mardi 30 avril 2024
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Wozzeck  tournoie et plonge

Au Grand Théâtre de Provence, Simon McBurney adapte l’opéra d’Alban Berg avec maestria.

Aix-en-Provence avait déjà applaudi sa mise en scène de La Flûte enchantée, Simon McBurney revient en signant un nouveau chef d’œuvre, sublimé par une distribution vocale luxuriante et un London Symphony Orchestra ébouriffant sous la houlette de Sir Simon Rattle.

Dans une lumière grise, on entend des chiens aboyer, on voit des soldats au garde-à-vous, plantés sur un dispositif scénique aux trois cercles concentriques dont le tournoiement lent entraîne les personnages, parfois à l’envers des aiguilles d’une montre, dans un temps qui se distord, parfois dans des sens opposés qui les séparent et extrait Marie assassinée de l’ordre du temps.

Aliénation morale

Impossible d’échapper à ces cercles dantesques, à ce mouvement aliénant la liberté. Se refusant à la scène naturaliste de l’incipit de l’opéra au cours de laquelle le soldat Wozzeck (Christian Gerhaher, autant acteur que génial chanteur) rase le Capitaine qui s’acharne sur lui, Simon McBurney campe le malheureux debout, interrogé cruellement à propos du fils illégitime qu’il a eu avec Marie (Malin Byström, bouleversante), par le Capitaine sanglé dans son uniforme blanc et accompagné d’un enfant, son double en miniature, tandis que les autres personnages, tels un chœur antique muet assistent sans intervenir à cet acharnement.

À l’aliénation morale s’ajoute celle des inégalités de classe : Wozzeck répond qu’il est difficile d’être vertueux quand on est pauvre. La mécanique impitoyable de l’intrigue accable le personnage central : injustice sociale, cruauté mentale -il est le cobaye d’un docteur qui examine sans émotion les rouages de l’esprit humain-, trahison amoureuse -Marie le trompe avec le beau Tambour-Major-, le conduisent inéluctablement à la folie et à la mort.

Une porte dressée comme une guillotine, seule sur la scène nue, ouvre vers l’appartement de Marie et laisse voir son enfant, ou vers le bar où la foule danse et boit, brossée en un tableau naturaliste. Les leitmotive permettent de tisser une trame cohérente qui unit les quinze tableautins de l’intrigue, le jeu subtil et velouté de l’orchestre apporte une harmonie onirique aux dissonances de Berg, tandis que la mise en scène permet de passer d’une scène à l’autre avec une fluidité rare, dans une variation des nuances de la lumière et des ombres qui convoquent tout un arrière-plan pictural et cinématographique. Un diamant noir !

Maryvonne Colombani

Wozzeck etait donné jusqu’au 24 juillet au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.

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