Je veux peindre La France une mère affligée
Qui est entre ses bras, de deux enfants chargée
Les Tragiques d’Agrippa D’Aubigné témoignent de la violence d’une guerre civile, celle qui opposa catholiques et protestants au XVIe siècle. Le tragique, selon Aristote, c’est ce que les hommes voient venir, redoutent, mais dont le dénouement, fatal, est incontournable. Racine ajoutera, après les guerres de Religion françaises, que la tragédie nécessite qu’aucun personnage n’ait totalement raison ou tort. Ce qui place les protagonistes dans une indécision – l’attente tragique – et le spectateur dans une impossibilité d’action qui ne peut déclencher que ses larmes, et non sa révolte.
Nous vivons un temps tragique. La guerre entre l’Ukraine et la Russie s’éternise, mais là nous savons qui a tort. Notre compassion peut s’exercer, nous pouvons désirer une issue, et y adjoindre nos armes. Mais Israël ?
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble
L’atrocité des meurtres du Hamas ne souffre aucune excuse. Ils s’attaquent à une jeunesse innocente qui danse et vit, comme les attentats de novembre 2015 s’en prenaient à la liberté de la jeunesse parisienne. Pourtant certaines condamnations ont été timorées et tardives – l’attente tragique – la colonisation illégale des territoires palestiniens et le sort fait aux enfants de Gaza n’étant pas plus acceptable.
Israéliens et Palestiniens sont des frères sémites comme les catholiques et les huguenots étaient des frères chrétiens. Dans une guerre fratricide rien ne sert de savoir qui a porté le premier coup, qui a été le plus atroce. L’important est de cesser le feu, d’arrêter les tyrans et de changer les règles pour tenter d’éviter une guerre dont aucune issue n’est désirable.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits
Au camp des Milles on étudie les mécanismes qui conduisent au génocide, à tous les génocides. Un pas de plus a été franchi le 7 octobre, celui de l’acte atroce qui légitime des réponses totalitaires. Les victimes en seront le peuple de Gaza et le peuple d’Israël. L’histoire tragique est déjà écrite.
Que faire ? Le chorégraphe israélien Hofesh Shechter, en présentant son Double meurtre au Grand Théâtre de Provence le soir même de l’attaque du Hamas, démontre une fois de plus la force visionnaire des arts, de l’analyse sensible du réel. La première pièce est une accumulation irrépressible de violence, que les corps ne peuvent que laisser passer. La deuxième, doucement, veut consoler, réparer, permettre de renaitre.
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n’ai plus que sang pour votre nourriture
Ce temps-là, semble-t-il, n’est pas encore venu.
AGNÈS FRESCHEL