Jeune adulte, Claudie Gallay s’était déjà interrogée sur l’histoire de son grand-père maternel car sa mère avait un jour lâché qu’il avait été abandonné à la naissance. Cependant cette révélation avait été aussitôt suivie d’une interdiction absolue de le questionner. Un jour, pourtant, alors qu’il sortait des photos d’une boîte, le portrait d’un homme élégant était apparu. C’est « le grand-père de Nice », l’arrière-grand-père de l’autrice. Il n’en savait pas beaucoup plus. Mais Claudie Gallay s’était jetée sur ces bribes de souvenirs et avait commencé à écrire sur sa Remington une histoire imaginaire de cet homme qualifié d’« artiste », ce qui l’avait enthousiasmée. Ne serait-ce pas pour cela qu’elle se sent un peu différente de sa famille de paysans ? Sa propre mère se demande parfois de qui elle tire…
Peu à peu, le grand-père livre par bribes ce qu’on lui a raconté de l’abandon par sa mère, évoque son affection pour sa mère nourricière à qui il doit tout. Il raconte qu’à l’âge de 20 ans, il a pu rentrer en contact avec ce père, Victor, qui l’avait aussi abandonné. Bizarrement il en veut à sa mère et pas à lui avec lequel un lien s’est peu à peu tissé, sans qu’il n’y ait jamais eu ni explication, ni remords, ni demande de pardon. Victor est adopté par la famille, fait un à deux séjours par an chez son fils.
Puzzle recomposé
Trente ans plus tard, lors du confinement, entre jardinage, écriture et lecture, Claudie Gallay repense à ces révélations et se livre à la recherche de traces de son arrière-grand-père Victor sur internet. Elle voudrait comprendre pourquoi les parents n’ont jamais donné signe de vie à leur enfant. Elle arrive à reconstituer leurs parcours, à faire apparaître en filigrane les caractéristiques de leurs personnalités.
Au fur et à mesure de ses découvertes, se dessine une histoire ; la fiction se mêle aux événements avérés jusqu’à ce que Claudie Gallay recompose le puzzle et découvre la véritable personnalité de Victor. Le plus troublant, c’est que le début de ses recherches l’a conduite presque naturellement à l’écriture. Sa vocation, née sur les cendres du passé, l’incite à écrire « le premier roman de (sa) vie ». Investie d’une mission de mémoire, elle laisse venir à elle les interrogations et les pistes, transforme le récit initial au fur et à mesure de ses découvertes. La langue est simple, souvent chargée d’émotion. Est-ce ainsi qu’on devient écrivaine ? En retrouvant les liens ténus qui nous rattachent à ceux qui nous ont précédés ? Et qui permettent de se réconcilier avec le monde ?
CHRIS BOURGUE
Victor de Claudie Gallay Actes Sud 22 €