Comme dans son dernier roman Boxer comme Gratien (2023), Didier Castino jongle d’entrée avec deux points de vue pour mieux cerner un homme : celui d’Edouard Bonnefoy, récidiviste sous écrou, et celui d’un narrateur-écrivain, Hervé, qui a rencontré Edouard lors d’ateliers d’écriture qu’il animait aux Baumettes. Ce même Hervé, double de l’auteur,racontait déjà l’histoire de Gratien Tonna, le boxeur marseillais analphabète. Ici Edouard Bonnefoy, grand bandit mais pas parrain, qu’on pourrait situer entre Roger Campana et Francis le Belge, n’existe pas tout à fait dans le réel.
Brouillant avec brio les voix narratives et les époques, Castino écrit pourtant un récit au déroulement limpide, dont le pivot se situe en 2006, autour du jour où Edouard sera libéré de sa cinquième peine, la plus longue. Cinq ans sous écrou, sans voir les siens, exceptée sa mère. Racontant ce qui a précédé, les délits, les révoltes, la cavale ; décrivant sa vie sous écrou, les amis, les peurs, l’attente ; anticipant avec angoisse sa libération, les retrouvailles avec sa famille, et la peur de retomber malgré ses promesses.
Une histoire d’hommes
La deuxième partie du livre se situe après la libération, au moment de rendre des comptes et de renouer les liens avec son père, son fils, son frère. Ce qu’il fait, avec courage, dans une vie qu’il rebâtit, et qu’Hervé accompagne jusqu’à la fin, qui reste en suspens.
Mais dans cette histoire d’hommes (97% des détenus sont des hommes) quelque chose manque, comme une explication de ce qui l’a poussé au crime : braquage, trafic, violence ? On ne va pas cinq fois en prison pour des délits anodins, même si Edouard précise qu’il n’y est ni pour viol ni pour meurtre.
Cet Edouard, fils préféré, frère prodigue, père terrifiant, est raciste, homophobe et vote extrême droite, persuadé qu’il a droit à une autre vie, au luxe, à l’argent, au champagne, qu’il impose à ses proches au même rythme que ses détentions. Il est de fait enfermé dans ces limites bien plus que dans ses cellules successives. Pour toujours.
Est-ce que cela peut susciter chez les lectrices (67% des romans sont lus par des femmes) l’intérêt et l’empathie qu’Hervé éprouve ? Il laisse aussi paraître sa désapprobation d’homme de gauche, sans convaincre Edouard, toujours enfermé dans ses murs.
AGNES FRESCHEL
L’Application des peines de Didier Castino
Les Avrils – 21,10 €
Paru le 20 août
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