mercredi 2 octobre 2024
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Repères dans le In

Le Festival d’Avignon, festival de création, donne à voir dans notre région les tendances les plus diverses, innovantes mais souvent volontairement low tech, de la scène théâtrale contemporaine

Créé par Jean Vilar pour être le fer de lance d’un théâtre pour tous, d’un théâtre de service public, d’un théâtre populaire, il reste un lieu de débats et de batailles. Passionnant, et risqué, comme tout festival de création. Quelques recommandations, parmi ce que nous avons vu, et celleux que nous attendons avec impatience.

KRUMP

Bintou Dembelé ouvre le Festival d’Avignon avec G.R.O.O.V.E, et c’est une révolution. Bien sûr il y a eu quelques femmes au Festival, quelques noirs, plutôt africains que français. Mais une femme noire française venue du hip-hop et traquant les traces de l’esclavage français, jusque dans les Indes Galantes de Rameau dont elle a magnifiquement dynamité la «Danse des Sauvages » ? La charge subversive de Bintou Dembelé ne s’arrête pas à ce geste opératique. La déambulation de trois heures qu’elle propose, avec quatorze danseurs, une chanteuse et un guitariste, part du cinéma Utopia qui projette un film sur le marronnage en Guyane, s’arrête sur le parvis de l’Opéra, place habituelle du hip-hop et du krump, avant d’entrer dans le théâtre, et d’y rendre un hommage aux cultures noires et aux cultures de rue. Par la danse, la musique, les mots, la voix, le rituel, qu’elle conçoit comme un tout.  Pour changer notre regard, déstructurer nos références culturelles colonisées, et nous faire voir autrement notre monde commun.

G.R.O.O.V.E
Création 2023
De Bintou Dembelé
Du 5 au 10 juillet à 17 h, relâche le 7
Déambulation

Notre grandeur

Julie Deliquet dans la Cour est une autre révolution. Parce qu’aucune metteuse en scène n’a eu cet « honneur » depuis Ariane Mouchkine, mais aussi par le sujet qu’elle aborde, et comment. La directrice du Centre dramatique de Saint-Denis aime adapter le cinéma au théâtre, y trouver des espaces nouveaux, des incarnations différentes, avec des corps vus de plus loin mais dans le réel et le présent, toujours incertain et unique, de la représentation théâtrale. Elle aime « la puissance des dialogues » de certains films, et les porte sur scène. Pourtant Welfare est l’adaptation d’un documentaire : les dialogues viennent du réel et où les personnages y sont des personnes aux parcours chaotiques et cabossés. Ce sont des oubliés, qui dans le film de Frederick Wiseman sont des candidats à l’aide sociale à New York, dans les années 1970. Mères célibataires, chômeurs, travailleurs pauvres, sans abris… Les incarner, aujourd’hui, au palais des Papes, dit leur offrir une universalité et une grandeur inespérées. Auxquelles ils ont droit.

Welfare
Création 2023
De Julie Deliquet d’après Frederick Wiseman
Du 5 au 14 juillet à 22 h, relâche le 9
Cour d’honneur du Palais des Papes
Welfare, de Julie Deliquet © Louise Guignon

Mémoire du coeur

Il faudra attendre la fin du Festival pour voir une œuvre du nouveau directeur. Avec By Heart, Tiago Rodrigues a créé une pièce bouleversante. Parce qu’il y parle de sa grand-mère qui devient aveugle et veut, très vite, apprendre par cœur ce qu’elle ne saura plus lire. Parce qu’il nous demande, à nous spectateurs, de le rejoindre sur scène pour apprendre aussi, et réciter. Parce que cela parle de théâtre, de ce que la mémoire doit au jeu, et vice versa. Des sonnets de Shakespeare, de Pasternak et de tous ceux qui ont dû apprendre par cœur pour ne pas perdre le fil. Dix ans après la création, alors que notre « mémoire » repose plus que jamais sur nos appendices électroniques, l’éloge du By Heart, est de plus en plus tendre, et nécessaire. En anglais, comme en français, apprendre Par cœur c’est mémoriser de l’amour.

By Heart
De Tiago Rodrigues
Le 25 juillet à 22 h
Cour d’honneur du Palais des Papes

Théâtre permanent

Gwenaël Morin s’installe pour quatre ans à Avignon, pour une aventure inédite. Son théâtre permanent veut créer sans rétro-planning de création et sans figer le résultat, en répétition permanente, en mouvement à chaque représentation. Cette année il monte Le Songe (d’une Nuit d’été), celui de Shakespeare, mais avec quatre acteurs seulement. Et celleux qui passeront pas loin et voudront bien venir participer à l’aventure, en répétant le jour même, pour être en représentation le soir ! Comédie du désir, du nocturne, du désordre social, théâtre dans le théâtre, Le Songe d’une Nuit d’Eté est une immense pièce du répertoire. Gwanaël Morin pourra-t-il la « dépermanentiser » ? Son projet n’est-il pas, à Avignon, de « démonter les remparts pour finir le pont » ? Boutade, certes, mais quoi de plus urgent aujourd’hui de bâtir autrement, de détruire ce qui nous enclos et construire de nouvelles voies vers l’autre ?

Le Songe
Création 2023
De Gwenaël Morin et Shakespeare
Du 8 au 24 juillet à 21h30, relâche le 19
Jardin de Mons

Et le jour va finir

Tous ceux qui y ont assisté s’en souviennent. En 2010 le Festival d’Avignon invitait le public juste à la tombée du jour pour assister au crépuscule, doucement. Face au naufrage du monde qu’elle pressent, Anne Teresa de Keersmaeker parie sur la beauté. Des corps, de la nature, de la musique. Qu’elle accorde ensemble avec une délicatesse et une précision, une élégance, infinies. En Atendant met en danse le répertoire médiéval de chansons polyphoniques profanes. Cet ars subtilior né en temps de peste noire, pour une apologie antinomique de la tendresse et de l’amour comme antipoison. En 2010, avant le Covid, avant que l’urgence climatique soit si explicite, la danse et la musique disaient déjà l’urgence de changer de mode de vie, et le lien simple au jour qui se lève, aux voix souples, aux danseurs naturels.
Avant la reprise de cette pièce majeure, la chorégraphe flamande propose une création 2023, Exit Above, où sa danse rencontre cette fois le blues. Autour de deux principes pour ces « Walking songs » : « Si tu ne peux pas le dire, chante le. Si tu ne peux pas le chanter, danse-le ». La danse de ATK pour exprimer enfin l’indicible…

En Atendant
Du 14 au 25 juillet à 20h15, relâche le 16
Cloître des Célestins
Exit Above
Création 2023
Du 6 au 13 juillet à 18 h, relâche le 9 à 18 h
La Fabrica

Vivre Avignon

Ce n’est pas la moindre des qualités du Festival d’Avignon. Au delà des spectacles, en deçà, ou à côté, on peut rencontrer les artistes, assister à des lectures gratuites dans la Cour du musée Calvet, poser un regard sur l’Afrique francophone avec RFI, échanger avec Amnesty international ou la Licra autour du Café des idées au Cloitre Saint-Louis, découvrir les jeunes talents de l’Adami, assister à la lecture intégrale de la correspondance de Vilar qui sort chez Actes Sud… Ou replonger dans l’histoire, et notre mémoire, du Festival d’Avignon, grâce à l’exposition L’œil présent continue, deuxième volet de l’exposition photographique de Christophe Raynaud de Lage, photographe du Festival depuis 2005. 18 ans de parcours où l’on sent les évolutions scénographiques, les esthétiques, et où on se souvient de grands moments parfois oubliés. Ou que l’on a raté !

Débats, lectures et rencontres
Musée Calvet, Cloître Saint-Louis, Respélid’, Maison Jean Vilar
L’Œil Présent continue
Exposition 2023
Du 5 au 25 juillet
Maison Jean Vilar

AGNÈS FRESCHEL

D’autres spectacles, vus en avant-premières ou dans les premiers jours du festival, seront chroniqués durant le mois de juillet dans les pages "l'été de Zébuline" à retrouver dans La Marseillaise 
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