lundi 2 septembre 2024
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Philippe Pujol : « Le Monstre, c’est moi, c’est vous »

Ancien journaliste à La Marseillaise et prix Albert-Londres 2014, Philippe Pujol révèle dans ses ouvrages La Fabrique du monstre (2015) et La Chute du monstre (2019) ce qu’il y a de pourri dans la cité phocéenne. Entre trafic de stupéfiants, règlements de compte, corruption immobilière et clientélisme électoral. Il poursuit ce travail avec Cramés – Les enfants du monstre (Julliard), à découvrir ce 4 septembre en librairie, dans lequel il s’intéresse à cette jeunesse happée par les réseaux de drogues et de prostitution

Zébuline. Quel est le thème du troisième tome de votre « trilogie » marseillaise ?
Philippe Pujol.
Il n’était pas prévu que j’écrive un troisième livre mais le sujet s’est imposé. La Fabrique du monstre était une analyse des liens entre système politique, économique et banditisme. Ils ne sont pas spécifiques à Marseille mais ici la situation est devenue systémique. La Chute du monstre était un pamphlet sur les logiques mafieuses qui ont conduit au drame de la rue d’Aubagne en 2018. Le prochain, Cramés (Julliard)aurait pu s’appeler Les Enfants du monstre. C’est un livre de littérature du réel qui s’intéresse aux répercussions des réseaux sur la jeunesse. Les trois peuvent se lire dans n’importe quel ordre. Elles sont les différentes faces du Monstre.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la jeunesse ?
Parce que les très jeunes sont désormais au cœur des réseaux. Le grand banditisme a compris que les règlements de compte n’étaient pas bons pour les affaires. Vous avez la police sur le dos, la concurrence, les ventes de terrains… Ils se consacrent désormais à l’import-export. Ce sont des grossistes de la drogue. Ils ont délégué le « terrain » aux « petits » qui passent leur temps à s’entretuer pour des histoires de dettes ou de sanctions. C’est une forme d’ubérisation, comme il en existe dans d’autres domaines. Les « détaillants » comme les Yoda et Dz Mafia [deux réseaux qui se sont livré une guerre sanglante ces dernières années, ndlr] ou La Frappe– le nouveau gang qui monte –, ne sont ni plus ni moins que des marques, des« franchisés », comme McDo, qui communiquent avec leurs visuels ou grâce aux liens avec certains rappeurs. Les plus forts exploitent ceux qui ont le plus de vulnérabilités : les sans-papiers, ceux qui ont des handicaps, des troubles mentaux, des problèmes familiaux. Ils fabriquent aussi des « bébés tueurs » en sélectionnant les plus perturbés et les font monter en violence. Dans ce livre très romancé, je suis l’itinéraire de deux garçons et deux filles dans les milieux de la drogue et de la prostitution. Ces jeunes je les connais, je les ai vu naître. J’ai vu comment Le Monstre les a captés en les transformant soit en bourreaux, soit en esclaves. Derrière eux, il y a milliers de gamins « cramés ».  

Dans une République qui fonctionne on doit s’occuper de tout le monde

Les jeunes filles sont-elles aussi concernées ?
Le milieu des « stups » est réactionnaire. Si quelques-unes sont à leur compte, elles ne sont pas représentatives. Elles jouent les « chèvres » qui attirent un concurrent qui sera torturé, tué, les « mules »qui transportent la drogue. Elles sont surtout victimes des « loverboys », ces dealers qui font prostituer leurs copines d’abord pour payer leurs dettes puis uniquement pour ramener des sous. Elles sont « recrutées », mineures dans les foyers de l’Aide sociale à l’enfance « les foyers de putes », comme on dit dans le milieu. Elles devraient être mises à l’abri. Elles sont jetées dans la prostitution. Les éducateurs font un boulot extraordinaire mais leurs moyens sont dérisoires.

Qui est le « monstre » ?
Le monstre, ce n’est ni Gaudin, ni les dealers. Ils en sont les alliés ou les soldats. Le Monstre, c’est la défaillance de la République face aux plus vulnérables de la société. C’est le manque de prévention dans la santé mentale dans les quartiers populaires, ce sont les moyens insuffisants donnés aux associations, c’est vouloir « faire des sous » dans l’immobilier sans être conscients des conséquences. Le Monstre, c’est moi, c’est vous, c’est s’enfermer dans son indifférence et croire que les dealers, les salopards ce n’est pas notre histoire. Dans une République qui fonctionne on doit s’occuper de tout le monde. Ceux que l’on abandonne se radicalisent dans la délinquance, la religion ou l’extrémisme politique et se vengent.

Vous vous êtes d’ailleurs retrouvé sur une liste de personnalités, journalistes, avocats, menacées par un groupe d’extrême droite.
Le fait de s’attaquer à ceux qui dénoncent les systèmes corrompus ou soutiennent les plus fragiles n’est pas anodin. L’extrême droite a besoin de « vulnérables » en nombre pour progresser. Dans cette période très chaotique, il faut s’armer d’une grande lucidité et bien analyser la situation. C’est pourquoi je travaille à créer un Observatoire des vulnérabilités et je sollicite les institutions en ce sens. Il s’agirait de travailler sur toutes les zones d’exploitation des faiblesses par exemple dans le monde économique et sur la manière dont se construisent les vulnérabilités, qui ne sont pas forcément des inégalités. Ce serait aussi un centre de ressource de solutions, en particulier celles apportées par les gens de terrain que l’on ne doit pas seulement utiliser comme sources d’informations statistiques, mais former à raconter des processus sous une forme de récit narratif.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU

Une rencontre avec Philippe Pujol est organisée à la librairie Maupetit (Marseille) ce 6 septembre à 18 heures.

Cramés – Les enfants du monstre, de Philippe Pujol
Juillard – 19,90 €
Sortie le 4 septembre 
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