Du docu à la fiction
Gilles Perret. J’ai l’habitude de traiter des questions sociales. J’avais déjà abordé le sujet l’impact de la finance sur l’industrie dans le documentaire Ma mondialisation, à travers le portrait d’un patron qui ne voyait pas d’un bon œil l’arrivée de la finance. Avec cette fiction, c’est l’occasion de revenir sur ces thèmes et d’avoir la liberté totale d’inventer une histoire, très documentée, inspirée du réel. On pouvait imaginer un scenario dans lequel on proposait une alternative. On a écrit une comédie sociale où des ouvriers se groupent pour utiliser les outils de la finance afin de les retourner contre elle. C’est pour cela que je suis passé à la fiction avec Marion Richoux.
Travailler à quatre mains et plus
Marion Richoux. On a travaillé tous les deux pendant plusieurs années puis on a été rejoints la dernière année par Raphaëlle Desplechin, qui nous a accompagnés. Une aventure riche ! Avec Gilles, on sait où on veut aller. Il a des idées dès le départ et moi, je mets de petites touches plus subtiles pour que cela fasse cinéma, qu’on mette du quotidien, de la vie dans les séquences qu’on imagine. Il y a beaucoup d’informations et l’enjeu est de faire digérer toute cette intrigue financière mais avec les à-côtés, la vie de famille, la vie dans l’usine, la montagne.
Les couleurs du film
M.R. En tant que directrice artistique, j’ai travaillé avec la chef opératrice (Eva Sehet, ndlr). On voulait des choses proches du réel. Le côté financier, très blanc, très froid, en contraste avec les ambiances plus chaudes, plus chaleureuses des intérieurs, des bars… L’idée était de magnifier l’usine. Ces endroits qui sont souvent montrés très noirs, très moches. Ce devait être le lieu qui méritait le détour, dont les gens pouvaient être fiers.
Les lieux
G.P. On vit dans un département très riche, la Haute -Savoie, avec ses stations de ski, Annecy, ville bourgeoise. On ne montre pas l’industrie parce que depuis trente ou quarante ans, on a dévalorisé ces métiers-là au profit des métiers de service. Ici, on cache cette industrie alors que c’est un quart du PIB du département, avec des usines high tech qui ne sont pas sur le déclin. L’usine dans laquelle on a tourné travaille pour tous les constructeurs automobiles du monde y compris chinois, japonais, coréens, etc. Cela fait quarante ans qu’on nous dit qu’il faut faire partir l’industrie ailleurs et que nous allons vivre dans une économie de service. On commence à en payer le prix. Le film est là pour nous dire que ça existe, qu’on produit des choses. Les gens qui y travaillent sont plutôt bien payés, avec des métiers plus valorisants que les métiers de service. On a tourné dans une usine qui appartient à un copain de lycée qui, malgré des opinions politiques différentes, était content de nous laisser tourner là. Si on avait dû payer ces décors-là, on n’aurait pas pu ! Le budget du film était assez restreint. Quant à la montagne, j’aime la montrer parce que c’est une partie importante de notre vie et je pratique l’escalade. Et il y a aussi, bien sûr, une symbolique. Dès l’ouverture du film, avec le plan de cet homme sur la falaise, qui nous met un peu la tête à l’envers, on se dit que ce mec-là n’est pas comme les autres. On n’est pas surpris qu’avec ses copains, il s’engage dans un projet fou en ayant peur de rien. Bien évidemment Pierre Deladonchamps qui joue Cédric était doublé.
Les personnages
Grégory Montel. Alain, le personnage que je joue, un conseiller bancaire est soumis, comme les autres à de rudes obligations : faire du chiffre. Il ne sait plus pour qui il travaille. J’étais très heureux de faire partie du casting car ce qui m’intéressait, c’est cette histoire d’amitié, l’idée de se lancer dans une entreprise commune, le fait de faire ensemble car tout seul, on ne peut pas ! Le personnage était construit avec ce côté un peu maladroit, un peu dragueur raté.
M.R. Julie, Laetitia Dosch, est le personnage qui évolue le plus : elle est d’abord directrice financière ; elle a fait ses armes dans diverses boites, après une grande école. Elle était partie de la région avec un schéma : travailler et gagner de l’argent. Revenue dans la maison de ses parents, elle retrouve ses anciens collègues de lycée. Par les affects, elle va être transformée. Elle va retrouver la petite fille qu’elle a été et être en phase avec ses origines sociales. C’était important pour nous qu’il y ait une femme qui ait un réel pouvoir dans l’histoire. Laetitia Dosch, qui a d’habitude des rôles plutôt fantasques, a ici un rôle à contre-emploi. Un pari qu’elle a aimé tenir. Son personnage dit à la fin : « J’ai arrêté de me trahir moi-même », une phrase très importante dans le film.
G.P. Nathalie, la femme de Cédric jouée par Marie Denarnaud qui a quelque chose de très charnel, est le soutien inconditionnel de son mari. Elle est très présente et le plan dans la lumière du matin a quelque chose de lumineux qui reste en tête.
Comprendre la finance
M.R. Comme pour tout ce qui est compliqué, le mieux est d’entrer dans le détail pour pouvoir se permettre d’alléger. On a posé les points financiers et la stratégie qui allait avec. On voulait que ce soit crédible. La mécanique du scenario était importante et pour nous c’était essentiel que ceux qui sont éloignés du monde de la finance puissent comprendre. On aimerait que Reprise en main percute le monde économique et politique.
G.P. En fait, la banque centrale européenne a sorti un rapport disant que le taux d’endettement des entreprises est bien trop élevé aujourd’hui, en pointant la responsabilité des LBO (Leveraged Buy-Out, ndlr). Les fonds d’investissement ne mettent que 10% pour racheter une boîte en laissant cette même boîte emprunter et rembourser les 90% restants. Lors d’une revente, tout ce qui a été remboursé par une boîte revient au fonds d’investissement. Un fait légal que le film dénonce.
En famille
G.P. La séquence (très belle, ndlr) où Cédric fait visiter l’usine à ses enfants est quelque chose que j’ai vécu avec mon père. Cette histoire de transmission crée beaucoup d’émotion dans la vallée de l’Arve. Au départ, notre idée était de partir d’un ouvrier syndiqué avec des discours politiques puis cela nous a paru plus intéressant que Cédric qui réfute les idées de son père, (joué par Rufus, ndlr) mette en application ces mêmes idées. Faire de la politique par les actes embarque plus les spectateurs. Pour ne rien vous cacher, dans le film, tourné en six semaines, il y a nos enfants, nos voisins, nos copains. Le groupe Les Marmottes que vous voyez chanter au bistrot Mon jardin secret est un groupe de la vallée et, sur les cinq, deux sont décolleteurs. Vous y voyez tout notre univers. Moi, j’ai toujours peur du monde du cinéma qui arrive dans un lieu et se la pète un peu ! Faire du cinéma pour faire du cinéma ? J’ai autre chose à faire, et tourner dans de mauvaises ambiances ne m’intéresse pas.
Après Reprise en main
G.P. On a la chance d’avoir des producteurs et des distributeurs qui sont contents de ce film et on est déjà sur un nouveau projet. Les spectateurs sortent du film avec la pêche et avec cet automne qui s’annonce pas terrible, avec les batailles qu’il y a à mener, çà leur donne de l’énergie et on en a besoin en ce moment !
PROPOS RECUEILLIS PAR ANNIE GAVA
En salle le 19 octobre Lire notre critique dans Zébuline l'hebdo #4, en kiosque le 19 octobre.