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Piers Faccini  : « Un concert, c’est une autre façon de raconter une histoire »

Venu en voisin depuis son éden cévenol, le songwriter à la voix délicatement feutrée Piers Faccini est en concert à Saint-Jean-de-Védas ce jeudi 13 avril. Une des dernières dates de la tournée pour son septième album Shapes of the fall, sorti en 2021. Entretien

Zébuline. Dans Shapes of the fall, vous abordez la crise écologique à travers le mythe de la perte du jardin d’Éden, et pourtant il en émane une énergie tellement positive !

Piers Faccini. Le premier morceau de l’album s’intitule They will gather no seed : c’est la complainte du vivant, comme si toutes les formes du vivant chantaient ces mots du refrain « rendez-moi ma maison», « bring me my home back ». C’est aussi un clin d’œil au mythe de l’expulsion du jardin d’Éden. De là, on tente de remonter la pente. Tout au long de l’album, j’ai essayé de trouver un équilibre entre le clair et l’obscur, entre la complainte, et l’opposé de la complainte qui est la danse, une forme de transe qui nous amène de l’obscurité vers la lumière. Je ne souhaitais pas faire quelque chose de trop sombre sans pour autant détourner le regard de l’urgence. Je me suis inspiré de modes musicaux et de rythmes liés à des contextes où la musique est synonyme de nourriture pour l’âme ou quand elle est utilisée pour la guérison dans des cérémonies de transe. C’est le cas de la tarentelle et d’une autre musique venue de l’autre côté de la Méditerranée, au Maghreb, où il y a également une grande tradition de musique de transe. C’est un peu comme si on appelait les anciens à l’aide !

Des exemples de ces rythmes guérisseurs ? 

Il y a le morceau All aboard, dans lequel je suis accompagné au chant par Ben Harper et Abdelkebir Merchane, un maître gnawa du Maroc. On peut entendre le rythme de la tarentelle dans la deuxième partie de la chanson Lay low to lie. Ce sont des aspects qui sont davantage mis en avant dans les concerts. Écouter un album a une dimension très intime. Un concert, c’est une autre énergie, une autre façon de raconter une histoire. En live, il y a des moments plus rythmiques, pendant lesquels on sent encore plus la transe.

Vous parlez souvent de l’aspect chamanique de la voix ?

Avant même notre naissance, on entend la voix de notre mère et le rythme du battement de son cœur. La voix, pour moi c’est le premier instrument. Il se passe quelque chose de très mystérieux quand on chante. La voix a ce rôle, elle porte un message que l’on pourrait appeler énergétique, que l’on ne peut pas réduire à des mots. C’est quelque chose qui nous fait du bien, qui nous rappelle que nous sommes des êtres émotionnels, que nous avons besoin de sentir pour vivre en empathie. C’est pour ça que je parle de l’aspect chamanique de la musique, mais évidemment à aucun moment je ne me dis chamane !

Cet album est encore une fois une exploration des traditions musicales d’hier et d’aujourd’hui, notamment méditerranéennes. Quelle richesse !

Je me vois comme un archéologue de la chanson, j’aime remonter le temps et observer que le cheminement harmonique que l’on retrouve dans les chansons d’aujourd’hui est relié à une époque où les musiques étaient modales en Europe. Même si les technologies et les instruments évoluent, beaucoup a été déjà fait depuis très longtemps. Et je ne parle pas des années 1960-70. Quand on écoute les musiques traditionnelles de partout dans le monde, on réalise que c’est extrêmement riche. Si on enlève l’habillage de surface et qu’on regarde la structure, la morphologie de la chanson, peu de choses ont évolué. Ce qui change c’est le langage, ce qu’on raconte et comment on le raconte.

Beating drum, votre label indépendant, fête cette année ses années ses dix ans. C’est une belle réussite !

C’est une belle aventure, celle du libre-choix artistique, au cœur même de la décision de monter ce label : pouvoir être vraiment indépendant artistiquement, et que la ligne artistique ne soit jamais un compromis. 

Si officiellement j’ai sorti sept albums, en réalité j’en ai fait beaucoup plus. J’ai édité deux livres-disques, Songs I Love et No One’s here, ce dernier étant un disque instrumental accompagné par un livre de poésie. J’ai aussi fait énormément d’éditions limitées en vinyle. Ce label, c’est la liberté de m’exprimer quand je sens que j’ai quelque chose à dire et partager ça avec la communauté de gens qui me suit et qui aime ce que je fais. Aujourd’hui, un disque se défend beaucoup en streaming, les CD on en vend de moins en moins, comme toutes les maisons de disques. Ce qui compte c’est que les salles soient pleines en concert ! Je me réjouis de finir la tournée en quintet à Saint-Jean-de-Védas, après avoir fait plus de cent concerts en deux ans et demi.

Un nouvel album à venir ? 

J’écris régulièrement, j’ai toujours pas mal de chansons dans mes tiroirs. J’ai la chance de pouvoir beaucoup tourner, alors je ne me sens pas dans le besoin de me précipiter sur un autre album. J’ai encore quelques mois de concert devant moi. Quand je me sentirai prêt à raconter une autre histoire, je sortirai tout du tiroir et je regarderai ce que j’ai à dire.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ALICE ROLLAND

Piers Faccini © X-DR

Un poète au diapason de la nature 

Pour les Montpelliérains et les Nîmois, il est un voisin. Pour le reste du monde, c’est un auteur-compositeur-interprète anglais – aux origines italiennes par son père – qui vit quelque part dans le Sud de la France. Déjà presque vingt ans que Piers Faccini a fait des Cévennes son nid de création et de vie, puisqu’il y habite avec sa femme et ses deux enfants. Révélé par l’album Leave no Trace en 2004, Piers Faccini s’est très vite fait une place bien à lui sur la scène musicale avec une folk rock épurée et une voix aussi feutrée que mélodique. Depuis, à travers six autres albums et de nombreuses collaborations (Vincent Segal, Ballaké Sissoko, Ben Harper…), il a tracé son sillon singulier marqué par une curiosité pour les sonorités folkloriques d’Afrique, d’Orient et d’Europe tout comme les musiques anciennes venues d’un autre âge, célébrant la différence et le métissage. Sorti en 2021, son septième dernier album Shapes of the Fall a été récompensé en France d’une Victoire du jazz « Album musique du monde » mérité. En 2013, il a créé son propre label indépendant Beating drum avec lequel il produit d’autres artistes et réalise de nombreux disques objets inédits (vinyles, livres-disques), mettant à profit ses talents de peintre et plasticien. Il organise depuis 2011 La route de la Voix : de petits concerts intimistes dans les petites chapelles romanes des Cévennes pour desquels il invite ses amis musiciens à jouer avec lui en acoustique. Récemment il a évoqué en interview son envie de créer un « lieu de partage » de la culture, entre culture artistique et culture des plantes, dans le petit coin du Parc national des Cévennes où il retape une maison ancienne. A.R.

Piers Faccini 
(Et le trio Zephyr en première partie)
13 avril 
Chai du Terral, Saint-Jean-de-Védas
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