C’est un titre qui attire immédiatement l’œil, et la curiosité. Israel et Mohamed, comme le rapprochement de deux espaces, deux cultures, souvent présentés comme irréconciliables. Dans cette pièce de « danse documentaire », Mohamed El Khatib et Israel Galván font dialoguer leurs univers artistiques et intimes, dans un esprit de fraternité.
El Khatib, en position de narrateur, relate le parcours de Galván, le traduit quand il parle en espagnol, en s’adressant directement au public. D’apparence détendu, le metteur en scène semble improviser, ajouter des blagues pour combler certains vides. « Ce n’est pas dans le texte » dit-il après une plaisanterie sur la longueur du spectacle – qui bien sûr, est dans le texte.
Son humour et sa vulnérabilité tranchent avec l’air sérieux et fier d’Israel Galván, qui ne s’exprime presque que par le corps. Il nourrit son flamenco de l’univers de Mohamed, dansant vêtu de la djellaba du soir de son père, chaussé de babouches ou d’une paire de crampons – El Khatib a brièvement été footballeur, Galván rêvait de l’être, mais son père voulait en faire un danseur.
Un hommage tout en nuances
Leurs parcours respectifs se nouent autour de la figure du père. C’est d’ailleurs la voix de José Galván, danseur de flamenco et père d’Israel, qui résonne en premier dans le cloître des Carmes. Dans un entretien filmé et projeté en arrière-scène, il explique ne jamais venir aux spectacles de son fils et être infiniment triste que celui-ci ne pratique pas un flamenco traditionnel. Le père d’El Khatib, à sa suite, dit ne pas « être d’accord » avec le choix de Mohamed de poursuivre une carrière artistique. Le public rit, mais les mots sont durs. Tout au long du spectacle, Israel et Mohamed s’empruntent à répondre à leurs pères, l’un par les mots, l’autre par la danse, avec beaucoup d’humour.
De part et d’autres de la scène, les artistes disposent des objets sur des sortes d’autels surplombés par des photos de leurs pères : les babouches avec lesquels le père d’El Khatib le frappait alors qu’il était enfant, son tapis de prière et sa collection de Coran, les ballons de foot crevés par le père de Galván… Chaque objet permet d’évoquer un aspect de ces relations.
El Khatib et Galván s’amusent aussi de l’absurdité du comportement de leurs pères, comme lorsque Galván s’éclate un œuf sur la tête en référence aux « traitements » que lui administrait son père pour lui faire pousser les cheveux.
À travers leur démarche, les deux artistes honorent leurs pères – ils leur dressent tout de même des autels –, mais sans révérence. Ils les humanisent, avec tous leurs défauts, jouant sur la tension entre dureté et humour, reproches et tendresse. Une manière d’acter ces conflits intergénérationnels comme irréconciliables, mais de ne pas les laisser les détruire.
CHLOÉ MACAIRE
Israel et Mohamed a été joué du 10 au 23 juillet au cloître des Carmes, Avignon
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