Lors du vernissage de son exposition, Éric Bourret revenait tout juste de 30 jours passés à arpenter les flancs de l’Himalaya. Photographe sur pieds, il est un artiste marcheur ; un usager du paysage avec appareil. Il n’y a pas de hiérarchie entre les termes, ils fonctionnent de pair. S’il entre dans l’environnement, à la façon d’un éternel explorateur de matières et de sensations, c’est pour en extraire des prises de vue qui puissent justement transcrire son propre mouvement parmi les éléments qu’il traverse. Chaque pas est une découverte d’un hyper présent ; plus qu’une image qui cadrerait sa vision du paysage, son regard extrait un morceau de temps, qu’il restitue dans toute son épaisseur.
Éric Bourret développe en effet un dispositif qui rapproche ses photographies de la quête menée par le mouvement impressionniste. Il offre une durée supplémentaire à l’infime espace-temps imposé par le regard photographique : déclenchant, en direct, six à neuf prises de vue sur le même négatif, la nature bruisse dans le cadre. « J’assume l’idée du transitoire et de l’aléatoire » ; et l’œuvre du photographe respire un air qui nous parvient chargé d’une émotion tellement vivante qu’elle nous accroche, jusqu’à nous envelopper dans un ample récit.
Vision panoramique
Au musée de Lodève, l’histoire se déroule sur des centaines de millions d’années. Des empreintes de dinosaures côtoient des traces de pluie datant d’avant même leur existence. L’échelle du temps donne le vertige, et les séries photographiques de l’artiste, invité à parcourir ce territoire si riche en vestiges préhistoriques, contribuent à brouiller et enrichir le regard sur ce qu’est ce paysage. Les séries Salagou et Grands Causses déclinent la technique de surimpression, donnant au lac des allures de surface minérale, et aux troncs d’arbres un mouvement qui évoque le flux de l’eau. Les matières changent de nature, les couleurs en viennent à disparaitre, et l’immuable fait place à une impermanence déstabilisante autant qu’inspirante. L’eau devient fossile, et le bois, fluide. Larzac découle d’une autre approche. Cinquante-deux photos disposées en quatre lignes fouillent les taillis. Ce n’est plus le tremblement des éléments qui provoque le mouvement, mais la multitude. Telle une mosaïque, l’installation (signalons la qualité de l’accrochage, effectué par l’artiste et la directrice Ivonne Papin-Drastik) propose une vision panoramique de l’avancée de Bourret dans l’aridité du paysage. La chromatique, entre mousses et feuilles mortes, est presque sonore, on entend les pas du photographe qui se heurtent aux épines, les cailloux qui raclent les semelles. Et si les plans sont souvent très rapprochés, voire étouffants, c’est pour mieux faire respirer la puissance narrative des sujets ainsi juxtaposés, presque abstraits, et tellement suggestifs.
ANNA ZISMAN
Terres, d'Éric Bourret Jusqu’au 28 août Musée de Lodève 04 67 88 86 10 museedelodeve.fr