Le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence réunit la fine fleur de l’opéra. C’est ainsi que les meilleurs chanteurs et les meilleurs metteurs en scène s’y retrouvent pour apporter aux pièces du programme une vision qui fait « honneur à ces œuvres », selon les propres termes de Pierre Audi, directeur de cette prestigieuse institution. L’excellent metteur en scène Satoshi Miyagi imaginait pour évoquer l’univers d’Idomeneo, re di Creta, premier opéra de Mozart, un dialogue entre la Grèce antique et son Japon natal, si bien qu’Elettra (Nicole Chevalier) se voit affublée d’un ample kimono de cérémonie, et que les souvenirs de la deuxième guerre mondiale viennent peupler l’imaginaire scénique et transforment les soldats grecs en troufions de 1945. De hauts paravents mobiles tendus de tissus de chantier blancs (qui, selon les éclairages, nous convient dans un immeuble en construction ou dans un lieu empli de motifs floraux brillants) mus par une plèbe anonyme, écrasée par l’esclavage, orchestrent l’espace. Parfois liés ensemble, ils deviennent des piédestaux sur lesquels sont juchés (afin de souligner une symbolique supérieure sans aucun doute) les personnages vêtus de blanc, plus ou moins à l’aise avec le vertige de cette géniale trouvaille qui pouvait nous faire penser au roi et à la reine de la Lune dans Les Aventures du baron de Münchausen de Terry Gilliam.
Avis de tempête
Le sublime a un prix c’est bien connu. Les hauteurs figent, on le sait aussi, ce qui permettait d’accentuer le caractère hiératique des événements, tragédie royale oblige : le roi de Crète, Idoménée (Michael Spyres), revient, vainqueur de la guerre de Troie, affronte une tempête et promet à Neptune à qui Alexandros Stavrakakis prête sa voix (drame grec, mais noms latins, ne chipotons pas !) de lui offrir en sacrifice le premier être qu’il rencontrera en arrivant à bon port. Manque de chance, à l’instar de Jephté qui s’était aussi livré à une telle promesse inconsidérée et qui dut sacrifier sa propre fille (cf. l’Oratorio de Campra), Idoménée croise en premier son fils bien aimé, Idamante (Anna Stéphany). Ce dernier est tombé amoureux d’Ilia (Sabine Devieilhe), princesse troyenne, habillée d’une robe blanche telle Grâce de Monaco à une cérémonie des Césars, sans oublier – le souci du détail prime ici – les longs gants blancs de bal. Sans peur aucune du ridicule, une séquence de danse de soldats feuillus vient animer le sol où, seule parmi les grands rôles, Électre a le droit de poser les pieds, emportée par la démonstration des passions qui l’animent.
L’Ensemble Pygmalion mené par Raphaël Pichon, dont la finesse n’avait pas mérité tout cela s’évertue à soutenir la maestria du propos scénique tandis que l’on se plaît à fermer les yeux pour entendre le très beau chœur dans ses lamentations, que les magnifiques chanteurs auraient pu reprendre sans distanciation aucune. Ultime pointe de la représentation du 6 juillet, le décor final constitué de longues bandes de tissus extraites du devant de la scène et étirées par-dessus le tout (une panière prémonitoire de se voiler la face) connaissait un raté, symbolique sans nul doute, avec un tissu qui s’obstina à rester dans son compartiment, pétrifié de honte et laissa ses camarades s’exposer sans lui à l’admiration générale. De l’inouï, du hors norme on vous l’avait promis !
MARYVONNE COLOMBANI
Idomeneo, re di Creta a été donné du 6 au 22 juillet, au théâtre de l’Archevêché, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.