mercredi 1 mai 2024
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TRIBUNE : Le milliard des intermittent.es.s ou encore une réforme pour en finir

Le dernier assaut contre les intermittents du spectacle risque cette fois d’aboutir, faute de la mobilisation d’une profession exsangue, du manque de relais dans les médias, et de l’échec répété des luttes sociales. Sans les intermittents, plus de spectacles, plus de festivals, plus de vie culturelle. Nous devons mesurer la gravité de la situation. Zébuline ouvre ses colonnes à Régis Vlachos, comédien, auteur, syndicaliste (CGT spectacles et Syndicat Français des Artistes), qui en explique la violence et l’absurdité. Agnès Freschel

Les intermittents quezaco ? Ce sont des artistes et technicien.ne.s dans les secteurs du spectacle ; intermittent.e n’est pas un statut juridique  défini, maisune situation particulière d’emploi autorisée par la loi pour certaines professions et caractérisée principalement par sa précarité, c’est à dire le recours fréquent et dérogatoire au CDD. Cette situation est compensée par une protection sociale particulière passant principalement par l’affiliation à un régime spécifique d’assurance chômage – annexes 8 et 10 de l’assurance chômage , 8 pour les technicien.e .s et 10 pour les artistes. Voilà pour la définition.

Et le milliard ? non rassurez vous ce n’est pas leur nombre, il sont en tout 110.000 ; ni leur magot, même si l’UNEDIC affiche un excédent de 4,3 milliards. Le milliard c’est ce chiffre balancé, ressassé, répété depuis des années concernant le coût des intermittents du spectacle pour la collectivité. Il est faux, truqué et défie toutes les lois de la logique et de la comptabilité. Sans cesse déconstruit par la science – soyons modeste, pas par des physiciens, mais par des sociologiques et économistes – démenti par les faits, il est ressorti tous les quatre ans pour reformer l’indemnisation des travailleur.se.s du spectacle et de l’audiovisuel.

Concrètement, et pour l’exemple d’un artiste, iel doit travailler 507h dans l’année pour bénéficier de ce régime spécifique qui lui compensera les jours ou iel ne travaillera pas. Générant des revenus modestes -les « stars » n’en bénéficient pas et le taux journalier d’indemnisation chômage compris entre 38 et 65€- ce régime spécifique offre une protection unique dans le monde. 

« Comptabilité truquée »

Comment parviennent-ils alors au fameux milliard, puisqu’il est dit et répété que ce régime couterait un milliard d’euros par an à la collectivité ?  Pour en venir à bout et faire apparaître les professions du spectacle comme privilégiées, le Medef et les gouvernements successifs ont fabriqué un faux déficit ! Comment ? Par une comptabilité truquée. 

Ce milliard, surestimé qui plus est, met en recettes les cotisations des intermittents et en dépenses les indemnités dont ils bénéficient. Or le régime de l’UNEDIC ne permet pas ce calcul : il se fonde sur une solidarité interprofessionnelle, il n’y a pas en son sein des caisses distinctes. Et même si on voulait sortir de la solidarité interprofessionnelle  et estimer le coût du seul secteur culturel, il faudrait y ajouter les recettes des salariés qui  travaillent pour le spectacle et la culture et sont en CDI : eux cotisent  à l’assurance chômage et  ne bénéficient pas de l’assurance chômage !

 Or ce milliard ne tient compte que des cotisations  de personnes bénéficiaires de l’allocation chômage. La supercherie est manifeste : on veut dégager de l’assurance chômage les travailleur.se.s enchaînant les CDD puisque lorsqu’ils sont au chômage ils coûtent de l’argent, sans  tenir compte des travailleurs du secteur en CDI, qui ne sont pas au chômage et cotisent. Et qui ne pourraient pas travailler sans les artistes et technicien.ne.s intermittent.e.s, nécessaires pour les festivals, la création, la production artistiques et culturelles qui par nature s’organisent en grande partie dans des durées déterminées. En CDD successifs.

« Et on y retourne ! »

Ces lignes auraient pu être écrites en 2003, en 2013..mais ce milliard n’a pas bougé, on le ressort encore, malgré tous les démentis, malgré les conséquences sociales de la remise en cause régulière du statut, la précarisation de nos métiers, l’appauvrissement de la vie culturelle.

Et on y retourne ! Le gouvernement vient le 3 octobre 2023 d’envoyer une lettre de cadrage aux partenaires sociaux pour résorber ce déficit, avec obligation de se mettre d’accord avant le 27 octobre ! Ben voyons ! Mais ce n’est pas tout. Dans toute négociation il y a un comité d’expert.e.s ; depuis plus de 10 ans participait aux négociations Mathieu Grégoire, sociologue spécialiste des questions de l’emploi et de l’intermittence en particulier. Ces analyses fines et précises remettaient les choses à leur place ; et ses prospectives étaient validées les années qui suivaient. 

Le gouvernement  vient de le dégager du comité d’expert.e.s. Il est remplacé par Pierre-Michel Menger, ultralibéral, qui s’est trompé depuis 2003 dans toutes ses prévisions sur le régimes des intermittents. La plus fameuse était que des accords plus protecteurs et moins restrictifs pour les bénéficiaires conduiraient à l’explosion du déficit et à une croissance exponentielle du nombre de bénéficiaires : tout s’est avéré faux. 

 « L’intermittence, modèle social de conjuration de la précarité »

On aurait pu parler de tout ce qu’apporte le travail des intermittents et des travailleur.se.s de la culture à l’économie ; c’est 7 fois le PIB de l’industrie automobile, c’est  plus de 50 millions d’euros sur le territoire d’Avignon pour le Festival. Mais ce n’est pas dans la comptabilité : un milliard de déficit on vous dit !

On aurait pu parler d’un régime spécifique qui apporte protection aux travailleur.se.s et efficacité économique et sociale car il n’est pas déficitaire, et dont les produits s’exportent remarquablement. 

On aurait pu parler d’un régime spécifique qui pourrait être étendu à tous les métiers discontinus, à la restauration, au tourisme, au soin à la personne, etc… On aurait pu y trouver un modèle. Mais non, on trafique les chiffres pour dégager le débat, truqué dès l’entrée. On veut enfin imposer une réforme et baisser de 15%  les allocations et faire sortir du statut ceux qui ont survécu aux restrictions précédentes.

L’intermittence, c’est  à dire les annexes 8 et 10, sont un modèle social de conjuration de la précarité, extensibles à toutes et tous. C’est cela qu’ils veulent détruire. Résultat du massacre ou de la énième controffensive gagnée : début novembre.

RÉGIS VLACHOS

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