Quelques jours après la nomination du gouvernement Attal et en pleine polémique Oudéa-Castera, Emmanuel Macron tenait le 16 janvier une conférence de presse télévisée durant laquelle il a fait nombre d’annonces concernant l’Éducation nationale. Le président de la République avait notamment déclaré vouloir rendre le théâtre obligatoire au collège, expliquant que « cela donne confiance, apprend l’oralité et le contact avec les grands textes ». Une proposition qui pose question aux enseignant·e·s et aux artistes intervenants auprès des élèves. En cause, les moyens qu’un tel projet nécessiterait, mais aussi l’argumentaire développé par le président.
En question d’abord, l’idée que le théâtre « donne confiance ». Un argument que le metteur en scène Renaud-Marie Leblanc, qui intervient régulièrement dans le cadre scolaire, ne réfute pas, mais tempère : « C’est évident que cela donne confiance de s’exposer, surtout à l’adolescence, mais encore faut-il pouvoir mettre en œuvre cette confiance, ce n’est pas automatique ou thérapeutique ». Et cela demande du temps, des groupes réduits… un certain nombre de conditions dont les enseignants doutent de la mise en place. Selon Marion Chopinet, professeure de théâtre en lycée Antonin Artaud à Marseille, « la confiance vient davantage du groupe et de la cohésion, ce qui va à l’encontre de ce que toutes les réformes depuis Blanquer ont fait, c’est à dire contribuer à éclater le groupe classe ».
Artistes ou communicants ?
Pour certain·e·s, l’image que le président donne du théâtre entre en directe contradiction avec ce qui, dans la pratique de cet art, peut permettre de développer de la confiance en soi. « Je pense que dans le théâtre il y a l’idée d’aller trouver la singularité de chaque personne, d’augmenter cette singularité, et non pas de faire des exercices d’articulation, ce n’est pas la priorité » avance Marie Astier, metteuse en scène et comédienne. « Il confond cours de théâtre et cours d’éloquence » tranche-t-elle.
Les professionnel·le·s contacté·e·s dénoncent dans l’argumentaire présidentiel une vision utilitariste du théâtre. Il sous-entendrait que l’art n’a d’intérêt que comme un moyen et non comme une fin en soi. « Il y a une demande croissante de la part des entreprises d’avoir des employés qui sachent bien parler, et cela se répercute à l’école » décrypte Renaud-Marie Leblanc. « Ce n’est pas pour en faire des artistes, c’est pour en faire de bons communicants » résume pour sa part Marie Astier.
Au-delà de l’argumentaire utilitariste que sous-tend la proposition d’Emmanuel Macron, le lien nécessaire entre pratique théâtrale et « contact avec les grands textes » établit par le président agace également les professionnel·le·s interrogé·e·s. Pour Marion Chopinet, « c’est une vision extrêmement clichée, voire réactionnaire, qui ne couvre pas la réalité du théâtre tel qu’on le connait aujourd’hui et l’ampleur des créations qui existent ». « Commencer le théâtre en faisant les grands classiques, c’est anti-pédagogique » juge de son côté Renaud-Marie Leblanc. Constat partagé notamment par Marie Astier : « Il faut expliquer aux élèves que le théâtre peut parler de problématiques contemporaines, peut parler d’eux et peut les toucher, sinon ça peut vite les braquer ».
Un effet d’annonce ?
Depuis le 16 janvier, cette proposition n’a plus été évoquée et, a priori, aucun moyen ne sera mis en place à la rentrée prochaine. Selon Nicolas Bernard-Hayrault, secrétaire départemental du SNES-FSU, la dotation globale horaire (c’est-à-dire le nombre d’heures dont dispose chaque établissement pour assurer tous les enseignements) ne permettra pas d’ajouter des heures de théâtre. Si ces cours doivent être donnés, ils devront donc l’être sur les moyens préexistants. Toujours d’après Nicolas Bernard-Hayrault, un recensement des pratiques en terme d’enseignement théâtral dans les collèges a cependant été lancé. Cela pourrait permettre de mettre en lumière la diversité des dispositifs déjà mis en place dans le cadre scolaire et auxquels enseignant·e·s comme artistes sont déjà habitué·e·s. « Il y’a déjà des choses qui existent et qui ont un sens, peut-être qu’il n y a pas besoin de tout repenser », conclut Marie Astier.
CHLOÉ MACAIRE