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Siska, une tête chercheuse 

Les 9 et 10 décembre, Siska proposait une carte blanche à La Mesón à Marseille. Celle qui a longtemps été la chanteuse du Watcha Clan, et qui signe désormais des albums en son nom, revient sur sa carrière. Portrait

Ce vendredi 2 décembre Siska a un problème. Son oreille est bouchée et elle doit voir un ORL. Ce mal classique des musiciens aurait pu faire annuler l’interview, mais elle tient sans aucune hésitation son engagement : « J’irai lundi matin… », dit-elle élégamment.

Voilà maintenant quelques jours qu’elle occupe La Mesón, la salle du centre-ville de Marseille, où elle invite les vendredi 9 et samedi 10 décembre à deux soirées qu’elle prépare avec excitation. Il y aura son groupe No Night In Zion le premier soir et, point d’orgue du week-end, un duo piano-voix avec Cathy Escoffier le lendemain. Une rencontre étonnante, entre une artiste qui a grandi et appris son art dans les conservatoires, et Siska, dont l’aventure musicale, construite en autodidacte, a commencé à quelques mètres à peine de La Mesón. 

Sourire éternellement vissé aux lèvres, Siska pointe le premier étage du 63, rue Consulat. « Je ne reconnais pas la porte mais c’était ici ! » Ici, c’est l’endroit où elle habitait « en communauté », au début des années 1990. « Je vivais avec des musiciens, on était une dizaine et on faisait tout ensemble ». Avec eux, Siska rencontre des « frères » et monte son premier groupe Axxam, avec lequel elle fait ses débuts dans les bars du coin. « On était plus nombreux sur scène que dans le public », sourit-elle. 

Au même moment, elle crée avec cette bande un nouveau rendez-vous dans le quartier de Noailles. Ce sera la première édition du Festival du Soleil, devenu par la suite la fête la plus importante du quartier – un 14 juillet sauce épicée – aujourd’hui disparu, mais qui lui a permis une rencontre décisive. 

Alors qu’ils ont rencardé de nombreux groupes pour participer à cette soirée, au dernier moment tous annulent, sauf un. Ce groupe, c’est Les Guenilles, « des petits blancs avec des dreads » descendus de Serre-Chevalier. Forcément, au début, ils sont pris « de haut », mais l’ambiance tourne vite quand ils commencent à jouer. « C’était le feu. Je n’avais jamais vu des mecs sauter comme ça sur scène, ils nous ont tous calmés. » Dans ce groupe il y a un certain Julien Soupa Ju, avec qui elle va fonder Watcha Clan et, plus tard, une famille. 

© Charlie Kapagolet – Agence Jam Teery

Un coup de fil qui change tout 
Une quinzaine d’années plus tard, nous voilà sur la scène du festival Fusion à Berlin. C’est un des plus grands rendez-vous de musique underground et Watcha Clan y est programmé pour la troisième fois. Siska, qu’on appelle alors Sista Ka, est la chanteuse charismatique de ce groupe à succès, qui donne en moyenne cent concerts par an dans toute l’Europe. Mais si ce concert devait être formalité pour elle, ce soir-là, il se passe quelque chose : Siska a les yeux humides quand elle monte sur le plateau. 

Quelques minutes plus tôt, elle a eu sa fille au téléphone. Elle fête alors son premier anniversaire, loin d’elle, à Marseille. « J’ai craqué, je sentais que je loupais un truc. » Au moment de monter sur scène, sa décision est prise : Watcha Clan, c’est terminé. Paradoxalement, ce concert est selon elle une de ses meilleures performances, joué avec cette énergie d’une aventure qui touche à sa fin.

De l’énergie, il lui en a fallu toutes ces années passées sur la route. « Un soir on était à Istanbul, le lendemain en Alsace. » Chaque membre du groupe a ses petites astuces pour lutter contre la fatigue et la monotonie. « L’un c’était la prière, l’autre son instrument, et moi le yoga. » De ces années, elle en garde un souvenir vivace.« C’est une chose que ça marche musicalement dans un groupe. Mais après il faut vivre sur la route, dans la voiture. Et nous on était une vraie famille. »

Nomade à sédentaire
Quand vient le moment de tout arrêter, ce n’est pas si évident. Elle doit réapprendre la vie quotidienne, se sédentariser, faire ses courses… mais elle s’occupe de sa fille. Une petite qui jusqu’à présent appelait sa grand-mère « maman ». Cette nouvelle étape de sa vie va aussi nourrir son nouveau projet musical. 

Car si le groupe est terminé, l’envie de rejouer pointe très vite. « La musique ne s’arrête jamais, elle est toujours en toi, et puis il faut bien gagner sa vie. » Elle commence alors la composition de son album A Woman’s Tale, puis cinq ans plus tard de Mauvaise graine, dans lesquels elle raconte sa vie de femme, affiche aussi une sensualité qu’elle avait souvent cachée, peut-être due à son enfance passée dans les Quartiers Nord de Marseille, au Merlan.

Les paroles changent, la musique aussi ; comme dans sa vie, le rythme ralenti. Fini la jungle et la drum and bass de Watcha Clan, place désormais à une trip-hop lancinante empreinte de soul. Une musique qu’elle compose dans sa nouvelle maison, proche de la mer et des Goudes, loin des tumultes du centre-ville. 

© Charlie Kapagolet – Agence Jam Teery

Si au départ, elle souhaite couper avec ses anciens compagnons pour démarrer ce projet, elle comprend vite que Clément, du Watcha Clan, lui est indispensable. Frère de Julien Soupa Ju, il a intégré le groupe quand il en était à ses balbutiements. Très doué dans tous les styles de musique, Siska le présente comme un « cadeau des dieux ». Aujourd’hui, elle échange avec lui les morceaux qu’elle compose dans ce que cette docteure en économétrie appelle « son labo de recherche ». 

C’est dans ce studio à domicile que Siska termine actuellement la composition de son prochain album. Un retour à ses premiers amours reggae qu’elle écrit en pensant à son ami Joby alias Ras Jahby, personnage central du reggae marseillais décédé en 2021. Quand elle l’évoque, pour la première fois son visage toujours radieux s’assombrit quelque peu. C’est à ce moment que Krystle Warren arrive pour les balances de son concert qu’elle donne le soir-même à La Mesón. Siska doute qu’elle la reconnaisse, alors même que la chanteuse américaine a fait des chœurs sur son album. Humble, elle s’approche timidement vers Krystle qui la remet immédiatement. Un échange cordial a lieu, mais il est temps pour Siska de rentrer chez elle, retrouver sa maison et son quotidien de sédentaire, qu’elle tient aujourd’hui à préserver. 

NICOLAS SANTUCCI  

Carte blanche à Siska
Projection du film Le Premier Rasta
8 décembre
Les Variétés, Marseille

No Night In Zion
9 décembre

Siska & Cathy Escoffier
10 décembre
La Mesón, Marseille
lameson.com
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