Charles et Annie Balduzzi ont porté à bout de bras cette manifestation avec l’association AGUIRA dont Charles est le président. Bénévoles ainsi que toute leur équipe efficace et dévouée, ils ont su insuffler un esprit, une convivialité, une bienveillance qui ont donné un caractère unique à cette fête de la guitare. « Vingt-deux ans de service, ça suffit », souriait Charles Balduzzi en ouverture des concerts. Repreneurs du flambeau à vos marques !
Si la page se tourne, c’est avec panache. La grande guitariste Valérie Duchâteau, directrice artistique du festival, avait concocté une fois encore une programmation de haute volée, particulièrement homogène dans l’excellence. Les univers de la guitare se croisaient avec une fine intelligence sur la scène du parc Bertoglio, convoquant une phalange d’artistes virtuoses.
Des duos
La guitare se faisait romantique sous les doigts du Duo Odelia (Marie Sans et Alice Letort). La précision du jeu, l’art des nuances, l’élégante finesse de l’interprétation, la subtilité des transcriptions (faites maison), servaient avec brio les œuvres de Fernando Sor, Rameau (un Rappel des oiseaux mémorable), Chopin, Giuliani… Les compositrices avaient une place de choix avec Fanny Mendelssohn ou Élisabeth Jacquet de La Guerre – première femme de France à avoir composé un opéra-ballet – novatrice dans la cantate – claveciniste de génie sous les règnes de Louis XIV et Louis XV – mais décidément moins connue que son cousin, François Couperin dont Les Barricades mystérieuses trouvèrent une nouvelle âme dessinée par les deux guitares. Les jeunes femmes ironisent : « Fanny Mendelssohn écrivit souvent sous le nom de son frère qui était très vexé de voir que ces œuvres signées de lui mais dues à sa sœur rencontraient davantage de succès en concert ! ». Chopin aurait dit « il n’est rien de plus beau qu’une guitare sauf peut-être deux », le duo Odelia ne le fait pas mentir !
Autre duo, celui composé par Valérie Duchâteau et Antoine Tatich séduisait par ses « improvisibles » mêlant partitions écrites et improvisations. Le dialogue s’orchestrait autour de compositions de Marcel Dadi, cet « ami qui nous a fait nous rencontrer », rappelle Valérie Duchâteau, « et grâce à qui nous avons trouvé un moyen de survivre durant cette période avec ses musiques toujours très positives même lorsqu’elles sont tristes », poursuit-elle. Winter Waltz, suit Blueberry, on révise les théories du picking (poum tchack, poum tchack), du super picking (poum tchack poum poum tchack…), l’art du triolet magnifié par l’accordéoniste Yvette Horner, le « son de rêve » du romantique Nous trois (« sans doute écrit à la naissance de son premier gamin », précise Antoine Tatich), auquel répond « l’hymne de Marcel Dadi », La Marcellaise, ponctuée de « traits de génie ». Le jazz et le blues s’immiscent dans les mélodies, les cigales accompagnent avec enthousiasme la subtile vivacité des deux complices. Les accords de l’un tentent de surprendre le fil de l’autre qui répond avec espièglerie puis relance la discussion par une note inattendue sur laquelle un sourire musical se noue…
Des solos
Le jeu fluide au point de faire oublier la virtuosité de Thibault Cauvin nous faisait arpenter le monde, nous conduisant de ville en ville. Berlin, Oulan-Bator, Calcutta, Istanbul, conjuguant à la magie des lieux le ton du conte : se profilent les foules animées, la douceur du soir condensée dans un râga, les chevauchées fantastiques de Gengis Khan sur ses chevaux de feu, les rencontres improbables d’un berger dans les coins reculés de montagnes inaccessibles… Le jeune artiste globe-trotteur, multi-primé lors de dizaines de concours internationaux désaccorde sa guitare tout en jouant, la transforme en sitar et nous voici en Inde. Resserre les cordes et l’on s’évade au Japon, au Brésil, aux côtés des compositeurs les plus variés, Tom Jobim, Stéphane Grappelli, Yuquijiro Yocoh, Mathias Duplessy, Carlo Domeniconi, Philippe et Jordan Cauvin (respectivement père et frère de Thibault). « J’adore jouer dehors, c’est poétique dehors », explique-t-il, et, avec une pointe de rire dans la voix, « j’adore m’accorder, je pourrais faire tout un concert en ne faisant que ça ! ». Et l’écouter régler sa guitare est déjà un moment privilégié ! Les légendes familiales se tissent : l’enfant Thibault demande un jour à son père de lui composer le morceau le plus difficile du monde. Cette musique devient l’hymne familial !
Tout aussi solaire, Samuelito, Breton né en Normandie et jouant du flamenco d’où le surnom donné par les flamenquistes espagnols au jeune Samuel Rouesnel, « Samuelito » qui reste son nom de scène, aborde en vastes improvisations un répertoire qu’il a fait sien. Retraçant dix ans de compositions, il nous initie aux arcanes des divers styles du flamenco, bulería, Alegría, Soleá… « Le plus important, c’est le lien humain, c’est ce que racontent ces mélodies ». Depuis l’Inde, la musique voyage, se nourrit des lieux traversés, affine ses modes, enrichit ses harmonies. Si les origines bretonnes sont malicieusement évoquées dans Nubes, le jazz manouche décline ses virtuoses volutes inspirées de Django Reinhardt sous la plume d’Antoine Boyer (qui a remporté avec Samuelito le 4e European Guitar Award à Dresde en 2017).
Tous ensemble
Enfin, le concert de clôture réunissait tous les intervenants, ce qui permettait une séance de rattrapage lorsque l’on avait raté l’une des soirées dont la découverte de la subtile et très classique guitariste Raphaella Smits qui nous conduisait en Amérique du Sud. L’ensemble Guitares & Co (quatorze jeunes guitaristes menés passionnément par Frédérick Maggio) flirtait avec le jazz et les traditions sud-américaines, ménageant une surprise pour « les Corses de la salle » et un très bel arrangement du Dio vi salvi Regina accompagnant Antoine Tatich et l’une des guitaristes en duo vocal. L’ensemble des musiciens reprenait en tutti le célébrissime choro Tico-Tico. Entre temps on aura partagé, écouté les guitares des luthiers présents (Marc Boluda, Renaud Galabert, Vincent Engelbrecht), savouré l’exposition de tableaux d’Annie Balduzzi qui a ramené de ses voyages des scènes sensibles et poétiques. Que de magie !
MARYVONNE COLOMBANI
Le Festival International de Guitare de Lambesc s’est tenu du 5 au 9 juillet, au parc Bertoglio, à Lambesc