C’est par un poème de Fernando Pessoa que se clôt le documentaire de Louis Hanquet
« Mon âme est semblable à un pasteur. Elle connaît le vent et le soleil. Elle va la main dans la main avec les saisons. Je suis un gardien de troupeau. Le troupeau, ce sont mes pensées et mes pensées sont toutes des sensations. Je pense avec les yeux et avec les oreilles, et avec les mains, et avec les pieds, et avec le nez, et avec la bouche… » Félix, éloigné des villes et villages pendant des semaines, lit beaucoup et se reconnaît dans les mots du grand poète portugais qui pourtant n’a jamais été berger. « Je crois qu’il parle de nous », écrit-il à son père.
Félix est un jeune homme secret, mélancolique, mal à l’aise dans la prise de parole, mais expert dans son travail de pasteur qu’il aime profondément. Avec quelques autres, il pratique l’élevage traditionnel des brebis qui paissent dans la montagne et ne redescendent en étable que l’hiver. Là-haut, il est seul avec elles et ses chiens. L’orage gronde, le feu crépite dans le poêle à bois ; les bêlements et le tintement des clochettes écrivent la partition de sa vie solitaire. Félix arpente les crêtes surplombant les vallées alpines. La photo magnifie les paysages gris et bruns. Jours et nuits se succèdent. Les saisons passent. La caméra suit dans une plongée vertigineuse, la coulée du troupeau comme dans un western, ou s’approche en très gros plans des bêtes. Une tentative de réanimation par bouche à bouche d’un agneau mort-né, ou le dépeçage de son cadavre atteste qu’on n’est pas dans une idéalisation pastorale.
Le film documente au quotidien des gestes techniques, professionnels. Fendre le bois, placer les clôtures, nourrir, soigner… À travers quelques rares conversations entre les bergers, Louis Hanquet évoque les problèmes d’exploitation des ressources de la montagne et les pertes de brebis dévorées par les loups, le dilemme entre les principes et la réalité du travail, les menaces écocides qui planent sur cette ruralité. Mais plus qu’au métier de pasteur, et aux discours, c’est un rapport au monde et au temps que le réalisateur nous montre ici. Poésie et prosaïsme intimement liées : la beauté sidérante de la montagne et les plaies des brebis. La quasi abstraction des loups repérés en caméra (ou jumelles) thermique·s, blancs et lumineux dans les ténèbres et le corps sanguinolent à moitié dévoré de leurs proies. Les nuits étoilées et le récurage d’un sabot terreux. Louis Hanquet, assistant de Sébastien Lifshitz sur – les tournages de Adolescentes et Petite Fille, signe ici un premier long-métrage très réussi.
ÉLISE PADOVANI
Présenté le 4 décembre à l’Alcazar, ce film a obtenu le prix Art, patrimoine et cultures de la Méditerranée