mercredi 1 mai 2024
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Terrible voyage en absurdie

Chroniques de Téhéran, de Ali Asgari et Alireza Khatami est un film coup de poing qui vaut la prison et l’exil à ses réalisateurs. Il était présenté à Rousset en avant première, après Cannes où il a fait beaucoup de bruit. Trop, en tous cas, pour la police iranienne

Le festival nouv.o.monde ouvrait une nouvelle plage horaire cette année, le samedi matin afin de recevoir « un coup de poing ou un coup de cœur » expliquait Sylvia Vaudano, sa directrice. Sélectionné par Un certain regard à  Cannes en 2023, Chroniques de Téhéran est indéniablement un coup de poing. Il présente la forme d’un « film à sketches », brossant au cours de neuf portraits un panorama de la vie quotidienne dans la caitale iranienne, depuis la naissance jusqu’à la mort : déclaration ubuesque d’une naissance, le prénom David étant refusé car non-iranien et trop occidental ; convocation d’une jeune fille surprise en compagnie d’un garçon  par la directrice de son école ; habillage d’une petite fille qui se voit affublée d’un véritable carcan alors qu’elle aime danser devant le miroir ; entretiens d’embauche qui virent au chantage sexuel pour l’une et à l’interrogatoire religieux pour l’autre ; refus de son scénario à un réalisateur qui se voit dans l’obligation d’en déchirer la plus grande partie… Chaque saynète est filmée en plan fixe, caméra dardée sur un personnage, laissant celui qui incarne l’autorité en hors-champ, sans chair et sans visage, procédé deshumanisant qu’emploient tous les big brothers adeptes de verre sans tain et d’écarns qui espionnent.

Résister, jusqu’à la peau

La construction menée avec brio répond, roublarde et impertinente, à la nécessité de contourner la censure féroce instaurée par l’État islamique : les acteurs et actrices ignoraient tout des autres, chacun pensant tourner un court-métrage ! C’est cette présentation qui a permis en sept jours le tournage de l’œuvre entière. Mais depuis qu’elle a été projetée au festival de Cannes, ses réalisateurs sont en danger : la cinéaste iranienne Mehrnoosh Sahranavard, invitée pour évoquer le film à l’issue de la projection, informe qu’Ali Asgari s’est vu retirer son passeport dès son retour en Iran. Il est prisonnier dans son appartement, tandis qu’Alireza Khatami vit pour sa part au Canada. 

La fin, sur la mort d’un vieillard assis devant un bureau inondé de dossiers, s’orchestre en un tremblement de terre qui rappelle la sourate 99 Al Zalzala (La secousse) réclamée par le préposé à l’embauche au demandeur d’emploi. Secousse qui est celle du jugement dernier… La poésie tatouée sur le corps de l’un des protagonistes devient le dernier lieu de résistance, comme les artistes iraniens qui refusent de se taire, réalisateurs de Téhéran, ou Prix Nobel  de la Paix.

MARYVONNE COLOMBANI

Chroniques de Téhéran a été projeté le 14 octobre en avant première dans le cadre  du festival Nouv.o.monde de Rousset 
Sortie prévue en salles en mai 2024
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