la hauteur de notre histoire avant tout en la poursuivant. En 1947 après la guerre, Jean Vilar voulait un festival populaire, démocratique et républicain.  Aujourd’hui le lexique aussi s’est démocratisé, et on ne peut plus dire ces mots sans dire progressiste, international, féministe et anti-raciste

Avec Claire Hédouin, ou les Radios live, ou le Procès Pélicot vous programmez des formes inattendues, à la limite du théâtre

C’est aussi une de nos missions, dans la continuité de Jean Vilar : renouveler le rapport avec le public, chercher les formes qui le permettent. Avec Que ma joie demeure l’an dernier, avec le Prélude de Pan cette année, Claire Hédouin, que nous accueillons en partenariat avec Villeneuve-en-scène, travaille sur l’espace vivant. Il ne s’agit plus seulement de sortir du bâti, mais d’inventer un nouveau rapport ente le vivant et les arts vivants. 

Quant aux formes qui émanent du journalisme, elle renversent le théâtre documentaire en quelque sorte, une forme très présente sur les scènes. Avec Aurélie Charon, ce sont les journalistes qui font du théâtre, et les témoins qui portent leur propre parole. Caroline Gillet innove elle aussi, avec One’s own room Inside Kaboul où elle nous plonge dans la solitude d’une femme afghane enfermée.  Ces formes m’intéressent, j’aime qu’on se confronte à des spectacles où on se demande « Qu’est-ce que c’est, du théâtre, du reportage, du débat ? ». C’est comme cela que les formes avancent.

Pour Gisèle Pelicot la démarche de Milo Rau est  différente. Elle s’inscrit dans la décision  de Gisèle Pelicot  de rendre public son procès, pour que « la honte change de camp ». La première lecture a eu lieu à Vienne, il s’agit de rendre hommage au courage de cette femme.  Ce sont les paroles telles qu’elles ont été tenues qui sont lues par des comédiens, mais aussi par des figures publiques. Ce procès eu lieu ici, à Avignon, il a eu un très fort impact dans la ville.

C’est aussi la première fois que la danse ouvre la Cour d’Honneur…

Oui, Marlene Monteiro Freitas ouvre la cour avec Nôt, mais elle n’est pas seulement une chorégraphe  invitée, elle est l’artiste complice de cette édition, comme Boris Charmatz l’était l’an dernier. Lui avait proposé trois formes très différentes, avec Marlene, on a exploré plus largement sa bibliothèque, les musiques et les pensées qu’elle aime. C’est une artiste très présente à Paris, mais n’était venue à Avignon qu’avec (M)imosa en 2011 avec Cecilia Bengolea et François Chaignaud. C’est la première fois qu’elle vient pour son propre travail.

Cette complicité, donc, se traduit par l’ouverture de la Cour d’Honneur, liée au chef-d’œuvre de la langue invitée, les 1001 Nuits. Le duo RI TE où elle danse avec Israël Galvan et qui joue sur une complicité dissemblable autour  du flamenco. Le duo Jonas&Lander, avec qui elle travaille depuis longtemps et l’invitation de Georges Didi-Huberman au Café des idées. C’est une lectrice vorace  et  inspirée de sa pensée  de l’art et de la philosophie. Et le cycle Pedro Costa au cinéma l’utopia qui complète ce volet de la programmation conçu par Marlene, qui m’a influencé au-delà de cela par des dialogues constants. 

Vous parliez de la langue invitée, la langue arabe. Pourquoi ce choix ? 

Le principe d’inviter une langue est en place depuis 3 ans, et après l’anglais et l’espagnol, cela me semblait évident. Parce qu’elle est la troisième langue parlée dans le monde, et parce qu’elle est la deuxième parlée en France. La richesse patrimoniale traverse ce festival, tout est traduit en arabe…

Avez-vous fait un travail auprès du public français arabophone ? 

Oui, cette langue, et en particulier le partenariat avec l’institut du monde arabe et le spectacle autour d’Oum Kalthoum, nous a permis, contrairement aux langues invitées les années précédentes,  d’aller vers des publics nouveaux, arabophones, du territoire. Des collégiens, des lycéens des spécialités théâtre, intéressés par les répertoires en langue arabe, même si beaucoup le parlent et ne  le lisent pas, et que les langues arabes sont multiples. Nous avons collaboré avec les bibliothèques d’Avignon, cherché des fables inspirées du territoire, travaillé avec des associations du champ social et médico-social, avec la Maison de s femmes. Une approche du public qui est clairement inédite pour nous. Bouchra Ouizguen, chorégraphe marocaine,  a travaillé avec des amateurs du territoire et présentera They always come back le 4 juillet en avant-première, puis les 5 et 6 pour deux représentations gratuites devant le Palais des Papes. 

Il semble qu’on entendra peu la langue arabe, il y a beaucoup de danse et peu de théâtre….

Oui, je comprends cette remarque. On aurait pu avoir plus de théâtre en langue arabe, on en aura d’ailleurs l’année prochaine, programmer des formes théâtrales prend plus de temps. Mais on entendra de l’arabe, des arabes, de Syrie, de Palestine, d’Égypte, d’Algérie. Nour, programmé avec l’Institut du Monde Arabe, fera le tour des poésies de ces pays, en faisant entendre à la fois leur richesses et leurs différences. Le Syrien Wael Kadour, le Palestinien Bashar Murkus écrivent et jouent en arabe. Et on va  voir la langue, tout sera sous titré en arabe, il est déjà dans toutes nos pages de programme. 

D’ailleurs les spectacles de danse parlent aussi. Ils expriment  l’exil forcé, le corps déraciné, d’une façon particulière, ce qu’on verra dans le spectacle produit avec les hivernales du tunisien Mohamed Toukabri. On entendra aussi la langue arabe dans les radio live d’Aurélie Charon. Et puis on pensera aussi le rapport à la langue arabe en France, les problématiques de l’enseignement, des ces arabophones analphabètes dans leur langue faute d’enseignement de l’écrit. Au Café des idées Leila Slimani parlera aussi de son rapport à la langue arabe. Ce qui m’intéresse, c’est que le festival bruisse de langues différentes et de pensées sur la langue. On s’assume polyglottes et internationaux. 

Interstellaire même… Votre spectacle, La Distance, est une dystopie qui retrace un dialogue épistolaire entre un père et sa fille. Lui habitant une Terre devenue désertique, elle ayant choisi l’exil sur Mars…

Dystopique je ne dirai pas ça, je l’ai pensé comme une anticipation malheureusement, cela ne dépeint pas une société imaginaire, il est probable que la terre devienne inhabitable. On est loin de la fantaisie, les données scientifiques  sont documentaires… Je situe cela dans 50 ans , en 2077, la fille est sur Mars, il s’agit aussi de savoir comment dialoguer avec autant de distance, comment rendre compte des troubles de ces deux mondes, comment aussi le conflit de génération se poursuit, conflit que l’on trouve aujourd’hui entre une jeunesse qui se sent sacrifiée par les modes de consommation de notre génération.

Notre génération… vous vous projetez plutôt dans le père ? 

J’ai l’âge d’Adama Diop, comédien  avec qui je travaille depuis 4 ans, depuis La Cerisaie, et Dans la mesure de l’impossible. Alison Deschamps est une brillante et très prometteuse, et très jeune comédienne. Je l’ai vue dans des projets d’école du TNB (École supérieure d’art dramatique de Bretagne ndlr), elle est bouleversante. Avec eux on a commencé  à imaginer une correspondance, avec une dimension de transmission évidement, due à nos âges respectifs.

Comment se traduit sur scène cette Distance ?

Tout l’enjeu de la mise en scène repose sur ce défi de créer une distance alors qu’ils partagent le plateau. J’ai pensé à la circularité, donc à une tournette, ils ne se rencontrent jamais. Ou presque. Peut-être une fois. Les grandes décisions je les prends à la fin, la procrastination est un ressort de la création … 

Vous écrivez donc jusqu’au bout, et changez vos textes au plateau ? 

J’écris surtout au plateau. Je viens de finir le texte hier (entretien réalisé le 20 juin ndlr ), il est très inspiré des recherches faites en répétition, j’écris tous les matins pour répéter l’après-midi. Ce que je cherche, c’est écrire des pièces qui sont des imaginations partagées. Cela rend le processus d’écriture fiévreux et intéressant. On se demande ce qu’on va jouer et pas seulement comment on va le jouer. Toute l’équipe de création participe à l’écriture, mais surtout les comédiens.  J’écris le texte, mais il vient d’eux. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

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Le Canard Sauvage

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© Debora Mittelstaedt

Régulièrement, Thomas Ostermeier retrouve son Opéra d’Avignon. En 2004, un salon était surplombé par aquarium géant pour Nora et la Maison de poupée d’Ibsen. En 2012, Ibsen encore : le quatrième mur s’effondrait pour les besoins d’une assemblée générale scène-salle dans Un ennemi du peuple . En 2015, un détour par Shakespeare : au sein d’une boîte noire, cernée de mignardises à l’italienne, rôdait le plus sociopathe des monarques, Richard III. 

Cette année Ostermeier retrouve Henrik Ibsen pour Le Canard Sauvage. Au même titre que Un ennemi du peuple, publié deux ans plus tard, la pièce questionne la vérité. Au culte de la loyauté, exalté par le héros Un ennemi, le protagoniste central du Canard répond par le bon usage du mensonge.

Une fois encore, le co-directeur de la Schaubühne-Berlin écaille le vernis qui enlumine une famille en apparence sans histoire. Fidèle à ses approches, le dramaturge s’approprie le texte original dont il resserre la durée et actualise le vocabulaire. D’autre part, les caractères féminins sont étoffés, en harmonie avec les inclinations du moment. 

De quelle manière Thomas-le rusé aborde-t-il un espace qu’il connaît mieux que jamais ? On n’en dira pas plus, sinon que ça tourner et tournebouler, cet été à l’Opéra du Grand Avignon.  

MICHEL FLANDRIN

Du 5 au 16 juillet, 17h
Opéra du Grand Avignon

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De la musique et des pensées 

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Public au Théâtre de l’Archevêché lors de la représentation de l’opéra Madama Butterfly de Giacomo Puccini (1858-1924) le samedi 13 juillet 2024. Festival d’Aix-en-Provence. © Vincent Beaume.

Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence depuis 2018, le metteur en scène libano-britannique a marqué le festival par son audace artistique et son engagement en faveur de la création contemporaine. Une excellence qui n’avait pas évité au festival de connaître une situation économique dramatique en 2024. Lors de la présentation de l’édition 2025, Pierre Audi s’était cependant félicité du redressement financier rendu possible « grâce à l’État, les collectivités territoriales, les mécènes, la qualité de l’équipe et les nombreux amis ». Dans un coin de sa tête aussi, la perspective pour le festival de recevoir le prix Birgit Nilsson 2025, qui lui sera décerné quelques semaines après la mort de son directeur. Une première pour une institution culturelle, qui outre le prestige, lui assure une enveloppe de 1 million d’euros. 

« Désir destructeur, émancipateur, métamorphoses » : tels sont quelques-uns des thèmes que Pierre Audi avait choisis pour structurer un programme conçu et présenté de son vivant. Cette édition endeuillée, nul n’en doute, prendra la forme d’un hommage vibrant à celui qui en fut l’architecte passionné.

Don Giovanni Saison 8

Parmi les temps forts de la programmation on peut noter le retour, pour la huitième fois, de Don Giovanni à AixLa mise en scène a été confiée à Robert Icke. Figure du renouveau théâtral britannique, connu pour ses adaptations théâtrales audacieuses de classiques comme Hamlet ou Oresteia, il fait ses débuts dans le monde de l’opéra ; une première incursion quipromet une relecture innovante de l’œuvre de Mozart, en collaboration avec le chef d’orchestre Sir Simon Rattle, à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise. Le chef anglais, habitué d’Aix n’y a cependant jamais dirigé Mozart.

Tout autre registre pour Louise de Gustave Charpentier, œuvre peu connue que Pierre Audi tenait à remettre en lumière, convaincu de sa portée politique et poétique. Cet opéra naturaliste parle des rêves d’une jeune femme dans le Paris ouvrier de la Belle Époque et dece monde en mutation traversé par les luttes sociales, les aspirations féminines, le désir d’art et de liberté. La soprano Elsa Dreisig incarnera le rôle-titre.

Baroque et boudhisme

Après Elena et Erismena au Théâtre du Jeu de Paume en 2013 et 2017, le festival poursuit sa découverte de l’œuvre de Francesco Cavalli avec La Calisto, opéra inspiré des Métamorphoses d’Ovide, qui sera donné au Théâtre de l’Archevêché, par l’Ensemble Correspondances sous la direction de Sébastien Daucé, référence dans l’interprétation de la musique baroque.

L’exploration des formes contemporaines, si chère à Pierre Audi, sera représentée par The Nine Jewelled Deer, (le cerf aux neufs couleurs) création de la compositrice Sivan Eldar et de l’autrice et chanteuse américaine de tradition indienne Ganavya Doraiswamy en coproduction avec Luma Arles. Inspirée de légendes bouddhiques, cette œuvre métisse les langages, musique expérimentale, électronique, chant traditionnel, poésie et narration visuelle, pour interroger la compassion, le sacrifice et la transmission. 

Place à la voix

On se la répète de port en port… Et pourtant, l’histoire de Billy Budd reste une énigme : comment ce beau marin apprécié de tous a-t-il pu finir criminel, pendu à la vergue de son navire ? Le génial Britten (1913-1976) et ses librettistes s’étaient saisis de ce court roman inachevé de Melville pour en créer un opéra. Le compositeur britannique Olivier Leith, reconnu pour son approche expérimentale, mêlant musique classique, électronique et influences visuelles, en propose une adaptation musicale au format opéra de chambre avec six chanteurs – issus de la Résidence Voix de l’Académie 2025 – et mis en scène par l’Américain Ted Huffmann qui revient pour la quatrième fois à Aix. Il y interrogera la dimension queer de l’œuvre et proposera une méditation politique et métaphysique sur ce qui fait notre humanité, cimente ou anéantit une collectivité.

Deux œuvres majeures du répertoire romantique seront présentées en version concertante. Les Pêcheurs de perles, premier opéra de Bizet aux lignes mélodiques envoûtantes et son atmosphère orientalisante, dirigée par Marc Minkowski avec les Musiciens du Louvre et le Chœur de l’Opéra Grand Avignon. Et La Forza del destino de Verdi, cette fresque tragique où le destin s’acharne avec une intensité presque shakespearienne portée par Daniele Rustioni et le Chœur et orchestre de l’Opéra de Lyon. L’événement signe la première collaboration avec Les Chorégies d’Orange

Le festival accueillera aussi des récitals très attendus, notamment ceux du contre-ténor Jakub Józef Orliński, virtuose aussi à l’aise dans le baroque que dans la breakdance et du ténor Jonas Kaufmann, monument incontournable de la scène lyrique internationale, dont la venue dans un programme Strauss, Mahler, s’annonce comme l’un des événements phares de l’édition.

En attendant la nomination officielle dans les mois à venir du successeur de Pierre Audi, la direction artistique de l’événement a été confiée à Bernard Foccroulle. Directeur général du Festival de 2007 à 2018, c’est peu dire qu’il connaît bien la maison. Il sera chargé d’assurer la continuité de cette édition si particulière. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Festival d’Aix-en-Provence
Du 4 au 21 juillet
Divers lieux 

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À Vitrolles, la dub provençale 

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SR. Wilson © X-DR

Chaque été depuis 2010, l’association Musical Riot propose un rendez-vous connu de tous les amateurs de reggae de la région, sinon de France. D’abord installé à Aix-en-Provence puis à Vitrolles au Domaine de Fontblanche, le Dub Station Festival avait finalement pris place l’an dernier dans le Stadium de Vitrolles. L’édition 2024 réussie, il retourne ici pour une deuxième année, les 27 et 28 juin, pour des grosses basses, du soir au matin. 

La première soirée rentre directement dans le vif, avec le très attendu DJ set reggae de Stand High Patrol, connu pour s’accompagner sur scène d’une… trompette. Attendu aussi, le Woodblocks sound system venu de Grenoble, qui devrait assurer un show à la qualité artistique et technique enthousiasmante. Le même soir, on attendra aussi une touche jazz, avec le feat réunissant MrZebre et Fransax, ou encore Alpha Stappal et Rootical 45

La deuxième soirée accueille ensuite une des têtes d’affiche du festival avec les excellents suisses d’O.B.F. Soundsystem, qui tournent depuis déjà 20 ans, et dont la réputation d’excellence n’est plus à prouver dans le milieu. Une multitude d’artistes marcheront dans leurs pas, avec notamment Charlie PWise RockersEsaïa ou le Boxmen Crew

« All tribes, welcome ! »

Cette année encore les artistes invité·e·s représentent une belle diversité de cultures et de styles musicaux… Mais pas tellement de genre, la programmation étant cette année encore essentiellement masculine. À l’image de la scène reggae ? 

SONIA CONDESSE 

Dub Station Festival
27 et 28 juin
Stadium de Vitrolles

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Caraïbes, Asie, et Miramas 

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Queen Rima © X-DR

C’est un rendez-vous qui tient à ses principes. Depuis 1994, le festival Nuit Métis offre une programmation marquée par le voyage, la découverte, et le tout gratuitement. Pour ne rien gâcher à l’affaire, c’est dans le cadre plus qu’agréable du plan d’eau de Saint-Suspi qu’il se tient cette année encore, avec Nuits Métis avec un accent particulier sur les musiques caribéennes. Une 32e édition à découvrir du 24 au 28 juin.

C’est à la MJC Miramas que s’ouvre cette nouvelle édition, avec en invité le duo Yacarés et son du reggae funk-rock aux sonorités latines. Le même soir, il faudra se déplacer au théâtreLa Colonne, où Diva Syndicat met à l’honneur l’histoire des femmes dans la musique sous un angle humoristique et burlesque.

Les jours suivants se passent au plan d’eau de Saint-Suspi avec des belles têtes d’affiche. Le duo marseillais Baja Frequencia qui mêle acid techno, dub, électro et reggaeton. Le lendemain, la chanteuse brésilienne Flavia Coelho rend hommage aux femmes avec son nouvel album Ginga entre ballades sensibles et rythmes cariocas ou baile funk.

Parmi les autres artistes à être sur scène se trouve Baby Sharon, qui incarne la nouvelle génération décomplexée et combattante, d’une voix agile et bluesy, sur du nu-soul, jazzhouse, hip hop et reggaeton. Passe aussi Shubiao Quartet qui allie transes et chant diphonique avecle XXIe siècle européen.

Avant la clôture du festival par Queen Rima, le binôme Olkan & la Vipère rouge propose une techno organique et méditerranéenne, alimentée de saz, de guitare, voix et percussions,sur des effluves turcs et des rythmes du Maghreb. 

Nuits Métis met également en avant les fanfares, avec notamment la Batucada de la famille Géant ainsi que le Bioco fanfare Ulalaô qui déambuleront chaque soir parmi les festivaliers. 

LAVINIA SCOTT

Nuits Métis à Marseille aussi 

En amont du festival, le 20 juin, un concentré de Nuits Métis est donné sur le toit de la Friche la Belle de Mai à l’occasion d’une de ses soirées « On Air ». Sur scène, la chanteuse guinéenne, reine du dance hall, Queen Rima, débute la soirée avec ses rythmes reggaeton sur ses paroles féministes et engagées. Elle est suivie des déambulations de l’ensemble percussif Batucada de la famille Géant, qui réunit des dizaines d’artistes professionnels et amateurs sous la direction de Laurent Rigaud. Ils sont accompagnés d’une famille de marionnettes géantes créée par la Cie Caramantran. Pour finir, la Cie s’évapore allie acrobaties circassiennes, musique improvisée et « radiophonie et paysage ». L.S.
Nuits Métis
Du 24 au 28 juin
Au Théâtre La Colonne, la MJC 
et le plan d’eau Saint-Suspi, Miramas

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Embrun de liberté 

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Le Peuple de l'herbe © X-DR

Quel meilleur contexte que celui de la militarisation générale pour revendiquer la culture hippie ? Cette année encore, l’association Kaya installe deux scènes en haut des falaises des jardins du Roc d’Embrun du 11 au 13 juillet, pour la 14e édition du Trad’in Festival. La programmation de cette année se veut festive et engagée, partagée entre rock, fanfare, et bien des styles qui couvrent une belle diversité des musiques de notre monde.  

L’événement s’ouvre avec rythme et guitare électrique. Le groupe de metalcore Helixia, qui émerge de la scène haut-alpine, et qui se produira pour la première fois dans ce festival. Pour un anarchisme désabusé et festif, voici Poésie zéro, dont la simplicité des paroles nous ferait presque oublier leur caractère révolutionnaire. Toujours dans le punk rock français, vient ensuite Didier super et sa plume aussi ironique que sa voix. Enfin dans un registre radicalement différent, Shental nous fait voyager entre Allemagne et rythmes des Balkans aux airs de fanfare.

Le monde est violon 

La deuxième soirée met à l’honneur la culture occitane, dans les textes engagés de Nux Vomica et Goulamas’K, dans une ambiance festive orientée reggae. Mais aussi des sonorités électroniques, couvrant un large spectre. La cumbia et chamamé de La Yegros ; et le hip-hop/reggae des historiques Le peuple de l’herbe

Le festival se clôture le 13 juillet en toute mixité. On part avec de la cornemuse et du rock celtique des Toxic frogs, on passe par le violon en rythme latino de Orange blossom, et on finit avec des cuivres et du rock alternatif, avec La Ruda. Sans oublier la première partie mystère, et le bal en occitan qui commencera dès 17 h. 


SONIA CONDESSE

Trad’in Festival 
Du 11 au 13 juillet
Jardins du Roc, Embrun 

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Déambuler dans les jardins aixois

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Philippe Azema , Axe des cents crayons, Circa 2019. Peinture : encre. 64 x 51 cm © X-DR

Depuis 2007, sous l’impulsion d’Andréa Ferréol, comédienne passionnée à la verve piquante, les Flâneries d’Art Contemporain ouvrent chaque année les portes des plus beauxjardins privés du quartier Mazarin à Aix-en-Provence. On y flâne, on s’émerveille, on rencontre, on partage. Cette manifestation gratuite, est portée par l’association Aix en Œuvresqui met à l’honneur l’art contemporain sous toutes ses formes. 

L’édition 2025 est particulière puisqu’elle coïncide avec l’Année Cézanne, célébrée par la Ville d’Aix. Hommages seront rendus au peintre dans une ambiance à la fois intimiste et festive. Pas de grand discours, mais des voix : celles de comédiens Sophie Barjac, Bruno Raffaelli, Jacques Pessis lisant sa correspondance dont ses échanges rugueux et tendres avec Émile Zola. Ils seront accompagnés de musiciens, comme Alexis Tcholakian. De son côté, Michel Fraisset, historien de l’art, viendra, éclairer l’œuvre du peintre. D’autres célébrationssurgiront aussi, ici ou là, au détour d’un bosquet, comme une lecture inattendue de textes de Pierre Dac.

Une galerie à ciel ouvert

Dans ces jardins extraordinaires, transformés en galerie à ciel ouvert se croisent toutes les disciplines. Quatorze artistes plasticiens, viendront partager leurs mondes entre sculpture, photographie, assemblage de ferraille ou création de bijoux. On pourra admirer les œuvres de David David, David Mansot, Philippe Azéma, Wilfrid Bricourt ou du Tunisien Foued Mokrani

On appréciera particulièrement l’univers du Belge Fabrice Magnée. Autodidacte et poète du métal, il assemble de vieux clous – certains ont mille ans –, récupérés sur des chantiers ou des édifices religieux pour créer des personnages porteurs de la mémoire ouvrière.

On va découvrir également le travail singulier de la peintre arménienne Evgenia Saré. Formée aux Beaux-Arts d’Erevan, elle étonne avec ses petits elfes baroques semblant sortisd’un tableau de Jérôme Bosch. Laissons-nous porter enfin par la poésie des sculptures textiles touchantes et vivantes de Rebecca Campeau ou des oliviers de la dessinatrice aixoise Véronique Lecoq qui façonne des œuvres épurées en puisant son inspiration dans la nature.

Côté musique, les instants suspendus ne manqueront pas : le public pourra entendre les clarinettes d’Auguste Voisin et Benoît Philippe, la harpe d’Ameylia Saad Wu, le violon de Christian Fromentin, ou Gayané Gharagyozyan, jeune pianiste prodige de 14 ans. Le duoformé par Léa Desandre et Thomas Dunford promet un moment de grâce baroque au luth et à la voix.

De son côté, la comédienne Christine Murillo jouera Pauline et Carton ; Alex Vizorek mêlera humour et musique dans Fou de sport, en duo avec l’accordéoniste Pascal Contet et Clément Fréze, mentaliste facétieux et bluffant, qui fait perdre la boule. Deux jeunes danseurs, Laura Deleaz et Lorenzo Dallaï, offriront une performance poétique dans les allées. Et pour la première année, les enfants seront de la fête : les clowns Pipoune et Henri, les accueilleront dans un jardin rien que pour eux.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Flâneries d’art contemporain 
Du 20 au 22 juin 
Divers lieux, Aix-en-Provence

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Brel

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BREL, Anne Teresa De Keersmaeker et Solal Mariotte, 2025 © Anne Van Aerschot

Anne Teresa de Keersmaeker conjugue toujours intimement sa danse avec les musiques qu’elle choisit. Qu’elle soit contemporaine, répétitive, impressionniste, renaissante, classique ou hip-hop, elle sait toujours faire voir ce qui en fait l’essence. 

En traçant des cercles sur le sol, en suivant les chemins de chaque instrument, en retraçant les voies des mélodies et contrechamps, en s’attardant au boisement d’un timbre, elle fait surgir en images et en mouvements, en progression dramatique, le sens des sons, traversant pourtant des univers musicaux très différents qu’elle semble, chaque fois, appréhender dans leurs architectures.

C’est avec Solal Mariotte, merveilleux danseur de breakdance formé aussi à PARTS, qu’elle va remonter sur scène pour danser les chansons de Brel. On se souvient avec quelle douceur et intensité elle avait dansé les chansons de Joan Baez il y a 20 ans. Quelle essence vont-ils, tous deux, faire sortir de Brel, au sein de l’intimidante carrière Boulbon et de sa pierre nue ? Sa théâtralité, ses gestes, ses rythmes, ses envolées, le sens de ses mots ? Sans doute une vision que nous avons déjà tous en tête, sans en avoir tout à fait conscience… 

AGNÈS FRESCHEL

Du 6 au 20 juillet
Carrière de Boulbon

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